Pour son film "Les rois de la piste", Thierry Klifa rêvait de saisir les lumières si particulières du Cotentin, durant l'automne. Pendant six semaines, il a posé ses caméras à Barfleur, Cherbourg, au château de Quinéville et à Barneville-Carteret pour raconter l'échappée belle d'une famille de pieds nickelés, formidablement interprétée par un casting cinq étoiles.
C'est l'histoire d'une famille, qui pourrait faire penser, à première vue, aux Dalton. Dans le rôle de Ma alias Rachel, la réjouissante Fanny Ardant, qui a élevé ses fils Sam et Jérémie, et son petit-fils Nathan, dans le culte des cambriolages et de l’arnaque.
Thierry Klifa, le réalisateur, va leur offrir comme refuge, le Cotentin. Une terre insulaire où les rebondissements et les faux-semblants, mêlés de facéties, les conduiront à voler... de leurs propres ailes.
Avant la sortie des "Rois de la Piste", le 13 mars, entretien avec son réalisateur qui s'est fait connaître avec "une vie à t'attendre", "le héros de la famille", "Les yeux de sa mère", "Tout nous sépare".
À partir de 2012, il met en scène à trois reprises Fanny Ardant, au théâtre, dans les pièces : "L'année de la pensée magique", "Des journées entières dans les arbres", "Croque monsieur".
Qu'est-ce qui vous a amené à tourner dans le Cotentin ?
Thierry Klifa. Mon producteur, Maxime Delauney, qui est originaire de Carentan. Il m'a fait découvrir le Cotentin, alors que j'étais en pleine écriture, et j'ai trouvé les lieux magnifiques. C'est très cinégénique. On peut avoir les quatre saisons en une journée. C'était mon rêve de filmer pendant l'automne, car on a des couleurs ici, comme rarement ailleurs.
Qu'est-ce que cet esprit insulaire a apporté à votre narration ?
T. K. On imagine toujours quand quelqu'un gagne beaucoup d'argent, après un casse comme ça, qu'il va partir s'exiler au bout du monde. Et bien non. Mes personnages atterrissent dans le Cotentin, qui moi, me fait plus rêver que toutes les îles du bout du monde. C'était magique aussi pour l'équipe. François Truffaut disait qu'il préférait toujours les tournages en extérieur.
On vivait tous ensemble dans cet hôtel, au château de Quinéville. On se voyait au petit-déjeuner, on passait la journée ensemble, on dînait le soir et ça a eu un effet très fort. C'était joyeux, un peu comme une colonie de vacances, mais une colonie de vacances où l'on travaille beaucoup quand même.
Thierry Klifa, réalisateur des "Rois de la piste"
On retrouve votre sujet de prédilection, la famille, mais traité différemment. Comment expliquez-vous ce changement de ton, plus léger et joyeux ?
T. K. Nous avons commencé à écrire pendant le confinement et j'avais tout simplement envie de faire un film qui rend les gens heureux. J'avais envie de bienveillance, de légèreté et de retrouver un ton que pouvaient avoir les comédies policières de Jean-Paul Rappeneau, Philippe de Broca ou encore l'esprit de "Family Business" de Sidney Lumet. Un film, où l’intrigue serait surprenante, inattendue, pittoresque et émouvante.
La famille, c'est un thème qui m'intéresse beaucoup. C'est comme une micro-société. On a beau partir du même endroit, se retrouver tous les dimanches autour du déjeuner familial, on n'évolue pas nécessairement de la même manière.
Il y a la place que l'on vous donne à la naissance, la place qu'on va chercher, la place qu'on s'attribue. On ne réussit pas de la même façon, dans ses relations amicales, amoureuses, au travail et je trouve que la famille raconte bien notre société.
Thierry Klifa, Réalisateur du film "Les rois de la piste"
Chaque personnage, premier ou second rôle, défend une partition plutôt inattendue ? Comment les avez-vous dessinés ?
T. K. J'avais envie de m'intéresser à une famille de bras cassés car je préfère les perdants magnifiques que ceux qui gagnent à tous les coups. C'est un peu comme des princes sans royaume qui repeignent la vie en or, refusent de rentrer dans le rang, de se soumettre, de s’avouer vaincus. Et au centre de royaume, il y a une princesse, Fanny Ardant, qui a élevé ses fils et son petit-fils.
Elle les a peut-être un peu trop aimés, comme elle dit dans le film, mais elle leur a donné aussi certaines valeurs, et pas seulement celle de l'arnaque ou des petites combines. C'est un personnage qui vit dans l'instant, qui sait que tout cela est éphémère.
D'ailleurs le point commun entre Fanny Ardant et Rachel Zimmermann, c'est cette instantanéité. Faire un casse dans cette famille, c'est un peu comme nous, avec l'équipe du film, avec les acteurs, on a vraiment l'impression d'être en contrebande et ce qui est le plus intéressant, c'est l'élaboration de ce casse. Elle sait parfaitement Rachel que si elle gagnait le jackpot, elle n'irait pas siroter un mojito dans les Caraïbes, elle irait peut-être dans le Cotentin ...
Le plus important pour elle, c'est de rester ensemble avec sa famille, de continuer à s'amuser, de prendre le bon côté de la vie. On voit bien que rien ne l'abat. C'est sa force d'ailleurs, et c'est qu'elle veut transmettre à ses fils et son petit-fils.
Et Fanny Ardant, vous vous connaissez bien. Comment a-t-elle inspiré ce personnage de Rachel ?
T. K. Fanny m'inspire dans la vie. Quand j'étais jeune journaliste à Studio Magazine, je devais avoir 23, 24 ans, j'avais écrit un texte sur elle. Et après l'avoir lu, elle m'a dit à ce moment-là "Il faut écrire vos histoires, il faut que vous fassiez des films. "
Au fond de moi, je le savais, je voulais passer à la réalisation. Le journalisme était un apprentissage de la vie, une sorte de passerelle. Mais elle avait deviné en moi ce désir qui m’animait depuis l’enfance, dont je n'osais pas parler aux autres.
Quand des années après, je réalise mon premier film, "Une vie à t'attendre", je la croise à nouveau et je l’ai remerciée d'avoir cru en moi, car cela m'a donné une force incroyable. Elle m’a répondu, à sa manière : « On ne pousse que ceux qui sont au bord de la falaise », Fanny, quoi…
Thierry Klifa, réalisateur du film "Les Rois de la piste"
Le film "Les rois de la piste" sort dans toutes les salles obscures, ce mercredi 13 mars.