Roger Labranchu soufflera ses 102 bougies en juillet prochain. Avant son anniversaire, cet ancien champion d'aviron, rescapé du camp de Buchenwald, va porter la flamme olympique le 31 mai au Mont-Saint-Michel.
"J'ai démarré l'aviron en 1937, à l'âge de 15 ans. Et j'ai fini à plus de 80. J'ai passé 63 ans à ramer !" Dans une pièce de sa maison d'Agon-Coutainville, dans la Manche, Roger Lebranchu conserve précieusement pas loin de 300 médailles et autres trophées. "J’ai été neuf fois champion de France. J'ai fait quatre championnats d’Europe, dont deux fois quatrième. Et après, j’ai eu 20 fois les régates mondiales à l'aviron dans toutes les catégories vétéran, de 35 ans jusqu’à 80." À bientôt 102 ans, Roger Lebranchu a repris l'entraînement depuis quelques semaines. L'ancien champion a juste troqué les rames pour le vélo d'appartement. "Ça entraîne les genoux."
Après avoir pédalé durant une vingtaine de minutes, le Normand d'adoption poursuit ses exercices en portant une bouteille d'eau à l'envers. "Un litre et demi, ça fait un kilo cinq". Soit le poids de la flamme olympique. Avec le spationaute Thomas Pesquet, Roger Lebranchu sera l'un des relayeurs au Mont-Saint-Michel ce vendredi 31 mai dans la Manche.
Dans le cœur du centenaire, beaucoup de fierté. "Je suis le doyen de toute la France ! Il n’y a pas plus vieux !". Une fierté teintée toutefois d'une pointe d'appréhension. "200 mètres, ça fait beaucoup. J'ai peur de pas pouvoir marcher longtemps. Et je sais qu'il va y avoir des reportages alors, je veux bien présenter." Son petit-fils Antoine, qui l’a convaincu de se lancer dans ce nouveau défi, est là pour le rassurer. "Je serai à côté de toi pour t’aider à finir", assure le quadragénaire, "Et puis, t'es pas obligé de battre un record en courant !"
L'aventure olympique
Antoine connaît bien son sportif de grand-père. "J'ai toujours aimé être le premier", confie Roger dans un grand éclat de rire, "Même avec mes petits-fils. Quand on faisait du ski ensemble, à 14 ans, il voulait me passer devant. Il n'y arrivait pas. Je lui disais : attend, ça viendra un jour." En 2012, le duo s'est rendu à Londres pour assister aux jeux olympiques. 64 ans plus tôt, sur la Tamise, le jeune Roger Lebranchu y représentait la France lors des premières olympiades organisées après la Seconde Guerre mondiale. "On a défilé au stade de Wembley devant le roi Georges VI. Il y avait aussi Elizabeth", se souvient l'ancien sportif de haut niveau. Hélas, l'aventure olympique s'arrêtera rapidement. "La première course qu’on fait, on tombe sur les Américains. Et c’est eux qui ont gagné les jeux. On n’a pas eu de chance de rencontrer les plus forts tout de suite." Cette défaite constitue pourtant une grande victoire.
Deux ans passés dans un camp, à Buchenwald
En juin 43, Roger Lebranchu et ses camarades sont arrêtés dans le sud de la France. "Il nous a alignés contre le mur, il a sorti son pétard et à 100 mètres, il nous a tirés au-dessus de la tête. On prenait les bouts de plâtre sur la figure." Depuis plusieurs mois, le jeune homme est en cavale pour échapper au STO (travail obligatoire) avec le soutien de la Résistance. Avec ses compagnons d'infortune, il est envoyé à Compiègne avant d'embarquer pour une sinistre destination. "Pendant trois jours, on était dans des wagons, sans manger, ni boire. Pour nous rafraîchir, on léchait tout ce qu’était en ferraille parce qu’il y avait la condensation."
Roger Lebranchu a 22 ans quand il arrive au camp de Buchenwald. "À notre arrivée, ça a tapé de tous les côtés. Ils nous ont déshabillés et nous ont plongés dans un grand bassin avec la tête pour nous désinfecter. Et après, ils nous ont rasés, tout le corps." Le premier mois, le jeune homme est affecté à la carrière. "Je cassais des pierres et je les montais parce qu’ils agrandissaient le camp. Ça se passait comme à Cayenne, si vous voulez. On était vraiment des bagnards." Faute de main-d’œuvre, mobilisée sur le front de l'est, l'armée allemande envoie ensuite ces prisonniers travailler dans des usines. "Avec un ami, on a fait du sabotage. On travaillait sur des trains d'atterrissage de Messerschmitts. On a appris plus tard que certains s'étaient écrasés. C'était notre victoire."
Un SS tous les 100 mètres
Roger restera prisonnier pendant près de deux ans. Un soir d'avril 45, alors que les Américains approchent à grands pas, les soldats allemands font évacuer les prisonniers à travers bois. "Nous les Français, on s’était passé le mot : marchez le plus longtemps possible pour allonger la colonne. Au lieu d’avoir un SS tous les 10 mètres, on n’en avait plus qu’un tous les 100 mètres. À un moment, je regarde autour de moi. Je ne vois personne. Je suis parti à toute vitesse dans les champs. Ça tirait. Le lendemain matin, les chars américains sont arrivés. J’ai été libre tout de suite."
Un an plus tard, Roger décroche son deuxième titre de champion de France d'aviron. "À la sortie du camp, j'ai repris tout de suite." Trois ans après sa libération, le jeune Français est à Londres pour représenter son pays aux jeux olympiques. "Le sport m’a sauvé", estime aujourd'hui Roger Lebranchu. "Au camp, il y avait beaucoup d’étudiants. Pour eux, c’était difficile, à commencer par le manque de nourriture. Moi, j’ai passé ça. J’ai toujours fait du sport alors, j'étais toujours combattant. Ma survie, je la dois à la volonté. Je me suis dit que j'y arriverai. Au sport, on souffre. On va au-delà de soi-même."