Plusieurs élus ont dénoncé un "racisme anti-corse" et un "lynchage médiatique", un "grand classique" sur l'île où le football est un vecteur identitaire fort, rappellent des experts.
Crispation politique
"Vous avez la partie continentale et la partie insulaire, les deux se sentent agressées", résume à l'AFP Didier Rey, historien et professeur à l'Université de Corte: "L'une sur le terrain et par rapport au comportement réel ou supposé des supporters ou des équipes insulaires, et les Corses se sentant dénigrés systématiquement et pensant que les incidents sont grossis systématiquement et que les sanctions sont différentes en fonction du présumé coupable".
Édouard Philippe : « Comme une immense majorité de Français, j'ai été consterné par ce que j'ai vu à Ajaccio. Le football a perdu. » #ACAHAC pic.twitter.com/1DOPzsA87V
— Actu Foot (@ActuFoot_) 22 mai 2018
Les politiques montent au créneau
Dans la foulée du match houleux remporté dimanche par Ajaccio aux tirs au but, tous les grands responsables et élus politiques de l'Île de Beauté sont montés au créneau face à la polémique.Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, a dénoncé un "climat d'hystérie anti-corse", le président indépendantiste de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni a fustigé la "haine anti-corse", promettant une "riposte énergique" sur le terrain judiciaire --il doit d'ailleurs s'exprimer mardi après une réunion avec les bâtonniers, des avocats et des élus corses. Le député nationaliste Jean-Felix Acquaviva a lui
aussi dénoncé un "acharnement anti-corse (...) indécent".
"C'est un grand classique depuis 50 ans parce que vous avez encore et toujours ce phénomène victimaire" poursuit Didier Rey.
"La force du foot, c'est que ça permet de jouer sur la victimisation, et ça marche très bien pour les mouvements politiques qui jouent eux-mêmes sur une revendication victimaire", abonde Thierry Dominici, docteur en sciences politiques et spécialiste de la Corse à l'Université de Bordeaux.
"Dialogue victimaire"
Les réactions courroucées ne se sont d'ailleurs pas limité au camp nationaliste.Le maire LREM de Bonifacio Jean-Charles Orsucci a ainsi multiplié les tweets pour dénoncer "les propos racistes" de journalistes ou d'internautes et fustiger l'idée que "seuls les Corses et tous les Corses sont racistes, violents". "Il ne faudrait (...) pas qu'on intente une nouvelle fois un procès généralisé et à charge contre
la Corse tout entière à travers ce match de football", a aussi tweeté le maire sans étiquette (ex-LR) d'Ajaccio, Laurent Marcangeli.
Aux yeux de Thierry Dominici, ces réactions très largement partagées sont logiques: en Corse "le nationalisme est partout, au-delà du nationalisme institutionnel, c'est-à-dire des élus, et il est vrai qu'il n'y a pas meilleur sport identitaire que le football".
M. Dominici ajoute d'ailleurs que le ballon rond a joué pendant quelques jours un rôle de ciment insulaire spectaculaire, même si les joueurs de l'ACA ne sont pas tous originaires de l'île, "l'AC Ajaccio devenant le club de tous les Corses".
Même le SC Bastia a apporté "tout son soutien" à l'AC Ajaccio face au "lynchage médiatique", réclamant "respect et traitement équitable dans les médias" pour les clubs corses de football.
Selon Didier Rey, plusieurs éléments sont venus se superposer dans cette rencontre sportive: un "amateurisme" des pouvoirs publics dans l'encadrement sécuritaire du car vendredi soir, des incidents sur le terrain qui sont de plus en plus "répétitifs" dans le football français et le "dialogue victimaire" entre Ajaccio et Le Havre qui illustre "les relations difficiles entre le continent et la Corse".
Pour M. Dominici, les politiques corses s'inspirent "du système catalan qui utilise la victimisation et les réseaux sociaux. Ils se sentent contraints de répondre à l'immédiateté des réseaux sociaux et font de la communication politique sur des événements qu'ils ne gèrent pas".