Depuis le 22 août 2022, sur Instagram, plus d'une cinquantaine de témoignages visent la célèbre marque de maroquinerie rouennaise "Paul Marius". Son fondateur, Florent Poirier, est accusé par certains employés de "faire régner la terreur" au sein de son entreprise.
Au travail, la boule au ventre. Julie* souhaite préserver son anonymat. Elle a travaillé pour le service communication de la maroquinerie rouennaise "Paul Marius". Elle garde aujourd’hui les traces d’un passé difficile, d’un quotidien qu'elle décrit "invivable". Au sein de l’entreprise, elle travaillait directement avec le fondateur de la marque, Florent Poirier. Elle décrit un chef d’entreprise "rabaissant" et "humiliant".
Julie fait partie des cinquante employés ou ex-employés à avoir pris la parole sur les réseaux sociaux depuis une semaine. Grâce au compte Instagram "Balance ton Agency", ils dénoncent à tour de rôle des pratiques "de management par la peur".
"J'ai fini à l'hôpital avec un triple ulcère, aucune reconnaissance", "On s'en prenait plein la gueule, un traumatisme pour moi", "J'étais sûre que ça éclaterait un jour, j'ai encore peur des répercussions", peut-on lire parmi les nombreux témoignages publiés sur le réseau social.
"Un coup, on est l’étoile montante, on nous fait un éloge. Le lendemain c’est l’hécatombe, rien ne va". Au bout du fil, Julie précise qu’elle ne souhaite pas un "déferlement de haine" envers l’entreprise Paul Marius à qui elle reconnaît vivement les qualités de cette "sucess story". En revanche, elle pointe du doigt les relations avec sa personne référente, Florent Poirier.
Un management par la peur
"Il ne nous laissait aucune créativité, je ne pouvais rien faire sans son aval, même pas écrire un post Facebook de trois lignes. C’était invivable. Je devais terminer à 17h30, parfois il était capable d’attendre 20h pour venir valider mon travail. Bien-sûr, les heures supplémentaires n’étaient pas payées. Un jour, je suis arrivée à 9h05, avec cinq minutes de retard, il m’a hurlé dessus dans les escaliers. Il criait ‘tu te prends pour qui ? On est chez Paul Marius ici’", se remémore avec émotions Julie.
Méchanceté, critiques physiques sur ses salariés, manipulation… Julie décrit une "ambiance de travail terrible. Il hante nos esprits, il agit comme un pervers narcissique et essaye de nous manipuler". Au bout de quelques mois, Julie craque et décide de quitter l’entreprise. Selon la jeune femme, Florent Poirier n'aurait pas apprécié ce départ précipité.
Son visage s’est noirci. Il a tapé du poing de la main sur la table. Il criait que j’étais zéro, que je servais à rien, que j’allais finir caissière. Dans tous les cas j’étais minable et il m’a assuré que je ne retrouverais pas de travail car il connaissait tout le monde à Rouen.
Julie, ancienne employée de Paul Marius
Marie*, une autre employée, partage le même sentiment. Elle travaillait chez Paul Marius en 2019. "Moi je m’en suis remise, je suis partie avant que ça ne fasse trop de dégâts psychologiquement", tente de relativiser la jeune femme. Comme Julie, elle décrit l’attitude de son chef. "Il partait dans des crises de nerf. Quand on entendait sa grosse voiture arriver au bureau, tout le monde stressait. Au bout de deux mois, je pleurais tous les soirs en rentrant chez moi. Demain, si je suis chirurgienne, je peux tolérer des pleurs sous la pression mais je ne peux pas me mettre dans cet état pour une marque de maroquinerie".
En 2019, épuisée, Marie tente d’alerter la Directrice des Ressources Humaines (DRH). A l’époque, celle qui occupe ce poste est Marie Poirier-Fauvin, la femme de Florent Poirier. "Elle le défendait tout le temps, elle disait qu’il était stressé".
Une histoire de famille
Si la femme de Florent Poirier occupe un poste dans son entreprise, ce n’est pas le seule membre de la famille à travailler chez Paul Marius. Il y a aussi eu Martine Fauvin, ancienne directrice commerciale, la belle-mère de Florent Poirier. Cette dernière n'y travaille plus depuis deux ans. Font également partis de l'équipe : Hugues Mas, le meilleur ami de Martine Fauvin, directeur du développement commercial et Guillaume, le cousin de Florent Poirier, responsable de la boutique lilloise. Tous sont pointés du doigt pour leur comportement excessif.
"Cette histoire de famille, sur le principe, ce n’est pas dérangeant quand c’est bien géré. Mais dans ce cas de figure, on ne pouvait plus rien dire ni se plaindre. On était épié. Dès que l’on pense parler à un collègue, c’est le fils d’un ami, susceptible de rapporter ce que l’on dit. C’est très subtil, mais cette expérience a été traumatisante", se souvient Louise*, une autre femme qui souhaite également garder l’anonymat.
Lorsque Louise travaillait chez Paul Marius, elle n’était pas en lien direct avec Florent Poirier. Après un an et demi de collaboration, elle a décidé, elle aussi, de quitter le navire. Elle se souvient de la réaction de Marie Poirier-Fauvin, la femme de Florent Poirier : "T’as de la chance d’avoir trouvé un autre travail car on est très influent à Rouen". Elle décrit cette famille "comme une mini secte, qui nous fait croire qu’il n’y a qu’eux à Rouen".
Paul Marius c’est un rouleau compresseur humain. J’en suis sortie vidée
Louise, ex-employée chez Paul Marius
Avant de terminer notre conversation, Louise souhaite que son témoignage, ajouté aux autres, apaise la situation actuelle. "C’est une marque que je sais respecter même si elle m’a mise plus bas que terre. Je ne témoigne pas pour faire tomber Paul Marius, mais pour mettre en garde ceux qui souhaiteraient rejoindre les équipes, créer un échange et améliorer les conditions de travail".
Pour savoir quel est le profil des autres témoignages, nous nous sommes entretenus avec Anne Boistard, celle qui se cache derrière le compte Instagram "Balance Ton Agency", suivi par plus de 300.000 abonnés.
Depuis deux ans, Anne Boistard relaye des récits anonymes de violences dans le milieu de la publicité. L'entreprise de maroquinerie est la première marque dans son viseur. "J'ai reçu plus de 500 réactions à la suite d'un post et plus d'une cinquantaine de témoignages. Ce sont des personnes qui sortent d'écoles, des jeunes... Certains ont travaillé au siège à Rouen, d'autres dans la boutique de Lille mais aussi au dépôt de la maroquinerie. Tous décrivent des conditions de travail déplorables".
Florent Poirier se défend
Contacté par téléphone, Florent Poirier confie prendre "de plein fouet cette affaire". Ces témoignages "perturbent nos collaborateurs et notre entreprise depuis une semaine". Selon le PDG de Paul Marius, un numéro vert a été mis en place depuis deux jours avec au bout du fil des professionnels de santé pour les collaborateurs qui souhaiteraient se confier. "Le sujet est extrêmement pris à cœur".
Cette affaire perturbe énormément nos collaborateurs et notre entreprise depuis maintenant une semaine. Le sujet est aujourd’hui extrêmement pris à cœur. On ne peut pas se laisser accuser de propos anonymes sans droit de réponse.
Florent Poirier, PDG de Paul Marius
Visé pour son caractère exigeant et vif, Florent Poirier reconnaît avoir pu "manquer de tact" et pousser "des coups de gueule". Depuis plusieurs mois, il affirme prendre du recul sur cette situation. Le PDG ajoute que cette cinquantaine de témoignages sur les réseaux sociaux ne reflètent pas la réalité. "Vous parlez de 50 témoignages, vous en avez reçu une dizaine, mais aujourd’hui, Paul Marius, c’est 200 collaborateurs".
Un expert indépendant devrait être sollicité pour effectuer un audit social au sein de l’entreprise en septembre.
En boutique, "pas du tout le même ressenti"
La plupart des témoignages qui accablent le PDG et l'entreprise concernent principalement les conditions de travail et l'ambiance au siège. En boutique, c'est la stupéfaction. "C'est super dur pour nous de lire tout ça en ce moment car notre réalité est tellement autre", nous confie Céline, responsable de la boutique Paul Marius à Limoges. "On a une super relation avec Florent. Il passe nous voir en boutique, il assiste à toutes les inauguration. Il y a une super ambiance de travail !"
Je suis bien dans mon boulot et je suis peinée de voir mon entreprise se faire déglinguer. On a peur pour nos emplois !
Céline, responsable de boutique
Cette affaire ne semble pas pour l'instant impacter les ventes en boutique. "On a même un peu plus d'affluence avec la rentrée !"