Les guides en Normandie espéraient une reprise des activités touristiques après le 19 mai. Le déconfinement, le pass sanitaire, etc devaient aider. Mais c'était sans compter sur le variant indien : la profession est l'une des plus impactée du monde de la culture et du tourisme, dans l'ombre.
Ils sont plusieurs centaines à détenir la carte professionnelle de guides-conférenciers en Normandie : spécialisés dans Giverny, les impressionnistes, le Mont-Saint-Michel, sa baie, les plages du débarquement ou ses musées.
Les américains annulent leurs voyages et les asiatiques ne seront pas là
La plupart de ces guides travaillent en free-lance avec un statut d'auto-entrepreneurs, d'autres sont en CDD plusieurs mois par an et jonglent avec plusieurs missions. 80% d'entre eux sont des femmes, trentenaires ou quadra le plus souvent. "Le moral ? On est résignés. Je ne croyais déjà pas trop à une reprise cet été mais le variant indien ne va rien arranger" explique Amélie Saint-James, basée à Avranches. "Il y a trop de retard à l'allumage. Les gros voyages ne se font pas au dernier moment. Il y aura quelques touristes isolés mais ce n'est pas la clientèle avec qui on travaille le plus. Tous les organismes américains qui avaient tenté de monter des choses et qui m'avaient réservé des créneaux sont en train d'annuler les uns après les autres."
Ces dernières années au Mont Saint-Michel, les japonais, les sud-coréens et les asiatiques en général étaient nombreux à solliciter les services de guides. Pour le moment, il n'y a aucune reprise avec les voyageurs issus de cette partie du monde, ni même avec ceux d'Amérique du sud qui se présentait comme un nouveau marché en plein essor. Quant aux européens : les Espagnols et les Italiens étaient de plus en plus nombreux mais ils ne sont pas venus l'été dernier. "J'ai travaillé un tout petit peu avec des belges ou des touristes des pays du Nord. L'an dernier j'ai fait 170 heures, entre juillet et octobre", précise avec une certaine moue, Cécile Loiseau, guide dans la Manche et en Bretagne. "Sur ma déclaration d'impôt, malgré mon chômage, mes revenus en 2020 ont baissé de 40%."
"C'est encore un vrai gâchi, on va encore se retrouver sans rien et dépendre des aides en espérant qu'elles durent. Je suis en train de perdre 6 mois de travail réalisé cet hiver pour préparer mes plannings et les sorties réservées", raconte Amélie Saint-James. L'annonce d'une quarantaine obligatoire pour les Britanniques entrant en France ce 26 mai 2021, met un point final à tous les espoirs de reprise. Car le variant indien n'est pas présent qu'en Europe, loin de là. C'est une nouvelle menace qui plane sur l'été.
Il y a une focalisation sur les théâtres, le spectacle vivant, les cinémas, comme si le malaise de la culture ne se résumait qu'à ça ! Mais nous, nous faisons vivre le patrimoine et nos monuments. Mais personne ne se préoccupe de nous. On n'était même pas profession prioritaire pour la vaccination, alors que les gens qui travaillent dans l'évènementiel, oui.
Un nombre important de reconversions
"Mon métier je le fais depuis plus de 20 ans et je l'aime mais après l'arrêt brutal de toutes nos activités en mars 2020, je me suis dit qu'il fallait penser à changer de métier", explique Cécile Loiseau qui a suivi une formation de traductrice pour "diversifier encore un peu plus ses activités prochainement."
C'est quelque part une reconversion et elle n'est pas la seule à y avoir pensé. "On en connait qui ont jeté totalement l'éponge pour passer le CAPES d'histoire et devenir prof. Un collègue a même quitté la Normandie pour s'installer dans le sud et tourner définitivement la page. Je ne suis pas sûre que tout le monde y revienne, parmi ceux qui ont commencé autre chose."
Des indépendants qui ne cessent de s'adapter aux conditions : les langues, les changements de statut, l'après-Coronavirus, etc. Il y a comme une angoisse du lendemain qui est en train de naître dans cette profession fragile. Ces femmes et ces hommes ont en général un bac +3 ou bac +4 et sont polyglotes. "Même les accès aux monuments sont de plus en plus compliqués et ça a commencé avant la crise sanitaire. C'est usant. C'est un poids d'être le plus petit maillon de la chaîne."
Sur leur carte professionnelle, ils dépendent du ministère de la culture mais aussi du secrétariat d'Etat au Tourisme. Et pourtant, ils se sentent abandonnés. "On a touché des aides quand on pouvait justifier d'un chiffre d'affaires les années précédentes. Je ne m'en plains pas. Mais ça va durer encore combien de temps ?" Car pour eux pas de reprise en vue. Et pour ceux en CDD qui ont utilisé des droits chômage acquis, après autant de mois sans activité, les indemnisations sont réduites à peau de chagrin.
Notre ministre de la Culture s'inquiète beaucoup plus de l'opéra et du spectacle vivant, ça c'est sûr !
Il y a eu quelques aides de la Région également mais encore faut-il être adhérent de la fédération, ce qui n'est pas le cas de tout le monde.
C'est certain qu'on est bien impacté par la chute du tourisme de groupe et qu'il va falloir maintenant peut-être mener deux métiers pour s'en sortir. Même les sorties scolaires ont été annulées, j'en ai deux en juin alors que d'habitude, ça commence en mars.
Alors que la profession navigue à vue, Amélie tente de ne pas perdre son sourire. Le contact humain lui manque tant. "De toute façon ça va s'arranger. La question, la vraie, c'est de savoir quand?"