Pour rouvrir des commerces en campagne, l'épicerie participative à l'essai

Cinq communes normandes ont accepté de recevoir l'accompagnement de Bouge ton coq, une association reconnue d'utilité publique qui aide à la création d'épiceries participatives. Un modèle non lucratif qui se répand dans les villages où les commerces classiques ne parviennent pas à trouver la rentabilité.

À Saint-Georges-Motel, commune de 900 habitants dans l'Eure, les commerçants ont déserté les rues. Ces dernières décennies, le village a assisté à la fermeture de son hôtel-restaurant, de son café et de ses commerces de bouche. Seule la boulangerie est encore là. "Elle subsiste", concède Aurélie Roch, une résidente.

Conséquence de l'absence de commerces de proximité, les habitants du village ont pris pour habitude d'aller faire leurs courses dans les grandes surfaces des villes des alentours, à Nonancourt ou Dreux. De quoi finir de sceller le triste sort des petits commerces. "Les gens ont pris comme habitude d'aller au supermarché, donc une personne qui voudrait ouvrir un commerce et bien en vivre n'y arriverait pas", raconte Aurélie Roch.

Pourtant, à Saint-Georges-Motel, une renaissance s'organise depuis 2019. Cette année-là, dans un bâtiment qu'occupait auparavant un hôtel, plusieurs habitants se sont réunis pour ouvrir une épicerie participative. Élargi en tiers-lieu associatif, ce commerce a subsisté et permet aujourd'hui aux résidents de s'approvisionner en produits locaux.

Un modèle non lucratif

L'idée est la suivante : pour ne pas avoir à financer le salaire d'un vendeur, qui nécessiterait de dégager des marges - difficiles à réaliser dans un petit village - plusieurs habitants se réunissent en une association non lucrative. Chaque membre de l'association offre quelques heures de son temps chaque mois pour la gestion des stocks, les démarches administratives et la vente en rayon.

C'est ce modèle de commerce non lucratif, sous le statut associatif, que l'organisme Bouge ton coq souhaite développer dans les campagnes normandes. Reconnue d'utilité publique, Bouge ton coq est une association qui veut redynamiser les communes rurales françaises. Son fait d'arme est d'avoir accompagné, depuis quatre ans, l'ouverture d'une centaine d'épiceries participatives dans des villages jusqu'alors privés de commerces alimentaires. La quasi-totalité des épiceries ouvertes par l'association fonctionnent encore aujourd'hui. Et Bouge ton coq espère en ouvrir une centaine en plus dans les années à venir.

Des villages normands à l'essai

"Ça fonctionne comme une épicerie classique, avec n'importe quel type de produit qu'on y trouve normalement", explique Malo Truchon-Bartès, chargé du développement des épiceries participatives chez Bouge ton coq. La seule différence, c'est que le vendeur en boutique est un adhérent, pas un salarié, et que le local est mis à disposition gratuitement". C'est à ces conditions que l'épicerie peut se libérer des charges locatives et salariales qui entaillent d'ordinaire la rentabilité des petits commerces de village. À Saint-Georges-Motel, une subvention de la mairie aide aussi à boucler le budget.

En ce mois de janvier, l'organisme est en train de boucler la liste des quarante prochains villages qu'il s'engagera à accompagner vers l'ouverture et la pérennisation d'un commerce alimentaire associatif. Seules les communes de moins de 3 500 habitants dépourvues de commerce alimentaire généraliste sont éligibles. Cette année, cinq des villages heureux élus sont normands : Longchamps (Eure), Drosay (Seine-Maritime), Coulonces (Calvados), Meulles (sur la commune de Livarot-Pays-d'Auge, Calvados) et Terres de Bord (Eure).

Bouge ton coq organisera en 2024 des réunions publiques dans ces villages pour sonder la population. Dans chacun d'eux, il faudra une quinzaine de résidents volontaires pour que l'épicerie voit le jour. "Ça ne devrait pas poser de problème, je pense qu'il y aura du monde", anticipe Patrice Philippe, maire de Terres de Bord. "On va communiquer auprès de la population", promet-il.

En échange du droit d'acheter dans l'épicerie des produits à bas prix – l'absence de marge à réaliser permet aussi cela –, les adhérents donnent deux heures de leur temps par mois et payent une cotisation, de 10 à 50 euros par an et par foyer, en fonction de la taille de l'épicerie. "Plus il y a d'adhérents, plus on peut ouvrir souvent", annonce Patrice Philippe. Bouge ton coq, de son côté, estime la viabilité du projet, aide à la création des statuts associatifs de l'épicerie, propose un service informatique de gestion comptable et distribue une subvention de départ de 1 100 euros.

"Un lieu fédérateur"

Pour le prêt d'un local, l'implication des collectivités locales est cruciale. Le local est le plus souvent mis à disposition par les mairies des communes impliquées, ou hébergé par des particuliers. À Terres de Bord, la mairie se dit prête à investir 30 000 euros pour la rénovation d'un bâtiment qui accueillerait l'épicerie. "Une somme conséquente pour une petite ville", concède le maire.

"On se fournira chez nos producteurs locaux, ça permet à la population d'avoir accès à des produits locaux de qualité", projette déjà Patrice Philippe. Sa commune est formée par plusieurs hameaux séparés. L'épicerie pourrait ainsi à terme devenir "un lieu fédérateur", espère-t-il. "L'idée, c'est de créer un lieu de vie, avec pourquoi pas aussi des accès à internet, des rencontres, pour créer du lien entre tous ces hameaux qui sont distants", prévoit l'édile, très optimiste, lui qui n'est pas parvenu, depuis plusieurs années, à pérenniser un commerce alimentaire dans son village.

Si presque aucune des épiceries participatives accompagnées par Bouge ton coq n'a pour l'instant mis la clé sous la porte, un nombre d'entre elles sont rendues viables aussi grâce à des subventions, publiques et privées. Le tiers-lieu de Saint-George-Motel, qui accueille l'épicerie, s'est fait agréer comme espace de vie social. Il assure ainsi 70% de son budget grâce à une subvention de la Caisse d'allocations familiales (CAF), en plus d'une subvention récemment gagnée auprès du groupe de presse Ouest-France.

Les conseils régionaux et départementaux subventionnent certaines épiceries aidées par Bouge ton coq. Le fonds public France Relance a également été mobilisé. À Terres de Bord, l'équipe municipale attend que les adhérents se soient engagés pour lancer des demandes de subventions auprès de la Région Normandie et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

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