Procès Samuel Paty : "Je ne me sens pas responsable", Azim, 23 ans, meilleur ami du terroriste, s'explique

À la troisième semaine de procès de l’attentat contre Samuel Paty, les principaux accusés prennent la parole. Azim Epsirkhanov, âgé aujourd’hui de 23 ans, est soupçonné de complicité d’assassinat terroriste. Il a notamment accompagné le tueur la veille des faits. Il encourt une peine de prison à perpétuité.

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Dans le box des accusés, Azim Epsirkhanov, 23 ans, s’est tenu debout toute la journée. Prêt à raconter sa vérité. Le jeune homme est coiffé court, habillé d’un costume bleu foncé sur une chemise blanche.

Incarcéré depuis quatre ans, il est soupçonné de complicité dans l’assassinat du professeur Samuel Paty, non loin de son collège de Conflant-Saint-Honorine (Yvelines). Ce mercredi 20 octobre, il a dû s’expliquer sur les faits devant la Cour d’assises spéciale de Paris.

Azim Epsirkhanov, l’ami de longue date

Au début de l’audience, Azim Epsirkhanov prend la parole. Face à la cour, il se décrit comme quelqu’un de sociable, épris de liberté. Le jeune homme a grandi en Tchétchénie, pays meurtri par la guerre. À l’âge de 10 ans, il arrive à Évreux avec sa famille.

C’est au cours de sa scolarité, en classe de 6ᵉ au collège Pablo Néruda, qu’il fait la connaissance d’Abdoullakh Anzorov, celui qui deviendra l’assassin de Samuel Paty, le 16 octobre 2020.

Quel est le profil de l’accusé et quelles seraient ses motivations ? La cour cherche des réponses. À commencer par son rapport à l’islam. Le président Franck Zientara l’interroge : « que pouvez-vous nous dire de votre engagement religieux ? »

D’une voix posée, Azim Epsirkhanov répond : « Je suis issu d’une famille de musulmans, mais je ne suis pas pratiquant. [...] Il m'est arrivé d'aller à la mosquée lors de grands évènements, comme le ramadan ».

Rapidement, la cour se rapproche des faits : « quelle importance a pour vous le blasphème ? », demande le président en rapport aux caricatures montrées par Samuel Paty au collège de Conflant Saint-Honorine. « Pour moi, c’est le droit de critiquer la religion », explique le jeune homme.

Son rapport à la religion semble loin de celle de son ami Abdoullakh Anzorov, « les opposés s’attirent parfois », commente le président. « Abdoullakh recevait une éducation très stricte de la part de son père. Il lui interdisait d’écouter de la musique ou d’être sur les réseaux sociaux », se souvient l’accusé.

À la fin de l’année 2019, les deux amis se brouillent notamment à cause de l’intervention du père d’Anzorov. Leurs chemins se séparent pendant plusieurs mois, jusqu’à l’assassinat, le 25 septembre 2020, d’un jeune tchétchène dans le quartier de La Madeleine, à Évreux.

Abdoullakh Anzorov et Azim Epsirkhanov, tous deux également issus de la communauté tchétchène, se retrouvent pour une cérémonie d’hommage à la victime.

La veille de l’attentat

Dans la matinée du 15 octobre 2020, à la demande d’Anzorov, Azim Epsirkhanov contacte l’un de ses cousins pour se procurer une arme. À plusieurs reprises, l’homme est sollicité mais aucune arme ne sera finalement fournie.

À Rouen, en fin de matinée, les deux amis se retrouvent, accompagnés d’un troisième : Naïm Boudaoud. Ce dernier, proche d’Azim, a conduit Anzorov depuis Évreux jusqu’à Rouen.

Ensemble, ils se rendent rue de la République à Rouen pour acheter un couteau, "un cadeau pour le grand-père d’Abdoullakh, justifie l’accusé dans le box. Je cherchais un joli couteau, un couteau suisse".

"Lui a préféré un couteau moins cher, explique Azim Epsirkhanov, le couteau qu’il choisit est vraiment moche pour un cadeau, mais bon, la vendeuse l'emballe et nous sommes repartis."

Dans la salle d’audience, des dizaines de journalistes et de nombreux curieux écoutent attentivement les échanges. L’achat de l’arme est un point crucial, Epsirkhanov le sait et tente de s’expliquer.

Les justifications du jeune homme interpellent le président du tribunal : "Donc, il y a une recherche d’arme et l’achat d’un couteau, à aucun moment, vous vous posez des questions ?" Réponse de l’accusé : « bien sûr que j’aurais dû me poser des questions ».

L’accusé justifie la recherche d’arme dans un contexte de tension dans le quartier de la Madeleine après la mort du jeune tchétchène le 25 septembre 2020. « Je ne voyais pas de danger de la part d’Anzorov, c’était pour se défendre », tente de convaincre Azim Epsirkhanov. Il répond, point par point, sans hésitation et avec assurance aux questions du président.

Naïm Boudaoud, Azim Epsirkhanov et Abdoullakh Anzorov poursuivent la journée du 15 octobre 2020 à Rouen. Les trois jeunes hommes mangent au MacDonald’s, avenue du Mont-Riboudet avant de passer quelques minutes à l’intérieur du Panorama XXL sur les quais de Seine.

« Nous passions une journée tout à fait normale, l’ambiance était détendue », raconte Epsirkhanov. « Vous occupiez peut-être votre matinée dans l’attente de l’arrivée de l’arme [demandée à votre cousin] ? », interpelle le président Franck Zientara.

Question rhétorique à laquelle l’accusé n’a pas le temps de répondre avant que la cour ne poursuive : « Vous n'avez jamais été tenu au courant de ce que préparait Anzorov ? » Dans le box, l’accusé répond fermement : « Jamais, jamais ! […] Je n’ai pas perçu sa radicalisation ».

Le jour de l’attentat

Le 16 octobre 2020, très tôt dans la matinée, Abdoullakh Anzorov fait de nouveau part à Azim Epsirkhanov de sa volonté de trouver un pistolet. Les deux échangent par message.

Le président l’interpelle : « vous ne perceviez pas le caractère urgent de se procurer une arme ? ». L’accusé répète une nouvelle fois, d’un ton assuré, qu’il ne perçoit pas le danger.

Ce jour-là, Azim Epsirkhanov assure qu’il est resté à Rouen, où il habite. « J’ai passé ma journée à déposer des CV pour continuer mes études en alternance », justifie le jeune homme. Sans hésiter, il souligne qu’il ne savait pas que ce jour-là, un attentat était en préparation.

« Le soir du 16 octobre on me dit par un SMS, qu'Anzorov s'est fait tuer par la police, raconte Epsirkhanov. Je ne suis pas au courant de ce qu'il a commis à ce moment-là ». Dans la soirée, il apprend qu’un attentat a eu lieu en région parisienne. 

C'est un proche qui lui montre la revendication d'Anzorov de l'assassinat de Samuel Paty sur les réseaux sociaux. « Je suis sous le choc, explique l'accusé, je n'y crois pas. Mais au fil de la soirée, son identité se confirme ».

Sans sourciller, ni changer de ton, l’accusé poursuit : « je me remémore ce qu'on a fait la veille, l'achat d'un couteau [retrouvé sur la scène de crime, ce dernier n'est néanmoins pas celui ayant servi à décapiter le professeur d'histoire-géographie, ndlr] et je comprends. Tout se passe très vite, tout est en accéléré, je me retrouve dans une spirale dans laquelle je suis embarqué ».

« Je ne me sens pas responsable »

Devant la cour, Azim Epsirkhanov souligne qu’il aspire désormais à une vie normale, « aujourd’hui j’ai revêtu un costume devant vous, mais j’aurais aimé le mettre pour chercher un travail. J’ai le souhait d’une vie de famille stable, un projet de mariage avec ma copine ». Assise sur les bancs du public, sa petite amie, Coline, esquisse un sourire.

Presque jamais Azim Epsirkhanov n’a vacillé. Toute la journée, questionné sans relâche, il a répondu au tribunal.

En fin d’audience, à la question de l’avocat général : « vous sentez-vous une part de responsabilité ? », le jeune homme patiente quelques secondes avant de répondre : « Je ne sais pas, acheter ce couteau, la recherche d’arme… Il aurait pu le faire tout seul. Je ne sais pas si je peux dire aujourd’hui si je suis responsable d’une logistique, mais je ne me sens pas responsable ».

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