Natif de Cherbourg, l'archer Damien Letulle a participé aux Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996 avant qu'un grave accident ne vienne briser sa carrière. Tétraplégique, le sportif normand a repris l'arc et les flèches pour un nouveau défi : participer aux Jeux Paralympiques de Paris.
Pendant 20 ans, il n'a pas tiré une seule flèche. Le 1er septembre prochain, il visera une médaille. Après avoir vu sa carrière sportive brisée par un terrible accident à l'âge de 27 ans, Damien Letulle, la cinquantaine passée, renoue avec la compétition au plus haut niveau. Certes, son corps est différent mais sa rage de vaincre reste la même
Atteint d'une tétraplégie "incomplète", le sportif normand peut bouger ses bras mais pas ses doigts. Il tire ses flèches en actionnant le décocheur d'une légère rotation du coude. "Quand mon projet Paris 2024 est né, je m'y suis remis à fond. Mais je me suis vite confronté à un corps différent. Il a fallu adapter les entraînements, optimiser chaque flèche pour moins en tirer", raconte l'ancien président de l'Octeville HS tir à l'arc.
Concentré, l'œil rivé sur la cible posée à 50 mètres de son fauteuil, l'athlète reçoit au Creps des Pays de la Loire (Centre de ressources, d'expertise et de performance sportives), près de Nantes, où il s'entraîne depuis plusieurs mois. Cela fait 28 ans qu'il n'avait pas "rêvé de médaille".
Une chute de plusieurs mètres
Ancien pilier de l'équipe de France, troisième aux Championnats d'Europe de 1996, il avait participé la même année aux Jeux Olympiques d'Atlanta.
Un an plus tard, à l'Insep, temple du haut-niveau français, Damien Letulle fait une chute de plusieurs mètres. "Je suis sorti sur la terrasse, je me suis assis sur une fenêtre de toit et elle a cassé sous mon poids. Je suis passé à travers, cinq mètres plus bas. Ce qui m'a brisé la colonne vertébrale et donné un gros hématome au niveau de la tête." Suivront trois semaines de coma. "Je me suis réveillé dans un nouveau corps, un scaphandre. Il n'était plus question de tir à l'arc mais de reprendre goût à la vie. De toute façon, à l'époque, il ne pouvait pas y avoir pour moi de sport de haut niveau dans un corps qui ne fonctionne pas à 100%", se souvient-il.
Des projets pour sortir du handicap
À 25 ans, il "réapprend à vivre" grâce à de nouveaux projets, un site internet dédié aux "sports occultés", puis une entreprise qui délivre conseils et matériel pour favoriser la sexualité des personnes handicapées. "Ce sont les projets qui font sortir du handicap. On peut être bloqué dans son corps et vivre avec la rage de ne pas arriver à faire ci ou ça, mais on n'avance pas très loin. Je ne me réveille pas en souhaitant remarcher ou rebouger mes doigts. Ce à quoi je pense le matin au réveil, le soir quand je me couche, la nuit dans mes rêves, c'est mon projet sportif", raconte-t-il.
Son ancien coéquipier Sébastien Flute, médaillé d'or aux JO de Barcelone en 1992,se dit "impressionné par le bonhomme". Parrain de ses deux fils de 13 et 17 ans, le directeur sportif des épreuves de tirs à l'arc des Jeux de Paris loue le sens de l'humour "constant,parfois déstabilisant" de son ami et sa "force d'esprit sans limite".
Des jeux "à la maison"
À 10 ans, à ses débuts à Cherbourg, sa ville natale, il n'était "pas très très bon", dit-il, mais son "âme de compétiteur" détestait se faire "battre tous les dimanche". Alors il persévère, jusqu'à intégrer l'équipe de France. Il a retrouvé sa "rage de vaincre" en apprenant que les Jeux 2024 se tiendraient à Paris, "à la maison". L'adaptation de son matériel en vue de la compétition n'a pas été évidente. Pour ne pas s'épuiser en allers-retours, il observe son score sur son smartphone grâce à une caméra posée devant la cible.
Quant à son décocheur sur mesure, il a été conçu par l'un de ses amis ingénieur et archer amateur, sans qui "rien n'aurait été possible". "Il y a eu facilement 15 versions, sur deux, trois ans: il fallait éliminer tout biais, tout frottement parasite", explique Simon Julien. À l'approche des Jeux, Damien Letulle note ce "bon signe" du destin: les épreuves de tir à l'arc auront lieu aux Invalides, là où il y a plus de 25 ans, il avait entamé sa convalescence.