Le phénomène n'est pas nouveau, depuis les années soixante le rocher perd des habitants. D'après l'Insee, entre 2013 et 2019, le Mont Saint-Michel aurait encore perdu 5,5% de ses résidents.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, et malgré la visite de près de 2,5 millions de touristes chaque année, le Mont Saint-Michel est une commune française presque comme les autres. En toute logique on peut donc y trouver un bureau de poste, une mairie et des habitants dits "permanents".
Habiter le Mont Saint Michel : mode d’emploi
Onze moines et moniales de la Fraternité monastique de Jérusalem occupent l'abbaye, quelques fonctionnaires du Centre des monuments nationaux bénéficient de logements de fonction, une poignée de familles occupe quatre fermes situées sur les polders à quelques kilomètres. En tout le Mont Saint-Michel compte donc une trentaine d’habitants. Sur le rocher, parmi les seuls à n’être ni moines, ni fonctionnaires de l’Etat, il y a le couple Lebrec. Ines et Jean-Yves occupent une maison de famille depuis une dizaine d’années. Située à proximité du sanctuaire de saint Michel sur la Grande Rue, la demeure est un joyau d’architecture médiévale dont les fenêtres ouvrent au-dessus des remparts sur une vue à couper le souffle sur la baie.
La lumière est tout le temps différente, on a l’impression de vivre dans le ciel, quand j’ouvre la fenêtre le matin je découvre à chaque fois un paysage digne des tableaux de Turner en beaucoup plus beau…
Jean-Yves Lebrec: habitant du Mont Saint-Michel
Au-delà de la magie du lieu et du sentiment de se sentir privilégié, Jean-Yves l’admet, habiter le Mont Saint-Michel n’est pas de tout repos. Il faut tolérer un flot de touristes constant, composer avec le rythme des marées qui de temps en temps transforment le Mont en île, et surtout il faut accepter de se plier aux règles de sécurité qui limitent fortement l’accès au rocher. Depuis que le Mont Saint-Michel a retrouvé son caractère maritime, visiteurs et habitants sont obligés d’emprunter une passerelle, seule et unique route pour se rendre sur le site. Pour parcourir cette passerelle il n’y a que trois solution, monter à bord d’un bus navette, s’équiper d’une bicyclette ou prendre son courage à deux mains et choisir la marche à pied. Moralité le simple fait d’acheter une baguette de pain peut rapidement devenir un véritable périple de plus d’une demi-heure pour trouver la première boulangerie ouverte sur le continent. En effet, sur le rocher vous ne trouverez que des magasins de souvenirs et des établissement d'hôtellerie-restauration destinés aux touristes.
Pour Habiter le Mont, il faut aimer le Mont, si vous l’aimez passionnément, ce qui est mon cas, tout
Jean-Yves Lebrec: habitant du Mont Saint-Michel
De moins en moins d’habitants au Mont Saint-Michel
De parole de montois, le village a concrètement commencer à se dépeupler dans les années soixante, en fait en même temps que se développait le tourisme de masse. La plupart des familles présentes à l’époque ont choisi de convertir leur habitation en commerce et ont préféré déménager sur le continent. En 1973 la petite école fermait, et voilà comment en un peu plus de 40 ans la population est passée de 100 à environ 40 habitants.
Pour Jacques Bono, maire du Mont Saint-Michel depuis bientôt deux ans, les derniers aménagements du site ont également joué un rôle important dans le dépeuplement du mont. D’après lui depuis le rocher aurait encore perdu une douzaine d’habitants faisant passer la population de 41 à 29 entre 2013 et 2016 c’est à dire pendant la construction de la passerelle. En effet grâce à l’édification de cet ouvrage, les anciens parkings au pied du mont ont disparu. Les quelques rares véhicules autorisés à se garer sous les remparts sont ceux des livreurs, des artisans, des pompiers et des militaires et ils ne peuvent stationner qu’une heure. Condamnés à emprunter le même chemin que les touristes, une douzaine d’habitants a donc préféré fuir le rocher.
Cela devenait trop compliquer pour ces habitant d’emmener les enfants à l’école ou de faire ses courses tout simplement.
Jacques Bono: maire du Mont Saint-Michel
Aujourd’hui la population du Mont Saint-Michel semble s’être stabilisée autour d’une trentaine d’habitants. Le maire souhaiterait voir ce chiffre augmenter mais il confie qu’il a peu d’espoir. Près de 80% des biens immobiliers sur le rocher appartiennent à l’état, ils sont classés et il est impossible d’en faire des habitations privées. L’édile témoigne également de son inquiétude : si le Mont Saint-Michel perdait la totalité de ses habitants, le village deviendrait alors un musée à ciel ouvert sous le contrôle total d’un EPIC (Etablissement Public à Caractère Industriel et commercial) comme le château de Versailles, la souveraineté complète du site reviendrait donc à l’état et le poste de maire n’aurait plus aucune raison d’être. Moralité, dans ce lieu à la fois symbole religieux, outil de tourisme industriel, et source d’argent capitale pour le centre des monuments nationaux, tout peut prendre une dimension inattendue et devenir un point de cristallisation d’une lutte de pouvoirs sous le regard bienveillant de l’archange.