Dans la nuit du 12 au 13 novembre, près de 600 mètres de câbles téléphoniques ont été dérobés pour leur cuivre à Saint-Denis-sur-Sarthon, près d'Alençon. 300 foyers sont privés de communication. Le maire comdamne un "acte criminel". Et dénonce l'inaction de l'opérateur Orange.
Les lourdes trappes métalliques sont situées en bordure de la route nationale 12. Des coffres-forts qui recèlent ce que certains surnomment "l'or rouge", le cuivre parcourant les câbles du réseau téléphonique. Le métal suscite autant les convoitises que l'ingéniosité.
"Ils ont ouvert une première trappe ici et une autre trappe située à quelques centaines de mètres. Avec un véhicule dont on devine les traces, ils ont accroché le câble une fois sectionné pour l’emmener et tirer les mètres de câble", raconte Guimmaue Julien, le maire de Sain-Denis sur Sarthon, "C’est une action de gens bien organisés. Avec un toupet monstre puisqu’on est au bord de la nationale et que jusqu’à 1 heure du matin, il y a une circulation constante sur la route. On est à deux mètres de la route."
Jusqu'à 10 000 euros la tonne
Cette commune de 1100 habitants située à une dizaine de kilomètres d'Alençon n'est pas une victime isolée. Ces dernières années, les vols de cuivre se multiplient, notamment en zone rurale, à mesure que le cours de ce métal s'envole. En 2020, une tonne se monnayait 5700 euros. Elle se revendrait aujourd'hui jusqu'à 10 000 euros. Dans certaines communes, c'est l'éclairage public qui est pris pour cible par les voleurs. Mais pour ces derniers, l'eldorado c'est le réseau téléphonique cuivre.
Sur le site de l'opérateur Orange (ex France Telecom), son directeur des Relations avec les Collectivités Locales, Cyril Luneau, confirme: "nous observons une hausse constante et exponentielle de ces actes malveillants. Pour donner un ordre d’idée, nous avons enregistré plus de 1 300 vols sur ce premier semestre 2024 contre 1 500 sur toute l’année 2023, soit 1 200 km de câbles volés, 1 000 en 2022 et 200 en 2021". Selon certains observateurs, cette accélération s'explique par la fin du réseau cuivre programmée par Orange pour 2030.
Plus de câbles en stock chez Orange
À Saint-Denis-sur-Sarthon, ce sont 600 mètres de câble qui doivent être remplacés. "Personne, personne, personne n'est entré en contact avec nous", affirme le maire de la commune, particulièrement remonté. "Nous cherchons désespérément à obtenir des informations les futures réparations et nous n’avons hélas aucun interlocuteur. Nous avons essayé de joindre la direction régionale mais jusqu’à présent c’est le silence." Jointe par téléphone ce vendredi après-midi, la direction régionale de l'opérateur réfute cette accusation.
Elle reconnaît toutefois que les habitants vont devoir prendre leur mal en patience : deux à trois semaines minimum. Car la Normandie est loin d'être épargnée par ces vols de cuivre : une cinquantaine de faits similaires ont été recensés par Orange dans la région depuis le début de l'année, un vol en moyenne par semaine. Conséquence : il n'y a plus de câbles en stock.
"On ne peut plus travailler"
Une perspective impossible à accepter pour le maire de la commune. "Plus de 300 foyers sont privés de télécommunications, de box, d’internet, et les conséquences sont dramatiques. Je pense notamment aux personnes âgées qui disposent de téléassistance qui pour certains ont comme support les lignes fixes." Guillaume Julien évoque également la fermeture de la mairie - "J'ai renvoyé les personnels chez eux, on ne peut plus travailler"- de la maison France services qui délivre entre autres les papiers d'identité ou les difficultés du pôle de santé.
Au cabinet médical, “depuis mercredi matin, nous n’avons plus de téléphone, plus d’internet. On arrive à avoir un petit peu de connexions avec nos outils personnels, mais en dehors de ça les gens ne peuvent plus nous joindre, ne peuvent plus prendre rendez-vous, ne peuvent plus avoir un interlocuteur en cas d’urgence, nous ne pouvons plus télétransmettre et nous ne pouvons plus transmettre à la banque non plus. Donc nous n’avons plus rien", déplore Sarah Sarshian, médecin. "On arrive quand même à soigner les gens, heureusement, mais sans aucun support technologique."
"On perd sûr 2 ou 300 euros par jour"
Outre les services publics, c'est aussi une bonne partie de l'économie du village qui se retrouve paralysée. Faute d'internet, impossible de payer en carte bleue. "On a confiance dans nos clients. Ils viendront payer plus tard. Ou ils vont chercher un chèque et ils viennent payer après", explique Pascal Calixte, le boucher de la commune. Si la maison veut bien faire crédit, elle ne le fait pas avec n'importe qui. Le problème, c'est la clientèle de passage. "C'est pas qu'on ne veut pas mais on ne les connaît pas", se défend l'artisan. "On perd à peu près une vingtaine de clients par jour. Ça fait une perte quand même assez importante sur les recettes. Si on compte au moins dix euros par client, on perd sûr 2 ou 300 euros par jour."
Au lendemain de la découverte du méfait, le maire de Saint-Denis-sur-Sarthon s'est rendu à la gendarmerie la plus proche pour déposer deux plaintes. L'une contre X pour mise en danger d'autrui. L'autre vise l'opérateur Orange pour inaction. "Au baromètre THD ADSL Fibre (ndlr : le baromètre des connexions internet fixe), nous sommes la 27 459e commune sur les 29 501 en France. C'est terrible !", tempête Guillaume Julien, "Orange aurait dû déployer la fibre au 31 décembre 2023. Aujourd'hui, il y a 0% de fibre. Si Orange avait fait son travail, la commune ne serait pas paralysée."
Les oubliés de la fibre
L'édile est d'autant plus remonté que, selon lui, des bobines de fibre sont stockées "depuis plusieurs semaines" à 200 mètres de chez lui. Pour cette seconde plainte, l'élu normand s'est inspiré d'une démarche lancée par la communauté d'agglomération de Paris-Saclay deux ans plus tôt et s'appuyant sur le code des postes et des communications électroniques."Le procureur d'Evry a pris en compte la plainte et a décidé de poursuivre. Certes, Saint-Denis-sur-Sarthon n'a pas le même poids que Paris-Saclay mais je ne vois pas pourquoi ce qui marche pour cette agglomération ne marcherait pas pour notre commune Rien ne justifie que Saint-Denis soit oubliée de la fibre."
S'il semble un peu tôt pour savoir si la plainte aboutira, la démarche fait déjà parler d'elle. "Le sous-préfet m'a appelé pour me demander si j'avais déposé plainte", se félicite Guillaume Julien.