TEMOIGNAGE - Quatre réfugiés afghans accueillis à Rouen

Par milliers, les Afghans ont fui leur pays après l'arrivée au pouvoir des talibans. Parmi eux, quatre intellectuels ont été accueillis à Rouen. Nous leur avons donné la parole.

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Ils sont militants, journalistes ou artistes. Le retour au pouvoir des talibans les a forcés à l'exil. En quelques semaines, menacés par les nouveaux maître du pays, ils ont quitté leurs provinces respectives pour rejoindre la capitale, pensant être à l'abri à Kaboul. Finalement, dans la plus grande confusion, et après le départ de l'armée américaine, les talibans ont repris le contrôle de tout le territoire afghan. Shagofa Arwin, Maryam Yousefi, Assad Koshan et Mina Rezae ont fui leur pays le 23 août dernier à bord d'un avion militaire français. Ils sont maintenant accueillis par le CDN et la ville de Rouen. 

"Je n’imaginais pas qu'un jour les talibans reviendraient au pouvoir"

Ils sont arrivés à Rouen au début du mois de septembre. Après avoir passé 12 jours à Paris, Shagofa Arwin est heureuse de découvrir une ville à taille humaine. "Ici, nous avons commencé à rencontrer des riverains, c'est plaisant, c'est calme" souligne la jeune artiste de 26 ans. Dans la province de Jawzjan, au nord-ouest de l'Afghanistan, Shagofa était militante pour le droit des femmes et des enfants afghans. Un travail de longue haleine pour faire changer les comportements et briser les préjugés.

Quand les talibans sont arrivés dans son district, par le nord du pays, Shagofa n'a eu d'autre choix que de fuir vers Kaboul. "J'avais déjà été menacée en 2019, explique la jeune femme, ce sont des extrémistes violents qui ne souhaitent pas l'émancipation des femmes évidemment. Mon engagement les gêne." 

Je voudrais continuer à me battre pour les générations futures, pour que leurs vies en Afghanistan soient plus belles

Shagofa Arwin, militante

Dans son village, non loin de la frontière iranienne, tout le monde la connaissait pour son engagement. "J'ai dû m'enfuir, même si je ne représente pas une menace pour eux, mes proches m'ont vraiment encouragée à partir, raconte Shagofa, triste d'avoir fui son pays natal, je voudrais continuer à me battre pour les générations futures, pour que leurs vies soient plus belles." Face à l'inexorable avancée des extrémistes, la militante a fait le choix de "la raison" : "si je veux changer les choses là-bas, je dois rester en vie et être courageuse pour continuer à me battre."

Dans l'appartement, prêté par le CDN, Shagofa partage un café avec Maryam. Elle aussi est orignaire de l'Ouest du pays. En Afghanistan, la jeune femme de 24 ans était comédienne. Le retour aussi rapide des fondamentalistes, elle n'y croit toujours pas : "je n’imaginais pas qu'un jour les talibans reviendraient au pouvoir, je suis encore choquée. Je ne fais que ressasser les images, tout ce que j'ai vécu ces dernières semaines, le départ de chez moi, puis de Kaboul." 

Dans son pays, Maryam jouait dans différentes des pièces de théâtre. Elle y montrait des sévices que pouvaient faire subir les talibans aux minorités, tout cela pour railler la pensée rétrograde des islamistes. Ces scènes l'ont placée sous le coup de représailles, désormais elle craint que ses proches soient la cible des talibans. "J’appelle ma famille tous les jours. J’ai très peur qu’il arrive quelque chose à mes frères et sœurs parce qu’eux aussi sont des activistes, s'inquiète Maryam." Comme Shagofa, elle est venue seule, sans ses proches en France.

"Ils sont pires qu'en 1996"

Assad Koshan lui est arrivé avec sa compagne, Mina Rezae. Il est journaliste pour un grand quotidien national afghan. Elle est militante. Tous les deux ont aussi été menacés par le régime taliban. "Ce sont des fous, ils veulent nous imposer leur pensée, leur mode de vie. Ils veulent interdire l'accès à la culture, à l'éducation. Ils méprisent les femmes et les droits de l'Homme," Assad n'a pas de mots assez durs pour qualifier sa détestation de l'idéologie que colporte le mouvement taliban. "J'ai connu la période 1996-2001, quand ils étaient déjà au pouvoir avant l'arrivée de l'armée américaine. Je peux vous dire qu'aujourd'hui, malgré leur communication, ils sont pires, bien pires, alerte le journaliste." 

A la rédaction de KabulNow, Assad Koshan était connu, comme beaucoup de journalistes indépendants pour ses positions en faveur de la démocratie et donc contre le régime taliban. Comme défenseur de la liberté de la presse et des libertés fondamentales, sa vie en Afghanistan était en danger. "Mes collègues et amis ont été arrêtés et détenus alors qu’il filmait une manifestation de femmes dans les quartiers ouest de Kaboul, s'indigne Assad, ces manifestantes réclamaient d'être entendues, que les femmes ne soient pas invisibilisées dans le régime taliban."

Assad regrette le départ précipité des armées occidentales d'Afghanistan. "En 2001, quand l'armée américaine, l'armée française, l'armée britanique sont arrivées chez nous, j'étais soulagé, explique-t-il, j'avais espoir que la démocratie s'installe enfin." 

Les talibans peuvent nous emprisonner physiquement mais ils n'emprisonneront jamais l'esprit des gens libres

Assad Koshan, journaliste

Après 20 ans d'occupation, il fait désormais le constat amer que cela n'a pas fonctionné, que les talibans repliés dans les montagnes ont patiemment attendu le retrait des différentes armées pour reprendre la main sur le pays. Mais Assad n'est pas totalement pessimiste, il espère qu'un jour l'Afghanistan sera un pays en paix : "les talibans peuvent nous emprisonner physiquement, nous pousser physiquement à l'exil mais ils n'emprisonneront jamais l'esprit des gens libres."

A 7000km de Kaboul, sur la rive droite de la Seine à Rouen, ces réfugiés continuent de militer à distance contre les extrémistes en attendant peut-être un jour de retrouver leur terre natale.

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