Mercredi 28 juillet, le ministre de l’Education nationale a dévoilé le protocole sanitaire de la rentrée prochaine afin de lutter contre la propagation de l’épidémie dans les établissements scolaires. Et il soulève bien des questions chez les enseignants havrais.
« Le pass sanitaire n’a pas vocation à exister dans les établissements scolaires », a martelé Jean-Michel Blanquer. Le mercredi 28 juillet, à un mois de la rentrée, le ministre de l'éducation a indiqué plutôt envisager une « graduation à quatre niveaux », du vert au rouge, correspondant à différents degrés d’évolution de l’épidémie.
Si pour l’instant la règle sanitaire reste inchangée dans le premier degré - classe fermée pendant sept jours si un cas positif se déclare - c’est au collège et au lycée qu’une mesure a provoqué l’émoi : « dans le secondaire, seuls les élèves non vaccinés seront évincés et devront suivre l’enseignement à distance » a déclaré Jean-Michel Blanquer lors de son allocution le mercredi 28 juillet. En effet, si un élève d’une classe est positif au Covid-19, alors ses camarades non-vaccinés devront suivre les cours en distanciel, tandis que les vaccinés resteront en présentiel. Si pour le ministre il s’agit là d’une « forte incitation à être vacciné », pour les enseignants, c’est inadmissible.
Non à la discrimination "sanitaire" et à la stigmatisation des élèves non vaccinés qui vont encore accroître les inégalités sociales entre les familles qui ont accès aux soins facilement et celles qui n'en ont pas les moyens. »
Le risque également, accroître une certaine lassitude, et le décrochage scolaire: « Ce n’est pas un système qui sera favorable pour les raccrocher » regrette Franck Feras, professeur de mathématiques au lycée professionnel Claude Monet, au Havre.
Double-peine pour les élèves et les enseignants
Un étudiant testé positif sera obligé de rester chez lui et ainsi risquera d’accumuler du retard par rapport à ses camarades… Quant aux enseignants, devront-ils assurer simultanément des cours en présentiel et en ligne ?
Ca compliquerait la donne. Il faudrait qu’on ait deux jobs en même temps : celui qui continue de faire cours aux élèves que le ministère continue d’accepter, et d’essayer de professer aussi auprès de ceux qui sont qualifiés d’évincés. Faire les deux en même temps, j’avoue que je ne le sens pas trop. »
La mise en place d’un tel dispositif demanderait une organisation complexe. « Comment cela peut-il être effectivement mis en place sans moyens supplémentaires si les enseignants assurent déjà leurs cours en présentiel. Là-dessus, Blanquer ne dit pas un mot. Il ne se préoccupe en aucun cas des conséquences concrètes sur les études des élèves et les conditions de travail des enseignants » s’indigne Sud Education Seine-Maritime et Eure. Car pour assurer au plus grand nombre l'accès à un enseignement à distance de qualité et éviter que la fracture numérique n’accentue les disparités scolaires, il faudra fournir aux élèves et aux enseignants des outils informatiques et une connexion gratuite, comme lors des mois précédents. « Nous sommes pour un plan d'urgence, massif pour l'Éducation nationale avec des embauches et des moyens afin de tester massivement les élèves et les personnels, de permettre l'enseignement en effectif réduit dans des locaux ventilés et désinfectés régulièrement sans diminuer les horaires de cours des élèves, de mettre en place de l'enseignement à distance seulement pour les élèves déclarés positifs » appelle le syndicat Sud Education dans une publication Facebook.
Organisation et timing
Qui aura la responsabilité de vérifier le parcours vaccinal des étudiants ? « Pour l’instant les consignes n’existent pas, donc on risque d’être une nouvelle fois dans l’improvisation » explique Franck Feras. Cela relèvera-t-il de la responsabilité des chefs d’établissements ? Des infirmières scolaires ? Cela se déroulera-t-il simplement sur du déclaratif de la part des élèves, ou y aura-t-il un contrôle officiel de documents ?
Va-t-on comme l’an passé avec les tests PCR demander une attestation sur l’honneur aux familles ? Même les élèves vaccinés peuvent être contagieux, alors où est la logique dans ces évictions ? On pourra voir des élèves non vaccinés non porteurs être évincés tandis que des élèves certes vaccinés mais porteurs iront en cours et contribueront potentiellement à faire circuler le virus ? »
Tant de questions générant un problème sous-jacent : « Quelques élèves pourraient prétendre de ne pas être vaccinés pour se dispenser de cours, peu importe qui vérifie. On ne pourra ni avoir des moyens d’investigation, ni les forcer à nous présenter les documents de toute façon ».
Se pose également la question du timing : était-ce le moment opportun pour faire ces annonces ? « Encore une fois, notre ministère "pond" un protocole foireux pendant les vacances sans aucune concertation ni conscience de la réalité du terrain » s’exaspère Sud Education Seine-Maritime et Eure. Un sentiment partagé par l’enseignant havrais Franck Feras :
Il faut préparer la rentrée, oui, mais je pense qu’il y a un tas d’enseignants de France qui ne savent toujours pas que ça va se passer comme ça »
A ce jour, les mesures concernent les établissements généraux; rien n’a été précisé pour les établissements professionnels, concernés par des conditions d’enseignement différentes. « Si un élève n’est pas vacciné, peut-on l’autoriser à l’envoyer en stage ? Pareil pour l’accès aux internats, demi-pensions… Y aura-t-il besoin du pass sanitaire comme à l’hôtel et restaurant ? » se demande Franck Ferras.
Enfin, afin d’atteindre un taux de vaccination maximal dans le secondaire seront déployés à partir de la rentrée « 6000 à 7000 centres de vaccination dans ou à côté des établissements scolaires » a précisé le ministre de l'éducation. Mais à quel type de public seront-ils destinés, seulement aux élèves dudit établissement, ou aussi à ceux alentour ? Dans un contexte de propagation du virus, cette mesure pourrait s’avérer être à double tranchant : « Ça peut être une bonne solution d’amener une possibilité de vaccination à proximité des élèves, à condition de ne pas accueillir tout un tas de gens extérieurs à l’établissement… » s’inquiète l’enseignant.
Pas de pass sanitaire dans les établissements scolaires donc, mais une forte volonté de la part du gouvernement d’inciter les parents à faire vacciner leurs enfants dès l’âge de 12 ans.