15 jours après avoir triomphé dans le prix d'Amérique, le cheval entraîné dans l'Orne a survolé le prix de France. Il est incontestablement le meilleur trotteur du monde. Son entraîneur dit de lui que c'est "une Ferrari". L'éleveuse qui l'a fait naître dans le Calvados "remercie le ciel"...
Ils ne sont pas nombreux les champions à avoir réussi le doublé prix d'Amérique / prix de France. "Parfois, 14 jours après, on met un genou à terre, justifie son entraîneur Thierry Duvaldestin dans un langage imagé. Mais en ce moment, il vole, il est plus fort que les autres."
Le prix de France est une épreuve de vitesse, un sprint d'un peu plus de 2000 mètres qui rassemble le gratin du trot mondial. C'est un peu la revanche de l'Amérique. Ce dimanche 11 février 2024, Idao de Tillard a marqué les esprits en s'imposant avec une facilité déconcertante. Il a même fait tomber le record de la course.
Le cheval vole
Le phénomène marche dans les pas des géants. Il reste sur huit victoires consécutives. À seulement six ans, il a déjà remporté 2,1 M d'euros sur les hippodromes.
Le poulain avait tapé dans l'œil de Thierry Duvaldestin lors d'une vente à Caen en 2019. Le célèbre entraîneur l'a acheté en association avec Cyril Sevestre pour une somme de 27 000 euros qui, avec le recul, apparaît très raisonnable...
À la maison, c'est un cheval gentil, mais une fois en course, il couche les oreilles comme un lièvre et il ne veut pas que les autres le doublent. Il a cette force-là, mais on ne sait pas d'où elle vient en vérité.
Thierry DuvaldestinEntraîneur d'Idao de Tillard
À l'heure où beaucoup ne jurent que par les produits d'étalons connus et reconnus comme Ready Cash, Idao ébranle quelques certitudes. "C'est un cheval normal. Il n'a pas une origine si prestigieuse, s'étonne encore Thierry Duvaldestin. Il a plein de gènes qu'on n'explique pas."
"C'est une alchimie qui nous dépasse"
Sur le mur qui fait face à son petit bureau, Françoise Chaunion a punaisé une photo du cheval. "C'était sa première victoire, le 31 janvier 2021 à Argentan, un jour de prix d'Amérique..." Depuis, les coupes, les récompenses et les drapeaux ont envahi les lieux. "Quelle aventure, quelle histoire", soupire-t-elle.
L'écurie de Tillard a été créée en 1974 par ses parents. "J'ai toujours adoré l'élevage. Quand j'étais enfant, j'ai passé plus de temps dans le stud-book que dans les dictionnaires." À 62 ans, cette femme énergique dirige l'élevage avec deux salariés. Nuit et jour. "Les Tillard, c'est toute ma vie".
Comment fabrique-t-on un champion ? Françoise Chaunion peut deviser des heures sur les "courants de sang", les croisements, les souches, les caractères et les modèles, mais à cette question, elle se dit bien incapable de répondre. "Pour paraphraser Gabin, je vous dirais que tout ce qu'on sait, c'est qu'on ne sait rien."
Idao est un pur produit de la maison. "On a croisé une souche maternelle avec un étalon de l'écurie qui est d'une autre souche. Pour chaque poulain, on espère. Pour vous dire, j'ai donné naissance à son frère, même mère, même père, il n'a pas eu la même réussite. C'est inexplicable." Une belle jument gambade dans le pré du domaine à Hotot-en-Auge. "C'est America de Tillard, la maman d'Idao." Françoise Chaunion la regarde avec émerveillement.
Je remercie le ciel. Idao de Tillard, c'est une alchimie qui nous dépasse.
Françoise ChaunionEcurie Chaunion
Le téléphone sonne. Au bout du fil, un client la félicite avec une pointe de regret : "j'aurais dû vous l'acheter quand j'étais venu vous voir..." L'éleveuse, qui a aussi le sens des affaires, lui répond dans un grand sourire : "vous reviendrez voir comme les petits d'Idao ont du peps".
Un poulain court à l'ombre de sa mère. C'est un rejeton du champion. Son avenir n'est pas écrit. "On n'a pas de boule de cristal." C'est la glorieuse incertitude de l'élevage.
Surtout, ne pas abîmer la machine...
À La Ferté-Fresnel, Idao a retrouvé ses petites habitudes. Il broute l'herbe du paddock, il joue avec ses visiteurs. L'animal est malin et taquin. Après les efforts fournis sur la piste de Vincennes, le roi de Vincennes a droit à un régime de douceur : quelques "joggings" et un "petit boulot" deux fois par semaine.
"L'erreur, ce serait de le surentraîner. C'est une Ferrari, mais il ne faut pas abîmer la machine. Alors on appuie sur les deux freins, on veut qu'il ne lui arrive rien", explique Thierry Duvaldestin. C'est son fils, Clément, qui a le privilège de piloter le joyau en course : "Je ne sais pas si je reverrai un tel cheval dans ma carrière. À chaque fois que je passe le poteau d'arrivée en tête avec lui, je mesure ma chance".