La première journée mondiale sans mobile naît en 2001, époque à laquelle l’accessoire ne permet que de téléphoner. Depuis 2004, l’évènement court sur trois jours, du 6 au 8 février, pour permettre à chacun de mieux « décrocher ». Reportage à Rouen, où vingt ans plus tard, l’idée d’une journée sans téléphone prête plutôt à sourire.
Créée en 2001, la journée mondiale sans téléphone portable se déroulait le 6 février, le jour de la Saint-Gaston, clin d’œil à Nino Ferrer et à sa chanson « Gaston y’a l’téléfon qui son ».
Dans les rues de Rouen, en ce début de février 2022, les journées mondiales sans téléphone portable n’évoquent pas grand-chose. « Ah bon ? Pas entendu parler », s’étonne ce patron de bar rouennais. « Me passer du téléphone pendant 24h ? Honnêtement je ne pense pas en être capable », avoue un groupe d’amies assises en terrasse sur les bords de Seine. « Maintenant tout est connecté ! Se priver ? Pourquoi ? », ironise le groupe d’amies.
Couteau suisse du XXIème siècle
Si à l’aube des années 2000 le téléphone ne servait qu’à téléphoner, l’objet est devenu un couteau suisse, indispensable au quotidien : prendre des photos, trouver un itinéraire ou même faire ses courses.
À l’arrêt de bus du Théâtre des Arts, les visages se cachent derrière des masques chirurgicaux ou de simples écharpes. Nombreux sont les regards rivés sur ces petites fenêtres numériques. « Je suis une radio locale qui donne des informations sur ce qui s’est passé au bled », dévoile Mohamed, originaire de Guinée. « Je suis peut-être un cas à part parce que je n’ai pas les réseaux sociaux mais la musique, je ne peux pas m’en passer », livre Lou, étudiante. « Si je dois rejoindre quelqu’un, je peux prévenir d’un retard », ajoute Gianni, lycéen.
Jouer en ligne, consulter les réseaux sociaux, appeler sa grand-mère dont on n’a pas pris de nouvelles depuis plusieurs semaines… « Vu qu’on est sur son téléphone on ne s’ennuie pas parce qu’attendre le bus c’est souvent un peu long », argumente Grégoire, lycéen.
Rentabilité absolue
En salle d’attente ou à l’arrêt de bus, au XXIème siècle… il n’est plus question de perdre son temps. « Maintenant on est dans un monde de l’hyper efficacité et du coup il faut être le plus efficient possible et maximiser, quitte à ce que ce soit futile, maximiser et combler les temps morts », éclaire David Saint Vincent, psychologue.
Le spécialiste en addictologie rappelle que il est important d’apprendre à s’ennuyer, « il y a des choses que l’esprit humain ne comprend bien que quand il prend le temps de les observer », souligne-t-il.
« Il faut aussi que les adultes se regardent dans le miroir. Et il y a un enjeu éducatif par l’exemple »
David Saint Vincent, psychologue addictologue
David Saint Vincent tient à préciser que si les jeunes sont souvent pointés du doigt quant à leur consommation excessive d’écrans - qu’ils tiennent dans la main ou qu’ils trônent au milieu du salon -, les aînés ne sont pas toujours des modèles. « Il faut aussi que les adultes se regardent dans le miroir. Et il y a un enjeu éducatif par l’exemple ». Sans demander aux parents d’être irréprochables, il faut à travers leurs actes montrer qu’il est possible de réguler. « La journée sans téléphone portable permet de se poser cette question, c’est en cela qu’elle est utile », conclut le psychologue.
2,9 heures par jour
En 2020, le temps passé devant un écran de téléphone mobile a augmenté de 20% par rapport à 2019 selon un rapport de la société d'analyse de données mobiles App Annie (l’étude ne prend en compte que les utilisateurs d'Android, le système d'exploitation de Google). Les Français passent en moyenne 2,9 heures par jour sur leur téléphone.
Il existe des applications pour réduire sa consommation d’écran téléphonique. « Temps d’écran » sur IOS permet de calculer le temps passé quotidiennement sur le smartphone et à quelles fins. D’autres outils disponibles sur IOS et Android comme « Offtime » ou encore « Flipd », qui permet de programmer une durée maximum d’utilisation pour chaque application du téléphone.
Le smartphone, outil de travail
Lâcher le téléphone et réapprendre à s’ennuyer, d’accord. Mais au travail, peut-on laisser les smartphones de côté ? « Impossible ! », soutient Xavier, vendeur dans une boutique de prêt-à-porter du centre-ville. « Ce sont des outils qui nous servent pour traiter les commandes, gérer les stocks, communiquer avec les clients », développe-t-il. Par ailleurs, les commerçants de la rue du Gros-Horloge se sont réunis dans un groupe de discussion en ligne pour partager des informations utiles à la communauté de professionnels du quartier.
Agenda, carnet de rendez-vous, tout est enregistré dans ces téléphones-ordinateurs-assistants. « Ça fait partie du travail. Sans téléphone on ne peut pas accepter de commande, ni livrer, ni contacter le client. Donc on est obligé d’avoir un portable avec un forfait qui va avec », ajoute Anas, livreur à vélo.
Pour parvenir à se passer de son smartphone pendant vingt-quatre heures, plus de chance pendant les vacances peut-être. Mais pour aller au cinéma ou au restaurant, il faudra faire partie des 10% de Français à présenter un pass vaccinal… version papier.