Ces dernières années, onze communes de la région ont installé des panneaux d'entrée de ville en langue normande, en dessous de leur appellation en français. D'autres devraient suivre, prochainement.
Et si les communes normandes affichaient leur fierté régionale dès leur panneau d'entrée de ville ? La pratique est courante en Bretagne, au Pays Basque ou en Occitanie, et elle est en train d'essaimer peu à peu en Normandie.
Onze communes ont déjà sauté le pas, depuis plusieurs années, en majorité dans la Manche comme Barfleur (Barflleu) qui fut la première en 2015, Hémevez (Rhomevâ), Périers (Pri) ou encore Marchésieux (Marchuus). Si ce département est en avance sur les quatre autres, il le doit à l'implantation locale de nombreux défenseurs du parler normand. D'ailleurs, les deux dernières classes où l'on enseigne cette langue régionale sont à Bricquebec-en-Cotentin (Bricbé). Par ailleurs, la FALE, Fédération des Associations pour la Langue normandE est aussi basée dans le Cotentin.
Pour montrer qu'il y a une langue particulière qui existe, les panneaux de ville sont encore le meilleur moyen d'être visible.
Jean-Philippe Joly, président de la FALE
Derrière cette volonté de réaffirmer l'identité normande, Hervé Morin. En 2019, le président du Conseil régional a envoyé un courrier à tous les maires de la région pour leur proposer d'afficher cette nouvelle pancarte, comme il l'a fait à Epaignes (Epagne) dans l'Eure, sa commune d'origine. Sur les quelque 2 600 sollicitations, il n'a reçu que 161 réponses positives.
De ce lot, "nous n'avons pu satisfaire que 60% des demandes", explique Stéphane Lainé, membre du CSC, le Conseil scientifique et culturel des parlers normands. Les 40% restant avaient déjà un nom régional, ou bien alors pas de forme ancienne". Les historiens et linguistes qui étudient les demandes des villes et villages de la région font face à plusieurs cas de figure, et toutes les communes ne sont pas susceptibles d'avoir une forme dialectale ancienne.
Des recherches minutieuses à travers les siècles
Pour en trouver une, encore faut-il pouvoir remonter les siècles. Exit donc les communes nouvelles, assez nombreuses parmi les premiers volontaires. Valendrey ou Valdallière dans le Calvados ont des noms ne s'appuyant pas sur des formes historiques. Impossible donc pour les scientifiques de proposer une transcription. Il y a aussi le cas des villes qui ont déjà une appellation normande, pas ou peu modifiée à travers les âges. C'est le cas de Caen ou Rouen (qui peut aussi s'écrire Roen), de Dieppe (qui vient de Deep, profond en Anglais), ou encore de Fécamp (alliage de Fish, le poisson et de camp, le coin des poissons) et de... Camembert, qui signifie "le champs de M. Mambert".
Lorsqu'il est possible de suggérer une appellation en parler normand, une grosse réflexion débute au sein du conseil scientifique. Elle représente bien souvent des heures de recherche. "On récupère le maximum d'attestations anciennes des noms de villes, depuis le Moyen-Âge jusqu'à maintenant, en appliquant ce que l'on sait des dialectiques de prononciations, détaille Stéphane Lainé. La plupart du temps, divers noms, diverses écritures ressortent. Il ne s'agit pas de ressusciter une forme qui était d'usage au 13e siècle, plutôt de faire revivre un nom usité il y a 40, 50 ou 100 ans. Ce n'est pas une démarche rétrograde", se défend-il.
Il y a aussi les questions concernant la prononciation et l'orthographe, et au final, le choix graphique. "Notre postulat, c'est de pouvoir lire ce qui est écrit et donc d'effacer dans la graphie les lettres muettes de fin de noms, afin que les gens puissent d'emblée prononcer sans hésitation l'appellation dialectale de la commune écrite sur le panneau", explique Stéphane Lainé. Mais le docteur en sciences du langage propose tout de même plusieurs orthographes différentes aux communes, "c'est ensuite le conseil municipal qui tranche", et parfois, il n'est pas tout à fait en accord avec les préconisations.
Par exemple, pour Thérouldeville en Seine-Maritime, on avait proposé 'Troud'ville', mais la commune a choisi 'Throudville' en réintroduisant un H car le nom initial vient de Thorvald, formé par le dieu Thor. En ôtant le H, ils avaient l'impression qu'on les dépossédait d'une part de leur histoire. Marchésieux dans la Manche, était autrefois prononcé Marchu avec un u final long. Nous avions proposé Marchû, mais les locaux ont choisi Marchuus, avec un S final qu'on peut avoir tendance à vouloir prononcer.
Stéphane Lainé, membre du Conseil scientifique et culturel des parlers normands
C'est ainsi que les habitants de Domfront-en-Poiraie sont amenés ces jours-ci à choisir entre Danfron ou Danfront, alors que les écrits du passé mentionnent aussi Damfront, Dampfront ou encore Dompfront. La cité médiévale sera, ainsi, dans les prochains mois, la première commune de l'Orne à arborer une pancarte en langue normande. À la traîne, le Calvados devrait voir deux communes se joindre au mouvement en 2023. Leurs noms sont encore confidentiels, mais elles seront les pionnières du double affichage dans le département.
Il faudra cravacher pour rattraper la Manche, qui va poursuivre son déploiement des panneaux en parler normand, cette année. Barneville-Carteret, Sottevast et Créances devraient à leur tour passer au double panneau, ces prochains mois. En revanche, il semble peu probable que Cherbourg, composé initialement des mots nordiques Kjar, le marais, et borg, la fortification, monte dans le train régionaliste. Pas sûr que les élus et les habitants soient très friands de l'idée de ressortir l'appellation ancienne "Chidbou" ou "Tchidbou", quasiment plus usitée. D'ailleurs, ces derniers temps, dans les discussions, c'est plutôt "Cherwood", surnom branché qui est utilisé pour parler de la capitale du Cotentin.