Un "navire-espion" au large de la Normandie : inquiétant ou anecdotique ?

En ce mois de septembre, un navire russe connu pour ses missions d'espionnage croise au large du Cotentin dans les eaux de la Manche. Quels sont les enjeux de sa présence en mer ?

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Le navire Yantar, "ambre" en russe, est un bâtiment hautement suspect. Les opérations qu'il a conduites par le passé ont permis d'identifier qu'il se livre, au-delà de ses recherches océanographiques classiques, à des missions d'espionnage. Le mercredi 13 septembre, le bateau a croisé dans les eaux de la Manche, au large du Cotentin. En conséquence, la marine nationale a dépêché un patrouilleur de service publie (PSP) afin de surveiller ses activités. 

Un "navire-espion" ? 

A première vue, le navire Yantar est un bâtiment militaire russe classique, qui navigue en toute légalité dans les eaux internationales. Il a officiellement été conçu pour réaliser des recherches océanographiques sur les fonds marins. Officieusement, ce bateau a une deuxième fonction, note la journaliste Tiphaine Gaudin de la publication spécialisée dans le renseignement Intelligence Online : "Personne n’est dupe, il est sans aucun doute utilisé pour des missions d’espionnage, notamment des câbles sous-marins." 

Pour autant, sa présence dans les eaux de la Manche n'a rien d'illégal, puisqu'il s'est renseigné auprès de la sécurité maritime. "Il s’annonce au centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage, il affiche son AIS [système automatique d'identification], il navigue donc en sécurité. Pour autant, c’est de notre responsabilité de le vérifier. Et tout simplement de le surveiller", explique Véronique Magnin, Porte-parole du préfet maritime et officier de communication pour la zone maritime Manche – Mer du Nord.

Pour quel type d'espionnage ? 

Les navires comme le Yantar sont principalement suspectés d'écoute. Sous couvert d'observation des fonds marins, ils peuvent dans le même temps faire de la surveillance des câbles sous-marins rattachés à des forces étrangères. "C’est le moyen de dire qu’ils sont en train de créer une forme de cartographie, de savoir où sont placés les câbles, s’ils sont abîmés ou pas", note Tiphaine Gaudin. 

Pour la journaliste, ce genre d'opération représente surtout une forme de communication de la part des autorités russes. Un moyen de prouver qu'elles sont présentes dans les eaux internationales et qu'elles ont des technologies de surveillance à disposition. "Comme pour les avions, c’est aussi un moyen de calculer le temps de réaction des armées francaises et britanniques, de voir quel type de navire est envoyé, s’il y a des missions conjointes des forces de l'OTAN", détaille-t-elle. Pour la France et la Grande-Bretagne, c'est également un mode de renseignement : "Ça permet de savoir ce que les russes savent."

Cette pratique d'espionnage n'est pas récente. Mais les technologies que le navire russe utilise le sont. D'après le professeur de criminologie au Concervatoire des Arts et Metiers Alain Bauer, le Yantar fait partie d'une "nouvelle génération de navires qui a succédé aux vrais-faux chalutiers civils" et qui dispose de "gros éléments océanographiques et sous marins". Il précise : "Ce ne sont pas des missions de lancement d’équipes armées, c’est beaucoup plus technologique, ce sont surtout des mini-sous marins guidés pour analyser les câbles."

Câble sous-marins : pourquoi les surveiller ?

Alors que les transmissions de données mondiales étaient majoritairement opérées par satellite dans le passé, l'essentiel des communications téléphoniques et autres liaisons internet passe désormais par d'immenses câbles sous-marins. "Il y a tout type de données", précise la chercheuse en droit public Camille Morel, "elles dépendent de l’opéraeur qui les gère. Dans un même câble, il peut y avoir des communications privées, commerciales, financières... Il n’y a peut être que du flux netflix."

Quoi qu'il en soit, pour intercepter de telles données, il s'agit de déployer des technologies pointues. Concrètement, selon les intentions du navire et des forces étrangères qui le guident, le geste est assez simple d'après Alain Bauer : "Soit on veut détruire et on coupe : c’est facile. Soit on veut se brancher et on se branche, comme on le faisait avant sur un tableau téléphonique, mais avec des moyens bien plus sophistiqués de cryptage et de décryptage."

Devenus stratégiques d'un point de vue géopolitique, les câbles sous-marins sont donc surveillés par de nombreuses armées dont l'armée française, qui est technologiquement très en avance sur cette question : "C’est l'un des trois plus gros opérateurs mondiaux, qui a beaucoup avancé en termes de technologie, alors la flotte de guerre française dispose de moyens identiques à celle de la Russie. La différence c’est que nous n’avons pas de "vrais-faux bâtiments civils" qui seraient déguisés comme les anciens chalutiers soviétiques", ajoute le professeur.

La Manche : une zone maritime stratégique ?

Le forces armées russes naviguent dans les eaux de la Manche régulièrement depuis quelques années. La raison? Cette zone géographique comprend des câbles sous-marins stratégiques qui relient l'Europe au Nord des Etats-Unis. "Une grande partie des activités françaises vont forcément transiter par le territoire américain", note la chercheuse Camille Morel, "mais rien n’est avéré sur la raison excate de la présence russe sur cette zone."

Comment savoir qu'un navire est en train d'espionner ?

Comme le Yantar est effectivement "déguisé", il est par nature difficile d'obtenir des informations précises sur ses activités. Néanmoins, certains indices permettent de savoir s'il effectue, oui ou non, des opérations de surveillance maritime. "Un passage inoffensif est un passage continu : on note bien que le bateau va d’un point A à un point B, en assumant sa fonction, en affichant ses directions. Si le bateau venait à stopper pour une raison qui ne soit pas connue, une avarie, la météo, ou quoi que ce soit, dans ce cas-là, l’Etat pourrait demander des comptes au navire", explique la Porte parole du préfet maritime Véronique Magnin. 

Il peut donc y avoir suspicion lorsque le navire se trouve dans un état stationnaire. "Ce qui l’embête, c’est quand on le pousse à sortir d’une position statique parce qu'il ne peut pas effectuer des missions plus approfondies que ce qu’il aimerait faire. C’est d’ailleurs pour cela qu’on dépêche d’autres bâtiments de guerre pour lui signaler qu’on l’a bien vu, qu’on sait ce qu’il est en train de faire", ajoute Alain Bauer. 

Le mardi 14 septembre 2021 au matin, le Yantar croisait au large de Calais. Il a depuis rejoint les côtes belges.

 

 

 

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