"On mangeait des mouettes, des glaçons nous tombaient du nez". Les incroyables souvenirs des pêcheurs Terre-neuvas

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Au festival "Les voiles de travail", à Granville dans La Manche, l'association "mémoire et patrimoine des Terres-Neuvas" propose des ateliers de découpe de la morue, le fameux cabillaud salé. Les visiteurs plongent ainsi dans les archives de la grande pêche, dans les années 50/60 grâce au récit et aux démonstrations des marins de l'époque.

Piquer la tête pour ne pas abîmer la chair du précieux cabillaud... Comme à l'époque de la grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve, chaque marin a son rôle à bord. Le piqueur trie, le décolleur enlève la tête et les tripes. Mais tout ne sera pas jeté par-dessus bord. 

Ce jour-là, à Granville, pour la démonstration au public, Jean-Claude Demer est au poste de trancheur. Il transforme un poisson rond en poisson plat. Des gestes qu'il connaît par cœur après trente-sept ans de métier.

Jean-Claude a embarqué sur un bateau à15 ans pour "libérer ses parents d'une bouche à nourrir." Parti de Saint-Malo, il est rentré à la maison six mois et huit jours plus tard. Il explique repartir pour des périodes de cinq mois, puis de 134 jours. De retour à terre, direction l'école hydromaritime pour devenir Lieutenant, patron de pêche et Capitaine.

J'ai navigué à la grande pêche pendant trente sept ans et demi. Avec l'équipage, on tranchait six cents cinquante poissons à l'heure. On était jeune, c'était à celui qui allait le plus vite.

Jean-Claude Demer, ancien Terre-Neuva

Pour Jean-Claude, les souvenirs restent vivaces, les conditions de travail  notamment, la météo très rude avec un froid jusqu'à -25°C/-30°C. 

Des glaçons nous tombaient du nez, nous avions les oreilles gelées, de la glace sur les mains, une épaisseur de glace entre le ciré et le pull, et on restait là, fixes pendant douze heures, douze heures de travail et six heures de repos... Et tout le temps comme ça !

Jean-Claude Demer, ancien Terre-Neuva

Les marins ne recevaient pas de courriers à bord. Il n'y avait pas non plus de médecin. Pour les repas, ils mangeaient... des mouettes ! Et bien sûr du poisson. "On mange la langue, l'ouïe, le cœur. Tout est bon dans le cabillaud, sauf les yeux. On faisait les lèvres, le tour de gueule en fricassée. On mangeait ça à minuit; on appelait ça les petits plats", se souvient Jean-Claude.

Certes, les jeunes étaient nourris et logés à bord. Ils se faisaient de l'argent, payés 1/5e du produit de la vente et selon la fonction qu'ils occupaient. Néanmoins, Jean-Claude avoue que la solde restait mince par rapport au nombre d'heures de travail effectué.

Garder la mémoire du métier

Pour s'assurer un pécule, les marins mettaient de côté les langues et les joues dans des barriques pour les vendre l'hiver dans les fermes.  

Son ami et collègue René Collin se souvient, lui qui est arrivé par hasard au métier de pêcheur. Issu d'une famille d'agriculteurs, il a décidé de prendre la mer en 1964. Il a navigué à Terre-Neuve pendant onze ans avant d'être licencié par l'armateur pour des problèmes techniques. Il poursuit ensuite son métier sur l'eau pendant trente-cinq ans, faisant l'impasse sur sa famille. Les bateaux partaient cinq mois et revenaient à terre quinze jours, trois semaines, concède-t-il. Ces conditions de vie, René tient à les partager avec le public.

On voudrait préserver la mémoire de notre travail. Nous sommes la dernière mémoire. Il n'y a pas de relève. Le tranchage de la morue à bord n'existe plus car cela fait trente ans que l'on ne vas plus à Terre-Neuve.

René Collin, ancien Terre-Neuva

Aujourd'hui, la pêche à la morue se fait sur les côtes. Elle est mise dans la glace et est travaillée à terre. Les bateaux la pêchent en petite quantité car ils doivent respecter un quota. René explique qu'à  l'époque, il y avait de nombreux bateaux à Terre-Neuve, entre cinquante et soixante. Les cales étaient remplies, il n'y avait pas de limite de tonnage. 

Le marin garde une certaine nostalgie de cette période. Il dit avoir retrouvé "sa vraie famille", celle des Terre-Neuvas à partir de sa retraite en 2000. "C'était un travail très dur, nous étions soudés et ça, on le garde toute sa vie, comme une piqûre que l'on a reçue. Si c'était à refaire, je repartirai à Terre-Neuve. Il y a eu de la souffrance, des malheurs mais c'était notre vie !"

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