Elles s'étaient faites discrètes ou avaient même disparu de notre région depuis plusieurs années : certaines espèces animales sont revenues en Normandie. Comment ce monde sauvage retrouve-t-il une place aujourd'hui ? Comment le protéger ? Exemple en Seine-Maritime.
On parle beaucoup du retour du loup dans notre région. Pourtant, il n'est pas le seul à revenir s'installer en Normandie. Faucons pèlerins, hiboux grands-ducs ou encore phoques sont eux aussi de retour. Pour comprendre ce phénomène et ce qu'il dit de nos efforts pour contrer l'effondrement du vivant, direction La Poterie-Cap-d'Antifer, en bord de mer, du côté des falaises de la Côte d'Albâtre.
Les espèces animales de retour : l'exemple du faucon pèlerin
Sur la Côte d'Albâtre ne vivent pas moins de 6 espèces d'oiseaux marins et une quinzaine d'espèces rupestres. Pour les apercevoir, il faut longer la falaise, se frayer un chemin au milieu des rochers, quitter un instant le monde des humains. Le lieu, modeste réserve ornithologique, est resté sauvage. Cyriaque Lethuillier, guide naturaliste, la surveille depuis une quinzaine d'années. "Il y a une spécificité : la zone est très difficilement accessible", observe-t-il. "C'est une porte d'entrée pour le retour d'espèces jadis disparues."
Regardez le dossier préparé par F. Pesquet, P. Léonard, A. Molina-Mounier, S. Pierson et G. Marinier :
Aux côtés des grands cormorans ou des goélands argentés, ainsi, une espèce est revenue s'installer au début des années 1990 : le faucon pèlerin. Un couple niche dans la falaise. La région en compterait une soixantaine. "Le faucon pèlerin avait disparu de la Côte d'Albâtre, comme de toute une partie du nord-ouest de la France, à cause de l'utilisation des insecticides et notamment des DDT en agriculture, des produits surpuissants utilisés après la guerre", explique Cyriaque Lethuillier. "Fort heureusement, nos législateurs nous les ont interdits."
Les populations du nord de l'Angleterre et de l'Écosse, elles, avaient échappé à l'usage de ces insecticides. Elles sont revenues sur les côtes françaises et notamment sur la Côte d'Albâtre.
Cyriaque Lethuillierà France 3 Normandie
Une bonne nouvelle : mais comment s'assurer que cette réserve continue à attirer ces volatiles ? "Il faut absolument préserver la paroi, qui offre une zone de quiétude loin de toute activité humaine susceptible de porter atteinte à ce caractère très apaisant pour les oiseaux", plaide Cyriaque. "La bonne santé des populations animales et végétales d'un réservoir de biodiversité est intimement associée à la possibilité de faire un brassage génétique, de permettre la mobilité, le déplacement de la faune et de la flore."
Une bonne nouvelle ? Oui, mais...
L'action de l'Homme avait fait disparaître le faucon, la cohabitation respectueuse lui offre une seconde vie. Mais cette bonne nouvelle mérite quelques nuances et quelques éclaircissements. Car la faune est loin de bien se porter dans la région. Selon WWF, les populations de poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles ont en effet chuté de 69% entre 1970 et 2018. En Normandie, 4 espèces ont par ailleurs totalement disparu : le castor d'Eurasie, le chat sauvage, le loup gris et le vison d'Europe.
D'autres espèces sont quant à elles menacées d'extinction : 1 amphibien sur 2 et 1 mammifère sur 5, la faute à la modification de leur habitat naturel (via, notamment, l'urbanisation) et à l'utilisation, encore une fois, de pesticides. "Aujourd'hui, tous les experts s'accordent à parler d'une sixième extinction de masse. Donc même si on a des retours comme ça qui sont assez positifs, que l'on aime lire et regarder dans des reportages, ce n'est pas la tendance générale. Ça masque une réalité : l'érosion, l'effondrement de la biodiversité", se désole Romain Debray, responsable de l'Agence normande de la biodiversité et du développement durable.
On sait pourquoi la biodiversité décline, c'est connu : la destruction des habitats en premier lieu, les pollutions quelles qu'elles soient, la surexploitation des ressources naturelles et le changement climatique qui arrive comme la dernière couche du mille-feuille et qui va aggraver tout ça.
Romain Debrayà France 3 Normandie
La mise en place de "corridors écologiques" pourrait constituer un début de solution, pour Romain Debray. "On est au cœur du sujet. La Normandie est connue pour son bocage, qui n'a rien de naturel : il a été créé et entretenu par les paysans et les agriculteurs. Les mares ont également été créées par l'homme. Ce sont des réservoirs de biodiversité importants. On est capable de faire ça, on l'a déjà fait par le passé. La façon dont on va gérer les milieux agricoles, les forêts, apporter de la biodiversité en ville... Tous ces éléments seront des composantes d'une trame verte et bleue régionale."
En Normandie, les zones dites sans aucune pression humaine, comme sur la réserve ornithologique du Cap-d'Antifer, ne représentent que 0,54% du territoire. La région envisage de passer à 1% d'ici à 2030.