"Faire rire et faire réfléchir sur les problèmes du temps" : quand Guy Bedos jouait à Dieppe pour les anti-nucléaires

Au lendemain de l'annonce de sa mort, souvenir d'une rencontre avec Guy Bedos après un spectacle "engagé" à la salle Paul Eluard de Dieppe
 

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"Guy Bedos ? Il malmenait les journalistes". A l'annonce de sa mort, cette phrase a été prononcée par un des éditorialistes politiques réunis hier après-midi (jeudi 28 mai 2020) sur le plateau d'une chaîne d'info en continu pour commenter les nouvelles mesures du déconfinement présentées par le Premier ministre.

Oui, c'est vrai, Guy Bedos n'était pas tendre avec ceux qui venaient l'interviewer. Voire méchant. J'en ai fait l'expérience.
 

"Mon rôle à moi c'est de ne respecter personne"

Arriver à faire rire sur des sujets pas drôles  et pas évidents comme le nucléaire pour faire réfléchir sur les problèmes du temps. Etre désagréable avec à peu près tout le monde et risquer de se retrouver seul. Voilà comment Guy Bedos parlait de son rôle sur scène, face au public. Quant à l'humour il en donnait cette définition : "l'humour c'est l'irrespect, l'insolence et l'impertinence."
► Lire plus bas son interview complète


Bedos et la centrale de Penly

En novembre 1979, Guy Bedos était à l'affiche d'un spectacle organisé un dimanche après-midi à la salle Paul Eluard de Dieppe par des militants mobilisés contre la construction d'une centrale nucléaire à Penly, à quelques dizaines de kilomètres de là.

Jeune journaliste débutant pour les infos de la radio FR3 Normandie, je suis allé à ce spectacle à la fin duquel, pour enregistrer une interview avec mon magnétophone, je me suis retrouvé en face de Guy Bedos, dans une petite loge où s'entassaient autour de nous une bonne dizaine de militants. L'entretien débute avec ce public autour et un Bedos goguenard en face de moi.

Naïvement, et en commençant par remarquer qu'il n'y avait pas eu grand monde dans la salle pour ce spectacle, j'évoque un écho paru dans les Infos Dieppoises du vendredi précédent rapportant que le célèbre humoriste se faisait payer pour venir à Dieppe pour ce spectacle militant.

La réaction de Guy Bedos fut terrible. Une belle colère contre moi et des noms d'oiseau, devant tous les militants anti-nucléaires évidemment hilares devant ce show imprévu… Viré. J'ai été viré de la loge.

J'ai traversé la salle, je suis sorti et en arrivant sur le boulevard Clémenceau, un des gars présent dans la loge m'a rattrapé en courant en me disant "Revenez, il veut vous voir, il m'envoie vous chercher, faut revenir !"

Ce que j'ai fait, non sans une certaine appréhension. Et une fois de retour dans la loge, à ma grande surprise, Guy Bedos a fait sortir tout le monde et m'a félicité d'être revenu parce qu'il ne pensait me revoir après ce qui s'était passé. Une fois seuls tous les deux dans une ambiance plus sereine, et avant de remettre en route le magnétophone et de prendre le micro en main, Guy Bedos m'a expliqué que sa fille Leslie débutait elle aussi en radio, à France Inter.

La suite de l'entretien la voici :
 



Certains sont surpris de votre venue à Dieppe, à la demande des anti-nucléaires ?

"Vous savez, les gens qui sont surpris me surprennent !  Parce que d'une certaine manière c'est quoi un artiste ?  C'est quelqu'un qui parle de de la vie. La vie qu'on vit,  que vivent les gens. Et la politique c'est quoi étymologiquement ?  Ça veut dire la vie de la cité. Et qu'est-ce que je fais d'autre, moi, que de décrire, en observateur, la société telle qu'on la vit ?"

"Effectivement, je suis toujours surpris par les gens qui sont étonnés justement qu'un artiste prenne position à l'intérieur de son spectacle. Moi c'est vrai que je veux faire marrer d'abord ! Et en général j'y réussis !  Rire, et puis faire réfléchir sur des problèmes du temps, ça me paraît pas incompatible. D'ailleurs je suis pas le seul à faire ça : vous pouvez regarder tout ce qui a plus ou moins l'étiquette comique un peu partout dans le monde, que ce soit chez les Américains, chez les Italiens, dans le cinéma ou sur scène,  et même ici quand on pense à un type comme Coluche qui maintenant représente, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, le rire contemporain. Quand on pense à un journal comme  Charlie Hebdo ou même le Canard Enchaîné etc, les gens qui font rire,  font rire avec des choses qui sont pas fatalement gaies…"

"On a trop tendance à confondre le drôle avec le gai. Le drôle n'est pas toujours gai. Et c'est justement le centre de ce qui nous réunit aujourd'hui : c'est le nucléaire, bon, ben il faut arriver à faire rire avec le nucléaire. C'est pas vraiment évident parce que… bon, c'est pas vraiment drôle."

"Mais j'ai un sketch, et là j'ai pas attendu d'être engagé… demandé,  par les gens du mouvement de l'organisation dieppoise pour le faire ce sketch ! Un sketch  que j'ai appelé "La star atomique". C'est donc un type qui a fauché du plutonium mais qui se fait une petite bombe personnelle. Les gens rient à ce sketch, mais j'ai remarqué que vers la fin, ils rient de moins en moins parce que c'est affreusement possible ! Ça peut arriver demain ! Vous pouvez demain, au 13h, voir apparaître derrière Mourousi un type avec un petit objet dans sa main qui dit "bah voilà maintenant il va falloir parler avec moi " C'est complètement vraisemblable."

D'où le risque de déplaire ?
"Oui, mais ça je comprends bien, en terme de clientèle c'est pas mon intérêt parce qu'effectivement comme je finis par dire en plus des choses désagréables à peu près sur tout le monde, en terme de partis, d'organisations, de convictions politiques etc,  je prends le risque un jour de me retrouver tout seul ! Parce qu'effectivement je pense que mon rôle à moi c'est de ne respecter personne".

"L'humour pour moi c'est l'irrespect, c'est l'insolence, c'est l'impertinence.
Donc je suis finalement dans ma fonction. Même à la cour, et sous Shakespeare, le bouffon c'était celui qui disait que le roi était nu.  Bon, ben moi c'est mon rôle à moi. C'est de dire que le roi est nu. Quand il est nu bien sûr".


"Bon ça m'empêche pas d'être positif quelquefois vis-à-vis de tel ou tel, mais je prends le risque de déplaire, c'est vrai, à des gens. Mais vous savez jusqu'ici, et je le fais pas exprès, mais j'ai remarqué qu'au fur et à mesure que je perds des gens, j'en gagne d'autres ;  donc ça s'équilibre assez bien. Mais évidemment j'ai pas cette morale de boutiquier."

Les humoristes font de la politique ?
"Ceux qu'on appelle les humoristes peuvent évidemment faire passer des choses graves en riant, et d'une certaine manière ça peut ça peut faire son chemin dans les consciences. D'une certaine façon, c'est notre seul rôle politique, au sens fort du mot, au  sens réel du mot.
C'est non  pas de faire la révolution, mais peut-être de participer à l'évolution des mentalités, des esprits. C'est ce qu'on peut faire. Alors il y a d'autres exemples avant nous : Chaplin quand il fait "Les temps modernes" de quoi il parle ?  Il parle de la condition ouvrière. Quand il fait "Le dictateur" il parle du nazisme etc  etc  Ce sont des thèmes graves, très cruels souvent,  et les gens rient."

"La politesse d'un humoriste c'est de faire rire quand même,  parce que sinon je fais un discours politique ou premier degré je vais rejoindre la cohorte des hommes politiques qu'on voit à la télé. La singularité de gens comme moi, et je ne suis  pas le seul à faire ça, c'est peut-être effectivement d'arriver à dire à peu près la même chose,  mais en trouvant la formule, le raccourci. Et c'est pas toujours exempt de mauvaise foi, d'ailleurs, mais il faut faire gros quelquefois pour faire passer les choses.
Tout ça fait que, peut-être, en sortant d'une salle de spectacle, les gens ont modifié un peu leur point de vue, sans le savoir même, sur tel ou tel sujet, voilà…"


 
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