Les occupants des habitations en bordure de champs ont déjà exprimé leurs inquiétudes face aux produits phytosanitaires. Des chartes départementales ont été adoptées il y a deux ans. Elles sont remises à jour cette année mais cela va-t-il suffire à rassurer les riverains?
Elle a choisi un cadre de vie champêtre, avec vue sur les champs. Mais Juliette qui habite dans la rue d’Epron à Caen depuis plus de 25 ans, s’indigne. Sa colère porte sur des pratiques agricoles qu’elle estime « excessives : le tracteur traite avec son pulvérisateur immense parfois deux à trois fois par semaine. Si je constate qu’un traitement est en cours, je renonce aux promenades avec mon chien sur le chemin qui traverse les champs. J'attends parfois plusieurs jours avant d'y aller » Juliette a adapté son quotidien au rythme des pulvérisations de produits phytosanitaires. Elle les estime responsables de la mort de son précédent chien, une femelle Golden Retriever. « Elle a eu 3 cancers de la gueule, qui sont certainement dus aux produits chimiques épandus. »
L’un de ses voisins, Fabrice, a pris l’habitude de fermer ses fenêtres en cas de pulvérisation. « il y a une route entre le champ et la maison, ça représente une bande de 6 m environ, autant dire que l’agriculteur pulvérise jusqu’au bord de sa parcelle. Mais pas sûr que la distance suffise, les produits sont volatils et arrosent mon jardin potager. »
300 mètres plus loin, au bord du même champ, est installée la maison de Nathalie. Comme d’autre habitations situées rue Eole à Epron, elle donne directement sur des parcelles cultivées. « Habituellement, je suis dérangée par les odeurs des produits épandus, mais pas cette année », remarque-t-elle. Néanmoins, elle a constaté que « la bande qui est en limite de parcelle, et qui n’est pas censée être traitée, est tout de même jaune, grillée… Ont-ils le droit ou pas d’épandre là ? Je ne sais pas, mais de manière générale, il me semble aberrant d’utiliser des produits nocifs et polluants à côté des habitations. »
Les inquiétudes et les questions que se posent Nathalie et ses voisins ont donné naissance il y a deux ans à une charte élaborée par la chambre d’agriculture. Son but : « mieux définir les modalités d’application des produits phytosanitaires afin d’assurer l’information et protection des riverains de parcelles cultivées ». Si elle existe de fait depuis 2020, visiblement toutes les questions des riverains n’ont pas été chassées par cette charte.
Obligation pour les agriculteurs d'informer les riverains lors des traitements
Dans le Calvados, l’Orne, la Manche et l'Eure, une version corrigée est en projet ; elle prend désormais en compte les zones où des travailleurs exercent leur activité (et pas uniquement des zones d’habitation). Et oblige aussi les agriculteurs à informer les riverains de leurs opérations de traitements. « Au minima, l’agriculteur devra signaler par la mise en route du gyrophare qu’il intervient en utilisant des produits soumis à Zone de non traitement ou ZNT. Une autre information collective sera l’affichage en mairie : par exemple, à telle période en mars, on peut désherber le blé », explique Nicolas Tison, président de la commission environnement à la chambre d'agriculture de l'Orne.
Quant à la distance de pulvérisation par rapport aux habitations, tout dépend du type de produits chimiques utilisés. Elle varie de 20 mètres pour les produits les plus dangereux, à 3 mètres des maisons, à condition dans ce dernier cas que les buses des pulvérisateurs limitent au maximum (fixé à 66%) la dérive des produits dans l’air. Cela peut paraitre technique mais les répercussions sont très concrètes.
C’est l’expérience qu’a vécue Guillaume Cohu. Lui est agriculteur en bio près de l’Aigle. Il a perdu une récolte de sarrasin, pour un total de 11 000 euros, en raison d’une contamination par une molécule. Le prosulfocarbe est un herbicide utilisé en agriculture conventionnelle, très volatil : il peut parcourir 1 kilomètre et toucher ainsi d’autres cultures voisines. Impossible de déterminer d’où provient cette contamination qui l’a obligé à jeter sa récolte. Et sans personne tiers responsable identifiée, pas d’indemnisation de la part de son assurance.
On touche là aux limites de la charte…Les modifications réalisées cette année l’ont été en concertation avec des associations de défense de l’environnement, les maires et les agriculteurs de toutes obédiences (du syndicat majoritaire la FDSEA à la confédération paysanne en passant par les Jeunes Agriculteurs). C’est bien cela qui heurte Edouard Bénard Co-porte parole Confédération Paysanne de l’Orne.
Je pense que cette charte a été construite sur une concertation en carton.
Edouard Bénardconfédération paysanne de l'Orne
"On a été sollicité pendant une réunion d’une heure sur un sujet vaste. Avec pour résultante nos revendications qui n’ont pas été prises en compte. " Il va même plus loin : «Nous on aurait dit « pas de dérogation par rapport aux 5 mètres ». On aurait organisé une énorme concertation, avec plusieurs lieux de discussions. Là ils sont arrivés avec un papier déjà écrit, on a y ajouté la problématique de l’Ukraine, et un discours du type « nous on a besoin de produire il y a trop de réglementations contraignantes, donc on va s’approcher des habitations pour produire »… aucune logique ! On ne s’y retrouve pas. Là on est dans une fuite en avant, on pousse le vice jusqu’au bout. On est très désappointé par rapport à cette charte. »
Guillaume Cohu quant à lui s’est adapté : il a avancé la date de ses semis du sarrasin afin d’avancer aussi la récolte et éviter que celle-ci ne puisse être contaminée par l’herbicide utilisé par les agriculteurs voisins. « La bande des 5m pour cette molécule, c’est se voiler la face. Il faut trouver le moyen qu’un produit épandu dans une parcelle reste dans cette parcelle. Nous on a des solutions d’agenda, pour ceux qui sont en conventionnel, il faut trouver des solutions techniques : comme alourdir les molécules pour éviter la volatilité. Il faut trouver des réponses nuancées là-dessus car chacun a sa place. »