Malgré le Brexit, le nombre d'embarcations de migrants qui traversent la Manche pour rejoindre l'Angleterre ne faiblit pas. Certains voient dans cet "Eldorado" de meilleures conditions de vie. Mais est-ce vraiment le cas ? Pour cette avocate au barreau de Rouen, la réalité est plus complexe.
Le Brexit n'a rien changé. Il suffit de se pencher sur la situation à Calais pour voir que les personnes migrantes venues de l'extérieur de l'Europe rêvent encore de poser un pied sur les côtes britanniques. Quelques années après le démantèlement de la jungle, en octobre 2016, nombreux sont ceux qui cherchent encore à traverser la Manche : plus de 21 000 personnes ont fait la traversée depuis le début de 2021, selon le décompte de l'agence de presse britannique PA.
Pourtant, selon Blandine Quevremont, avocate au barreau de Rouen, le Royaume-Uni n'est pas forcément plus accueillant que la France en termes de politique d'accueil des populations migrantes. Quelles sont les différences entre les deux pays ?
Conditions de travail : le mirage anglais
"Pour des raisons historiques ou des raisons familiales, certains pensent qu'il est plus facile d'être en situation irrégulière en Angleterre qu'en France", affirme Blandine Quevremont, avocate au barreau de Rouen. Seulement, de l'autre côté de la Manche, la réalité n'est pas si rose que ça.
Côté droit du travail, les conditions sont les mêmes qu'en France. Dans l'hexagone, travailler sans papiers ou sans autorisation de travail est interdit par la loi. Une personne étrangère ne peut travailler en tant que salarié que s'il obtient une autorisation de travail provisoire délivrée par la préfecture.
Un employeur qui recruterait un étranger non muni d'un titre l'autorisant à travailler se verrait sanctionné d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros.
Au Royaume-Uni, travailler illégalement, soit sans papiers, est également interdit et constitue "une infraction", rappelle l'avocate. Ainsi, les personnes migrantes qui s'y exposent risquent des peines de prison pouvant aller jusqu'à six mois. Par ailleurs, les demandeurs d'asiles sont également passibles d'une peine pouvant aller de trois mois à cinq ans, s'ils travaillent pendant la durée de l'examen de leur dossier.
Les rudes conditions de travail des populations migrantes au Royaume-Uni poussent parfois certains à retraverser la Manche dans le sens inverse, comme le raconte cet article de 2018 d'Amnesty International sur la "désillusion des migrants" face au "mirage anglais".
En termes de protection sociale, "aucun avantage"
Ainsi, selon Blandine Quevremont, "il n'y a aucun avantage en termes de protection sociale" au Royaume-Uni. En ce sens, par exemple, "l'accès au logement locatif est rendu presque impossible", ajoute-t-elle.
L'accès aux soins des populations migrantes est protégé par le droit international des droits de l'homme, selon lequel "les États doivent fournir des services de santé aux migrants ainsi qu'à leurs ressortissants", rappelle le site de l'ONU. Dans les faits, l'organisation rappelle que les pays peinent à réaliser pleinement ce droit, notamment envers les migrants en situation irrégulière.
En France, il existe un droit à "recevoir certains soins médicaux", précise Blandine Quevremont. Les demandeurs d'asile peuvent alors bénéficier de la protection universelle maladie (PUMa).
En attendant de l'obtenir (délai de trois mois), ils sont également dans le droit d'accéder à des soins urgents, recouvrant "les soins dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital", tous les soins destinés à une femme enceinte et à son nouveau-né (des examens de grossesse jusqu'à l'accouchement et au suivi post-natal), ainsi que ceux qui empêcheraient la propagation d'une maladie au reste de la population. Du côté du Royaume-Uni, "l'accès aux soins est rendu compliqué", affirme l'avocate.
De même, poursuit-elle, l'allocation de demande d'asile y est plus faible qu'en France : "à peine plus de 5 livres sterling par jour", soit l'équivalent de 5,95 euros, rapportait en 2020 le site Infomigrants.
Alors qu'en France, son montant journalier, défini selon le nombre de personnes composant le foyer, peut varier entre 6,80 euros pour une personne, et 37,40 euros pour dix personnes. Elle peut être versée à un demandeur d'asile pendant la période durant laquelle il n'a techniquement pas le droit de travailler, soit pendant un délai de 6 mois.
Le droit au rapprochement familial fragilisé
Si côté français, le rapprochement familial est autorisé selon plusieurs conditions, il devient de plus en plus compliqué outre-Manche, notamment depuis le Brexit.
"Auparavant, le Royaume-Uni était tenu par les accords de Dublin (signés en 2013 par les pays membres de l'Union européenne, ndlr), et donc il devait appliquer le droit au rapprochement familial des demandeurs d'asile et des réfugiés", explique l'avocate. Mais aujourd'hui, il "n'applique plus ces accords."
Le gouvernement britannique est en train de "durcir (s)a politique d'asile", rappelle enfin Blandine Quevremont. Pas plus tard qu'en mars dernier, il a présenté à la Chambre des communes, une réforme du système d'asile qui entend différencier les personnes entrées légalement de celles entrées illégalement dans le pays, en ne leur accordant plus les mêmes droits. Un des objectifs affiche précisément le fait de "faciliter le renvoi des personnes arrivées illégalement".
Our New Plan for Immigration is based on 3 key aims:
— Priti Patel (@pritipatel) March 24, 2021
?? To support those in genuine need via safe & legal routes.
❌ To break the life-threatening business of criminal people smugglers.
? To make it easier to remove illegal arrivals with no right to be here.
Firm but fair. pic.twitter.com/t5Re0EfIoB
Début juillet, le ministre de l'Intérieur anglais a également annoncé que les migrants risqueraient également quatre ans de prison pour une traversée illégale de la Manche.