Des hooligans dans la tribune du FC Rouen ? Décryptage du phénomène avec Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du football

Un récent reportage de France 2 a mis en lumière les agissements violents et xénophobes de groupes de hooligans dans et aux abords de stades français. Des tags antisémites et racistes signés YSCR ont été retrouvés dans les toilettes du stade Robert Diochon après un match du FC Rouen. Pour mieux appréhender ce phénomène, nous nous sommes entretenus avec Ludovic Lestrelin, sociologue normand spécialiste des supporters de foot.

Depuis les années 1980, des groupes de hooligans sont présents sur les bancs des supporters des stades de football français. En 2022, StreetPress et L'Équipe ont entrepris de cartographier une vingtaine de groupes de hooligans, violents et majoritairement d'extrême droite. En Normandie, nos confrères ont identifié l'existence du Young School Casual Rouen (YSCR) qui s'affiche au milieu des supporters du FC Rouen dans les tribunes. Ce groupe de hooligans serait composé de 15 à 35 membres proches de l'extrême droite. Il aurait été créé en 2020 ou avant et aurait des liens d'amitiés avec les Ultras de Rouen et les Brizak Nancy. 

Le 15 mars 2023, une enquête du 20h de France 2 a dévoilé l'existence de graffitis néo-nazis, antisémites et islamophobes dans les toilettes du stade Robert Diochon, à Petit-Quevilly, après un match entre le FC Rouen et Poissy le 11 février. Des tags signés YSCR selon nos confrères. La banderole de ce groupe de hooligans a également été aperçue dans la tribune du stade selon France 2. En août 2022, le journaliste de StreetPress qui avait cartographié le phénomène, rapportait sur Twitter la présence, dans la tribune du stade Diochon lors d'un match Rouen-Beauvais, d'un drapeau confédéré et d'une banderole du YSCR en runes nordiques, des symboles repris par les néonazis.

Cette banderole YSCR, accolée à celle des supporters du club, est visible sur des photos publiées sur le site officiel du club rouennais comme lors du match entre le FC Rouen et Poissy le 11 février 2023. Mais aussi ici lors du match opposant le FC Rouen à Rennes B le 21 janvier dernier. Ou encore lors de ce match face à Granville du 16 septembre 2022.

À la suite du reportage de France 2, le club rouennais a réagi dans un communiqué. "Le club respecte les opinions de chacun mais se désolidarise totalement des valeurs et de l'idéologie véhiculées par ces symboles et condamne fermement leur présence dans l'enceinte, quels qu'en soient les auteurs et leur appartenance - ou non - à un groupe de supporters du FCR. Nous rappelons par ailleurs qu'aucun incident à caractère raciste ou discriminatoire n'a jamais eu lieu à Diochon lors des matchs du FC Rouen et que chacun y est le bienvenu, indépendamment de toute considération sociale, ethnique, religieuse ou politique", écrit le FC Rouen sur son site le 15 mars. 

Afin de mieux comprendre le phénomène des hooligans, les raisons de leur présence dans de nombreux stades, même parmi les supporters d'un club de 4e division comme le FC Rouen, et les solutions pour endiguer ce phénomène, nous nous sommes entretenus avec Ludovic Lestrelin, sociologue à l'université de Caen-Normandie. Ses travaux se concentrent sur le monde du sport, en particulier sur le football et le supportérisme. En octobre 2022, il a publié un livre intitulé Sociologie des supporters dans la collection Repères des éditions La Découverte.

Ludovic Lestrelin n'a pas répondu spécifiquement sur le groupe YSCR qu'il n'a pas étudié et auquel il ne prévoit pas de consacrer de futures recherches.

Nous entendons régulièrement parler de hooligans, d'ultras… Mais qu'est-ce qu'un hooligan ? Quelle est la différence avec un ultra ? 

Quand on dit "hooliganisme", on met dans le même sac tous les supporters violents mais tous les supporters violents ne se définissent pas comme hooligans. Les individus qui se définissent comme hooligans forment une catégorie de supporters centrés sur la violence, qui se constituent en bandes informelles. Ils font partie d'un petit univers national et international, avec ses codes culturels et ses valeurs.

Les ultras, eux, sont des collectifs organisés sous forme associative qui ont pour objectif d'animer le stade. Certains refusent toute forme de violence mais d'autres l'acceptent plus volontiers et peuvent y recourir dans une logique de compétition avec d'autres groupes ultras. Comme dit Nicolas Hourcade [sociologue spécialiste des supporters de football, ndlr], chez les ultras, la violence est marginale mais centrale car acceptée et légitimée. Elle fait partie de cet univers, mais ce n'est pas le moteur central.

Qui sont les hooligans français ?

En France, leur appartenance sociale est assez diversifiée en fonction des clubs de football et des collectifs. Certains appartiennent aux classes populaires, d'autres aux classes moyennes supérieures. On ne peut pas les assimiler à la classe ouvrière comme c'était le cas dans les années 1960 et 1970 en Grande-Bretagne.

Ce qui caractérise les collectifs de hooligans est le fait qu'ils soient composés d'hommes, en grande majorité blancs. Dans les bandes qui se sont constituées ces dernières années, ce sont de jeunes hommes, parfois à peine majeurs. Ils se regroupent autour d'un même intérêt pour l'univers hooligan et autour du soutien actif à un club de foot. 

Je ne pense pas que le terme de retour soit juste parce que le hooliganisme n'a jamais cessé d'exister. Ce qui le caractérise est la transmission entre générations, et l'arrivée régulière de jeunes hommes attirés par cet univers et la violence.

Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du supportérisme

Ces groupes actifs ne sont pas extrêmement nombreux mais cela suffit à poser un certain nombre de difficultés. Ce sont généralement de petits collectifs dont les membres acceptent de se livrer à des agissements répréhensibles. Le fait que ce soient de petits groupes leur permet d'être plus facilement mobiles, et d'échapper plus facilement à la surveillance.

Assiste-t-on à un retour du hooliganisme en France ces dernières années ? 

Je ne pense pas que le terme de retour soit juste parce que le hooliganisme n'a jamais cessé d'exister. Ce qui le caractérise est la transmission entre générations, et l'arrivée régulière de jeunes hommes attirés par cet univers et par la violence. Depuis les années 1980 en France, il y a régulièrement des générations d'individus qui vont rejoindre des collectifs déjà existants ou fonder de nouveaux collectifs donc il y a une transmission intergénérationnelle. Les collectifs s'inspirent des générations précédentes, et parfois des anciens initient de plus jeunes.

Mais la différence avec les années 1990 est qu'aujourd'hui les stades sont sécurisés et équipés de dispositifs technologiques de surveillance. On observe ainsi une tendance au déplacement de la violence en dehors des stades. La violence est ainsi éloignée spatialement et temporairement du match et des stades. Ce phénomène est documenté par les chercheurs et les journalistes depuis 20 ans. 

Drapeaux confédérés, symboles nazis, tags et insultes antisémites, racistes, homophobes et islamophobes… Les hooligans sont-ils instrumentalisés par l'extrême droite ? 

Originellement, en Grande-Bretagne, dans les années 1970, il y avait un lien entre hooliganisme et extrémisme politique. En Allemagne également. Mais les hooligans ne sont pas tous d'extrême droite, ce n'est pas systématique.

Le hooliganisme apparait surtout comme une activité masculine et dans laquelle la violence structure la recherche identitaire de jeunes hommes en quête d'excitation. Le stade apparait comme un lieu où on peut expérimenter une forme d'excitation, un style de vie non conventionnel, et où on va pouvoir constituer du lien. À la base, le hooliganisme est un phénomène de groupe qui consiste à exprimer sa force et sa virilité collectivement. Un groupe de hooligans est une bande d'amis, il s'agit d'être ensemble. Des proximités peuvent aussi se créer entre différents collectifs de hooligans.

Ce qui se joue au stade est aussi le reflet d'une montée de l'activisme de l'extrême droite en France. Un activisme qui se manifeste dans les villes, les rues, et pas seulement au stade.

Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du supportérisme

En revanche, il y a une forme de fascination croisée entre les univers du hooliganisme et de l'extrême droite : des militants d'extrême droite sont fascinés par les agissements des hooligans dans les stades. Les groupes de hooligans sont autonomes, ils ont leurs propres règles, mais des individus peuvent passer d'un activisme au stade à un activisme politique. Les points communs entre ces univers sont les forts liens de camaraderie, la masculinité agressive et la radicalité. 

Ce qui se joue au stade est aussi le reflet d'une montée de l'activisme de l'extrême droite en France. Un activisme qui se manifeste dans les villes, les rues, et pas seulement au stade. La question est : à quel point le monde du sport est-il autonome vis-à-vis de grandes tendances qui concernent le reste de la société ?

Comment comprendre que le hooliganisme s'infiltre partout, même dans des clubs de 4e division comme le FC Rouen ? Et qu'ils agissent en toute impunité dans les stades ?

C'est un club qui a une longue histoire professionnelle, et donc des habitudes anciennes de régularité d'un public et d'une forme de ferveur populaire installée. Il n'est donc pas illogique que de jeunes gens comprennent qu'à Rouen, il se passe des choses au stade le samedi soir, et qu'ils peuvent investir cet espace pour y vivre les expériences qu'ils veulent y vivre.

Le FC Rouen est un club qui n'a pas les mêmes moyens humains et techniques qu'un club de ligue 1 ou ligue 2, donc il est plus facile de se livrer à de tels agissements. Mais les clubs professionnels de ligue 1 rencontrent aussi cette problématique et n'arrivent pas à la résoudre.

Qu'est-ce que la présence de ces hooligans un peu partout en France dit du monde du football ? 

On se pose souvent la question : pourquoi cela arrive dans le foot et pas dans un autre sport ? Le football est le sport le plus populaire et celui qui agrège le public le plus nombreux et le plus régulier. Une partie des hooligans aiment le football, d'autres ont un rapport plus distancié au foot.

Mais si on a envie de gouter au frisson de la violence ou de la transgression, on sait que ce n'est pas autour des matchs de volleyball ou de handball que ça va se jouer. C'est au foot que c'est excitant

Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du supportérisme

Mais si on a envie de gouter au frisson de la violence ou de la transgression, on sait que ce n'est pas autour des matchs de volleyball ou de handball que ça va se jouer. C'est au foot que c'est excitant, qu'il y a des rivalités supportéristes et de la violence. Une culture du supportérisme radical s'est installée depuis plusieurs décennies, se perpétue, et ces jeunes hommes s'y insèrent. 

Quelle est la responsabilité des clubs ? 

Les clubs se réfugient derrière une attitude pragmatique généralisée qui est celle de dire que tant qu'il ne se passe rien dans le stade, tout va bien, et que ce qui se passe à l'extérieur n'est pas de leur ressort. Mais ils sont confrontés à une question qui risque d'empoisonner leur quotidien dans les années à venir s'ils ne s'y confrontent pas.

Les dirigeants de club peuvent estimer que le hooliganisme est un problème sociétal, ce qui est une façon de dire que ce sujet relève des autorités publiques. C'est en partie vrai mais on voit bien que c'est aussi un problème de club, d'entreprise. La bonne tenue des matchs et la sûreté au stade sont des enjeux forts pour un club. Celui-ci a des partenaires qu'il doit fidéliser, de même qu'il doit fidéliser un public pour dégager des recettes liées à la vente des billets. C'est donc un problème économique et d'image qui concerne le club. 

C'est un problème d'une grande complexité qui nécessite une réponse plurielle et fine qui joue sur le préventif et le répressif au long cours et au quotidien. Cela passe par un travail partenarial qui implique le club, la sécurité publique et la Ville. Ça ne peut pas être autre chose qu'un travail collectif.

Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste du supportérisme

Les clubs sont face à une problématique qui suppose de développer une stratégie avec des méthodes de travail, mais cela nécessite une certaine expertise, des moyens humains et des investissements techniques et financiers. Cela passe par un travail partenarial qui implique le club, la sécurité publique et la Ville. Ça ne peut pas être autre chose qu'un travail collectif.

Quelles sont les solutions pour endiguer le phénomène ? 

C'est un problème d'une grande complexité qui nécessite une réponse plurielle et fine qui joue sur le préventif et le répressif au long cours et au quotidien. Il faut travailler sur des leviers diversifiés : des actions de prévention, d'éducation au supportérisme - qui est inexistante en France -, des campagnes de communication, des dispositifs techniques de vidéo surveillance, un travail relationnel mis en œuvre par des référents supporters, c'est-à-dire des salariés des clubs qui ont pour rôle de dialoguer au quotidien et de créer des  liens avec les supporters, et aussi des interdictions de stade, des dépôts de plainte de la part du club, etc. 

En fait, tout dépend du volontarisme. Et le volontarisme n'est pas toujours là car, d'une part, c'est un travail difficile et coûteux, et parce que, d'autre part, le foot n'est pas un enjeu assez fort dans notre pays, comme il l'est aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne.

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