REPORTAGE. Armada de Rouen 2023 : découvrez la Norvège à bord du Statsraad Lehmkuhl

Le trois-mâts norvégien de 98 mètres est l’un des plus imposants voiliers de l’Armada 2023, il est aussi l’ambassadeur des Nations Unies pour la protection des océans. Pendant deux ans, il a réalisé le tour du monde pour mener des recherches scientifiques et sensibiliser le grand public sur l’évolution inquiétante de l’état de nos océans.

Il a survécu à deux guerres mondiales et formé des milliers de marins. Dans ses mille et une vies, le Statsraad Lehmkhul a fini par trouver son port d’attache à Bergen, au sud-ouest dde la Norvège.

Il a pourtant été construit en Allemagne en 1914 comme navire école pour la flotte marchande allemande. Récupéré par l’Angleterre après la première guerre mondiale, il est racheté par un Norvégien pour former les futures générations de marins. Mais l’Allemagne nazie s’empare en 1940 de Bergen et de son bateau qu’elle repeint en noir.

Jonathan Engel Rousseau, est le 2ème lieutenant de navire. Le Franco-danois nous présente l’un des vestiges de cette époque, un sextant encore conservé à bord. "C’est quelque chose que les Allemands faisaient très bien dans les années 30 et 40. C’est l’un des meilleurs sextants que nous avons, c’est un symbole spécial mais si on en a besoin on peut l’utiliser !"

Bergen le port d’attache historique

Rendu à la Norvège après-guerre, ce trois-mâts fait depuis la fierté de Bergen. Les badauds aiment l’admirer et le prendre en photo pour immortaliser son imposante envergure. « C’est un bateau très joli et c’est le nôtre ! » confirme fièrement une Berguénoise.

Ce bateau est un symbole fort de la ville, il est à Bergen depuis plus de 100 ans et il est bien visible du port car celui-ci est très étroit. Ici le navire semble gigantesque.

Marcus A.Seidl, capitaine du Statsraad Lehmkuhl

Un port étroit dans une ville concentrée entourée de 7 montagnes. Enclavée, Bergen s’est historiquement tournée vers la mer et l’Europe. Un port idéalement situé protégé par des îles et niché entre les deux plus grands fjords de Norvège qui font le charme du paysage.

Le port a connu ses grandes heures au Moyen Âge. Le quartier de Bryggen et ses maisons colorées en bois témoignent de cette époque où Bergen était un centre de négoce avec le reste de l’Europe. Il est aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Bergen et le reste du pays sont toujours profondément liés à la pêche. À elle seule, la Norvège représente ¼  des importations de poissons de l’Union Européenne. Elle en est son premier fournisseur.

"L’océan est à nos portes. Nous avons beaucoup de petites îles. De fait, nous sommes très liés à l’océan et nous en dépendons. La pêche est très importante en Norvège, nous en tirons d’énormes revenus", détaille Camilla A.Borrevik, une chercheuse de l’université de Bergen.

Deux tiers des recettes d’exportation de la Norvège proviennent des activités océaniques et côtières. Le pays s’est donc fortement engagé dans la protection et le nettoyage des océans. Rien d’étonnant alors que le Statsraad Lehmkuhl se soit lancé dans un tour du monde de 20 mois pour sensibiliser sur le rôle crucial des océans. Un tour du monde qui s’est achevé en avril dernier.

Un tour du monde au chevet des océans

En août 2021, le Statsraad Lehmkuhl quittait la Norvège pour entamer son voyage à vocation écologique, "The One Ocean expedition".

L’océan est dans un très mauvais état. Il est pollué et il se meurt pourtant notre vie en dépend. Paradoxalement nous avons accumulé plus de connaissances sur l’état de la lune que sur nos mers et nos océans. Nous n’allons pas changer le monde avec ce bateau mais nous voudrions l’utiliser pour créer un monde plus durable pour les générations futures.

Haakon Vatle, PDG de la fondation Statsraad Lehmkuhl

Le voilier est devenu une université flottante équipée d’un matériel de recherche pour recueillir des données, comme le niveau de CO2, l’acidification des océans, la hauteur des vagues et la présence des microplastiques. Les sons des mammifères marins ont également été analysés plus facilement enregistrés pendant la navigation à la voile sans le bruit des moteurs.

Marcus est l’un des deux capitaines du bateau qui a vécu au cœur de cette expédition. Enfant, il a grandi auprès de son père sur un voilier qui était utilisé pour des expériences scientifiques notamment sur la pollution au pétrole. "C’est le rêve de tout marin de faire le tour du monde. C’est passionnant aussi de réaliser des études scientifiques. C’est très particulier parce que d’habitude on fait des études sur une seule région, voire deux mais cette fois nous l’avons fait sur le monde entier !", s'enthousiasme-t-il.

À bord des scientifiques, des étudiants et leurs professeurs. Parmi eux, Camilla Borrevik qui enseigne à l’Université de Bergen. C’est une spécialiste du changement climatique dans le pacifique. « Cela nous a donné l’opportunité d’enseigner sur ce qu’il se passe au niveau de l’océan et du climat et des conséquences sur populations qui vivent à proximité. Tout le monde est concerné d’une façon ou d’une autre. Les populations de poissons vont évoluer et cela aura un impact direct sur les gens », détaille-t-elle.

Une prise de conscience partagée par Anna Lisa. L’étudiante en droit a passé 4 mois à bord, son expérience maritime l’a profondément bouleversée. "On entend parler de la pollution plastique mais c’est différent de la vivre. En mer on n’avait pas vu un seul bateau en 4 semaines et là on a aperçu une bouteille plastique dans l’eau... Cela a changé quelque chose en moi. En rentrant, j’ai commencé des cours en droit du climat et en droit de la mer. Pour faire évoluer les choses nous aurons besoin de biologistes mais aussi de juristes et d’architectes bref de toutes les professions !"

À bord, tous ont travaillé ensemble. Une cohésion indispensable pour naviguer mais aussi pour faire avancer les connaissances sur les océans. Leur espoir ? Voir ce grand voilier attirer davantage l’attention qu’une multitude d’articles scientifiques.

Des étudiants en quête d’aventure

Son tour du monde achevé, le géant des mers norvégien retrouve son quotidien. Le navire rallie régulièrement les Iles Shetland avec à son bord des stagiaires en quête de découverte et d’aventures. Début mai 2023, le Statsraad Lehmkhul embarque une centaine d’étudiants encadrés par l’équipage professionnel.

Tout commence par la répartition des équipes. Chacune aura ses quarts soit 4 heures de garde avec des tâches à effectuer. "Je viens ici pour en apprendre plus sur moi-même" nous explique une jeune étudiante partagée entre excitation et appréhension avant de quitter le port.

Après plusieurs heures de briefing, le navire largue enfin les amarres. Les fjords défilent longuement avant de pouvoir atteindre la mer du Nord. "C’est le plus grand trois-mâts barque du monde. Il n’est pas facile à manœuvrer pour sortir des fjords. Il y a beaucoup de reliefs et de rocher sous la mer", commente le maître d’équipage, Janus R. Larsen, en scrutant attentivement l’horizon à l’avant du bateau.

Pour leur première nuit les stagiaires n’ont pas de quarts à effectuer, leur premier défi est de parvenir à se hisser sur les hamacs où ils passeront plusieurs nuits dans la cale du bateau. "C’est plutôt confortable mais je redoute surtout la promiscuité", confesse une étudiante.

Nous la retrouvons au petit matin. Les yeux encore chargés de sommeil elle tente de se réveiller avec une grande tasse de café en admirant le lever du soleil en pleine mer du Nord. « Je n’ai pas le mal de mer pour le moment mais je n’ai quasiment pas dormi ! »

Les choses sérieuses commencent, sous les ordres de l’équipage professionnel. Certains apprennent à manier les cordages quand d’autres tentent de relever le « challenge physique ». Objectif : réussir une traction et tenir 10 secondes suspendu, condition sine qua non pour monter aux gréements. Sous le regard intransigeant de Magnus, les stagiaires passent l’épreuve avec plus ou moins de réussite. Les heureux élus s’équipent ensuite pour grimper sur les haubans. En haut du mât, une vue splendide les attend. "Je l’ai fait ! C’est incroyable on se sent libre ici", exulte un jeune homme après avoir su faire face à son vertige.

Dans la mature et sur le pont, tout le monde est désormais prêt à mettre les voiles Reste à attendre que le vent se lève enfin.

Un moteur hybride unique au monde

En attendant, le Statsraad Lehmkuhl avance au moteur. C’est d’ailleurs le premier navire école à avoir eu un moteur à sa construction en 1914. Un moteur pour avancer mais aussi pour créer de l’énergie grâce à une technologique innovante. "Notre petit confort à bord dépend de l’électricité. On s’en sert pour la cuisine, la production d’eau, la ventilation et les toilettes", rappelle Thor-Martin Scandtorv, le chef mécanicien.

Le Statsraad Lehmkuhl se veut plus vert. Dans les entrailles du bateau un générateur hybride fabrique de l’électricité en faisant tourner l’hélice à l’envers lorsque le bateau est sous voile. Cette électricité est stockée dans des batteries. Le système n’est pas encore totalement performant mais c’est une technologie d’avenir pour les voiliers.

Le vent se lève enfin. L’équipage détache les voiles. Le moteur se coupe et laisse place au silence. Une quiétude de courte durée, car le vent tourne rapidement, une des conséquences du changement climatique selon le capitaine. Il faut déjà replier les voiles avec l’aide des stagiaires les plus intrépides. Parmi eux, Charles, un ancien capitaine de méthanier. "C’est lourd de monter les voiles, je suis impressionné par tout le gréement, c’est pour ça que je suis à bord pour voir comment les anciens naviguaient". Pour Charles et son équipe, le quart se termine. Un repos bien mérité, le quart suivant prendra le relais.

Une logistique impressionnante

Pour nourrir plus de 100 personnes pendant plusieurs jours, l’organisation doit être millimétrée. Laura Emilie est au service restauration. Elle s’affaire sans relâche dans un bateau qui tangue pour que le repas soit servi en temps et en heure. Souriante à chaque instant malgré la difficulté de la tâche. "Le travail en lui-même est très ennuyeux mais en mer ça devient passionnant ! Un voilier c’est une tradition, une pièce vivante de l’Histoire ! Ce bateau a 109 ans, on a tendance à l’oublier ,mais quand on réalise : c’est fou ! C’est comme être sur un bateau pirate !"

À l’extérieur, les îles Shetland se dessinent à l’horizon. Lerwick est la principale ville de l’Archipel, c’est un peu le deuxième port d’attache du bateau tant ses visites sont nombreuses.

Un mois plus tard l’équipage a pris la direction de Rouen pour vivre une nouvelle armada une aventure moins sauvage mais capitale pour l’aura et les finances de ce navire devenu l’ambassadeur de la protection des océans.

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