PORTRAIT - Le Havre : une vie après la Syrie pour le photographe de guerre Baraa al-Halabi

Baraa al Halabi est arrivé au Havre il y a 4 ans, lorsque sa sécurité en Syrie n'était plus assurée. Dès le début du conflit le jeune homme a photographié son pays pour en garder à jamais la mémoire vive. Il est revenu pour nous sur cette terrible guerre qui a bouleversé sa vie.

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"Je m'appelle Baraa, j'ai 28 ans et je suis syrien, je suis arrivé en France en 2017. J'ai quitté mon pays parce qu'il y a la guerre là-bas". Ces quelques mots, ainsi que beaucoup d'autres, Baraa al-Halabi les avait écrit sur une feuille de papier avant notre rencontre, comme pour ne pas les oublier dans le récit de sa vie que le jeune homme avait accepté de nous livrer. Nous avons retrouvé Baraa chez lui sur les hauteurs du Havre, dans l'appartement qu'il occupe avec sa femme et ses deux jeunes enfants. Il nous a alors confié des bribes de sa vie dans un français parfois hésitant, mais toujours soucieux d'être à la hauteur de sa langue d'adoption. Puis il nous a montré les photos qui peuplent son ordinateur et ses pensées, et évoqué toutes celles que nous ne verrions pas.

"J'ai commencé à prendre des photos pour l'histoire, ça fait 10 ans que la révolution a commencé en Syrie. Si un jour la justice se fait... J'ai à peu près 40 000 photos".

Les photos de Baraa al-Halabi ont été prises à Alep en Syrie, entre 2011, année du début de la révolution, et 2017, date à laquelle le jeune photographe a dû quitter son pays pour se réfugier en France. Lorsque le Printemps arabe essaime son vent de liberté sur la Syrie, Baraa est un tout jeune homme de 18 ans, étudiant en informatique à l'université d'Alep. Il rêve de liberté et de démocratie, et participe aux manifestations pacifiques du peuple syrien, armé de son seul appareil photo. La risposte du régime autoritaire de Bachard Al Assad est violente et sanglante. Le mouvement de contestation prend rapidement la forme d'une révolution, et les forces rebelles se structurent. Suivent les années noires pendant lesquelles la Syrie n'est qu'un terrain de guerre sur lequel s'affrontent dans une grande confusion le régime en place, les forces rebelles et Daech.

Quand je prenais des photos dans la rue, il y avait des bombardements. Je ne savais pas si je rentrerais vivant dans ma famille le soir. Ils ont bombardé les écoles, les marchés, les mosquées, les hôpitaux, partout. J'ai beaucoup de photos d'enfants morts dans une école, un hôpital.  

Baraa al-Halabi, photographe de guerre

"En 2016 il y a un bombardement sur le marché à Alep Al-Sokari. Arrivé là-bas, je n'ai pas reconnu le marché, il y avait une centaine de personnes mortes, certaines n'avaient plus de pied, plus de main, plus de tête. J'ai freezé comme je dis. Je n'ai pas pu prendre de photos, je regardais dans l'objectif mais je ne pouvais pas bouger. C'était très dur, très difficile. je me souviendrais toujours de ce jour."

"Bien sûr il y la guerre, mais il y a aussi la vie là-bas. J'ai pris des photos des écoles, des marchés, des mariages. La vie continue mais il y a la mort. J'ai perdu beaucoup de personnes que je connaissais bien", nous confie Baraa. 

J'ai perdu mon frère, tué par la balle d'un sniper du régime syrien, des amis journalistes tués par Daech. Beaucoup de personnes ont été tuées avec moi, à côté de moi. J'ai pris toutes ces photos car j'étais dans les bombardements, tout le temps. 

Baraa al-Halabi, photographe de guerre

Le garçon qui voulait tout photographier pour qu'on n'oublie jamais son pays s'est transfiguré au fil des ans en un photographe de guerre au regard engagé. Ses photos sont remarquables, et Baraa devient correspondant pour l'Agence France Presse. L'une de ses photos remportera même en 2015 le prix Fujaïrat de photojournalisme. Une récompense gorgée d'amertume.

"Cette photo je l'ai prise ne 2014 à Alep. la photo est très dure, elle explique bien ce qui se passe en Syrie. Il y a un homme qui a très peur, il porte un fille dans ses bras, et il court. Il y a aussi deux ou trois personnes autour qui ne comprennent pas ce qui se passe. On ne sait pas si la jeune fille est morte ou vivante. Toutes les photos que j'ai prises à Alep je ne les oublie pas. Jamais. J'ai essayé d'oublier mais je ne peux pas, parce que j'étais là-bas."

L'Agence France Presse aidera finalement le photographe a quitté la Syrie car sa sécurité sur place n'était plus assurée.

Vivre, coûte que côute

"J'ai essayé d'avancer dans ma vie, j'ai cherché du travail tout le temps. Je voudrais faire quelque chose que j'aime, être photographe, mais je n'ai pas trouvé. J'ai travaillé pendant deux ans dans une association qui s'appelle "Aquacaux ferme marine", j'étais content, j'avais des amis.".

"Toute ma famille est loin maintenant, en Syrie. Moi j'ai quitté toute ma vie là-bas et je suis arrivé ici. J'ai commencé à zéro, pour tout. Pour les papiers, pour le travail, pour chercher un appartement pour habiter, pour acheter quelque chose pour la maison...pour tout ! Etape par étape j'ai commencé une vie ici. Et la vie a continué. Je ne peux pas rester à la même place."

Un Havre de paix

"J'aime bien cette ville, il y a la mer. Quand je suis stressé je viens m'asseoir ici pour me reposer et ne pas trop réfléchir. J'aime bien aussi la culture ici. Je suis content, mes enfants sont rentrés à la maternelle, c'est génial pour moi. Ma femme commence à apprendre le français. Ma vie avance un peu, c'est bien. Je suis content"

"Avant j'étais photographe de guerre, aujourd'hui je photographie des personnes vivantes". Les photos de Baraa ont aujourd'hui les couleurs de la France, de la liberté, de l'insouciance. Mais l'inquiétude et l'effroi n'ont jamais vraiment quitté les yeux noirs du jeune homme, qui doit recomposer sa vie loin de ses parents, de ses amis, de son pays.

"J'ai essayé d'oublier avec le temps, avec une vie normale. Je pense que j'y arriverai. J'espère aussi, pour moi, pour ma famille, pour mes enfants. J'aimerais changé ce qui se passe là-bas mais...je peux pas".

Le portrait de Baraa al-Halabi est à retrouver mercredi 7 avril à 23h10 dans l'émission "Enquêtes de Région" sur France3 Normandie : Traumatismes, les chemins de la résilience

Au sommaire : rencontre avec Aude et Solveig qui ont entrepris un tour de France à vélo pour se relever de la disparition de leur petit garçon; Saint-Etienne-du Rouvray 5 ans après les attentats, une résilience collective; Portrait de Bernard Duval arrêté torturé et déporté par les nazis à 19 ans

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