On les désigne depuis 2016 les "mineurs non accompagnés". Ces Maliens, Ivoiriens, Afghans ne sont encore que des enfants vulnérables lorsqu'ils arrivent en France. Ici, un autre long parcours les attend : la reconnaissance de leur minorité, indispensable à leur prise en charge par l'État français. Dans Débadoc, nous nous intéressons au sort de ces ados déracinés et à ces citoyens qui ont choisi de leur tendre la main.
En 2022, 545 mineurs non accompagnés ont été confiés aux cinq départements normands (source : ministère de la Justice). Sur ces 545 jeunes, seuls la moitié d'entre eux (275) ont été reconnus mineurs par les services des départements.
Par exemple, le département du Calvados a reconnu 46 mineurs non accompagnés sur les 118 qui lui avaient été confiés.
Le département de Seine-Maritime en a reconnu 132 sur 208.
L'Eure 52 sur 98.
La Manche 26 sur 75.
Et l'Orne 19 sur 46.
La reconnaissance de minorité, c'est LA condition de leur prise en charge par l'État français. Reconnus mineurs, ils peuvent bénéficier de l'aide sociale à l'enfance. Si leur minorité n’est pas reconnue, ils peuvent tenter une procédure d'appel devant le juge des enfants. Pendant la procédure, aucun accueil ni accompagnement n'est prévu par l'État. Et si la procédure échoue, le jeune est considéré comme majeur et donc expulsable.
Pour Xavier Crombé, éducateur, responsable de la mission France de Médecins sans Frontières et co-auteur de "Jeunes migrants : le temps de l'accueil. Points de rencontre, points de passage" aux éditions Chronique Sociale, ce n'est pas l'âge qui fait un individu et qui doit définir sa prise en charge ou non :
On était adulte à 21 ans en France il y a quelques décennies, maintenant, on l'est à 18. À l'époque, on pouvait aller à la guerre à 18 ans, mais on ne pouvait pas être adulte à 18 ans. Il faut quand même se rappeler ce que viennent dire ces limites d'âge.
Xavier Crombé, éducateur, responsable de la mission France de Médecins sans Frontières et co-auteur de "Jeunes migrants : le temps de l'accueil. Points de rencontre, points de passage" aux éditions Chronique SocialeExtrait du débadoc "le sort des mineurs étrangers"
Il poursuit : "Aujourd'hui, vous avez des jeunes dont tout l'avenir va se jouer sur 3 éléments :
- le crédit qu'on va apporter à leur récit
- le crédit qu'on va apporter à leurs papiers, alors qu'on sait que ces jeunes fuient souvent leur pays ou partent dans des conditions extrêmement difficiles, parfois sans le soutien de leurs parents, parfois après le décès violent de leurs parents. Ils n'ont pas toujours la possibilité d'avoir des papiers avec eux.
- Et enfin, on va faire parler leur corps à travers leur physionomie générale et les tests osseux.
Je défie n'importe quel parent d'adolescent aujourd'hui de dire entre 17 ans et 18 ans et demi où s'arrêtent les besoins d'un jeune de cet âge."
Edwige Gosset a fondé au printemps 2020 le Phare 111. Une association qui vient en aide aux jeunes étrangers arrivés sur le territoire dieppois : "On sent bien qu'il y a un durcissement, ça devient très difficile. Nous, maintenant, on accompagne un jeune dans ses démarches. On l'aide à faire venir ses documents d'état civil de son pays d'origine parce qu'on sait que sans papiers, on va lui dire : "bah voilà, il ne prouve pas qu'il est mineur".
On n'emmène pas le jeune immédiatement devant le département, parce qu'il faut quand même un certain délai pour obtenir les documents. Et puis il y a aussi le fait que quand le jeune arrive, il est épuisé, il vient de vivre des choses qu'on ne vivra jamais dans notre vie... on ne peut pas l'envoyer comme ça tout de suite vers un entretien où on va le soupçonner. Il faut quand même qu'il se repose, qu'il soit en état d'aller à cet entretien.
Edwige Gosset, présidente de l'association Phare 111 de DieppeExtrait du débadoc "le sort des mineurs étrangers"
Et parfois, même quand le jeune est reconnu mineur, le parcours du combattant continue. A l’issue de l’évaluation sociale, si le Conseil départemental saisit l’autorité judiciaire et donc reconnait la minorité et l’isolement du jeune, le Parquet prononce une ordonnance de placement provisoire (OPP). Si le Parquet souhaite confier le mineur à l’Aide sociale à l’enfance, il saisit alors la cellule nationale d’orientation et d’appui à la décision judiciaire, placée au sein de la Mission mineurs non accompagnés. Le jeune est alors soit maintenu dans son département d’arrivée soit réorienté dans un autre département.
Valérie Denesle est réalisatrice, elle a consacré un film à l'association Phare 111 et intervient sur notre plateau : "Dans le film, on découvre Aliou. Aliou a été reconnu mineur après presque 6 mois d'accueil chez les uns et les autres (au sein de l'association Phare 111, ndlr), il est aujourd'hui dans une chambre d'hôtel où il est seul depuis un mois."
Aliou était scolarisé depuis son arrivée à Dieppe en septembre, il était heureux au collège. Et Aliou qu'on a vu s'épanouir, s'ouvrir, vivre... il est tout seul dans sa chambre d'hôtel depuis un mois. Sans école. Sans soutien. Il y a quelque chose qui me hante dans cette histoire. Je ne comprends pas.
Valérie Denesle, réalisatrice du film "Comme une famille"Extrait du débadoc "Le sort des mineurs étrangers"
Et puis, il y a les belles histoires... comme celle d'Adama Ballo, jeune malien arrivé mineur en France et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, qui a réussi à décrocher un CAP de boucher après une alternance dans une boucherie de Darnétal, puis à être embauché en CDI dans la même boucherie. Menacé d'expulsion une fois majeur, la mobilisation forte autour de son sort, menée par son patron et maître d'apprentissage, Irwin Lafilé, a permis une issue heureuse : en décembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'obligation de quitter le territoire produite par la préfecture de la Seine-Maritime et ordonné aux services de l'État de lui produire un titre de séjour.
Invité sur notre plateau avec Adama Ballo, Irwin Lafilé évoque son engagement : "Aujourd'hui on est sur des métiers en tension. J'ai un jeune en apprentissage aujourd'hui en charcuterie : au CFA de Rouen, ils sont 3 dans sa classe."
On a vraiment des difficultés de recrutement et quand on rencontre des jeunes comme ça qui sont volontaires et qui veulent travailler, ce serait vraiment idiot pour la société de s'en passer. Alors peut-être qu'on est un peu les précurseurs, mais à mon avis on est pas les derniers.
Irwin Lafilé, patron boucher à DarnétalExtrait du débadoc "le sort des mineurs étrangers"
Un débadoc à voir ce jeudi 8 mars à 23h30 sur France 3 Normandie.
Rediffusion le mardi 14 mars à 9h05.
Et bien sûr, quand vous voulez sur notre site internet.
Article écrit avec la collaboration d'Angèle De Vecchi.