Jean-Louis Bruguière, dernier protagoniste de l'affaire Cahuzac

L'ancien juge antiterroriste a eu entre les mains le fameux enregistrement où l'on entendrait Jérôme Cahuzac parler de son compte en Suisse. Jean-Louis Bruguière affirme avoir détruit le document sans l'écouter en 2007.

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Michel Gonelle, l'ancien élu du Lot-et-Garonne qui avait confié à l'ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière un enregistrement qui concernerait Jérôme Cahuzac, a affirmé lundi que le magistrat était "certainement pour quelque chose" dans la publication de l'enregistrement par Mediapart.

"Je ne sais pas comment cet enregistrement a atterri chez Mediapart. Je n'y suis pour rien mais le juge Bruguière y est certainement pour quelque chose", a déclaré M. Gonelle à un correspondant de l'AFP, alors que Jean-Louis Bruguière avait affirmé à Paris-Match dimanche soir n'avoir ni écouté ni conservé cette pièce.

M. Gonelle, qui dans un premier temps n'avait pas dit le nom du "magistrat" auquel il aurait confié la bande, a "remercié" M. Bruguière "de l'avoir fait de lui-même" dans Paris-Match. "Comme ça, cela confirme que je dis la vérité", a-t-il ajouté.

Dans l'interview donnée au correspondant de l'AFP, M. Gonelle a cependant assuré: "Il prétend avoir détruit cet enregistrement, c'est une attitude singulière pour un magistrat et ce n'est pas crédible".

Il a ajouté: M. Bruguière "évoque son éthique, cela fait rire tous ceux qui le connaissaient et en particulier ceux qui ont participé à sa campagne électorale en 2007", quand l'ex-juge s'était présenté face à Jérôme Cahuzac aux législatives dans le Lot-et-Garonne.
"Il a fait campagne aux frais du contribuable avec sa voiture blindée et ses gardes du corps, il a fait peur à tout le monde, c'est un manipulateur qui n'a pas d'éthique", a-t-il dit.

Selon M. Gonelle, M. Bruguière lui a envoyé à la fin de sa campagne "une lettre manuscrite pour me remercier". "Il ne m'a jamais évincé, c'est moi qui ai pris mes distances avec lui au cours de la campagne parce que son entourage n'était pas très recommandable, il y avait des repris de justice".

M. Gonelle a affirmé encore: "Mes rapports avec Cahuzac étaient devenus normaux et apaisés, je me suis retiré du jeu politique et je n'avais pas de rancoeur".

Les deux hommes avaient été adversaires pour la mairie de Villeneuve-sur-Lot en 2001, remportée par M. Cahuzac.

Tour d'horizon des protagonistes, des enjeux et des questions en suspens de cette affaire :



Les protagonistes :

- Jérôme Cahuzac: pièce maîtresse du gouvernement, il a défendu avec brio le premier budget du quinquennat. Mais ce chirurgien qui a fait fortune dans les implants capillaires est accusé par Mediapart d'avoir détenu un compte bancaire en Suisse, ce qu'il dément formellement.

- Mediapart: le site d'investigation a dégainé le 4 décembre. Selon son enquête, Jérôme Cahuzac a eu un compte "non déclaré" à l'Union des banques suisses (UBS) de Genève, clôturé en 2010 et dont les avoirs ont été déplacés à Singapour. Le ministre a porté plainte pour diffamation.

- Michel Gonelle et Jean-Louis Bruguière: le principal élément présenté par Mediapart est un enregistrement que dit détenir, depuis douze ans, Michel Gonelle, ex-rival politique de Jérôme Cahuzac dans le Lot-et-Garonne. Dans cette conversation, un homme, présenté comme étant l'actuel ministre du Budget, évoque son compte chez UBS. Michel Gonelle laisse entendre que la bande a été donnée à Mediapart par un autre ancien opposant du ministre, l'ex-juge Jean-Louis Bruguière, qui lui affirme avoir "détruit" cet enregistrement sans l'avoir écouté.

- Rémy Garnier: cet ex-agent du fisc a rédigé en 2008 un mémoire accusant Jérôme Cahuzac, entre autres choses, d'avoir un compte caché en Suisse.

Jérôme Cahuzac peut-il rester au gouvernement ?

"Je n'ai pas, je n'ai jamais eu de compte à l'étranger. Ni maintenant, ni avant". Par ce démenti solennel, le 5 décembre devant les députés, Jérôme Cahuzac s'est privé de tout échappatoire: s'il est prouvé qu'il a menti devant la représentation nationale, il sort du gouvernement. Qui se verrait privé d'un de ses piliers, dont la virtuosité en matière budgétaire et l'aisance oratoire font l'unanimité, à gauche comme à droite. L'Elysée, en confirmant vendredi avoir été contacté par Michel Gonelle et lui avoir recommandé de communiquer ses éléments à la justice, n'a exclu de facto aucune hypothèse.

La Suisse et le secret bancaire

Le ministre s'est finalement résolu à demander à UBS de certifier qu'il n'a jamais détenu de compte auprès de cette banque. Mais pour l'instant, il n'a fait qu'une démarche anonyme, se bornant à demander, par le biais d'un avocat, si la banque est en mesure, en règle générale, d'apporter une telle réponse. UBS lui a répondu par la négative, mais la question était mal posée selon des spécialistes. "Si la demande est formulée officiellement par la personne à la banque, alors c'est bien possible", a affirmé à l'AFP un porte-parole d'UBS.

Le volet fiscal

Mediapart affirme qu'une enquête est parallèlement menée par le fisc, qui soupçonne le ministre, selon le site, d'avoir sous-évalué d'au moins 10% le montant de son appartement parisien et pris en compte un prêt parental en fait déjà remboursé.
La direction générale des finances publiques (DGFIP), sous la tutelle de Bercy, a assuré en réponse que seul un "examen de la situation fiscale des membres du gouvernement" était "en cours", "comme c'est l'usage".

De quoi est saisie la justice ?

Jérôme Cahuzac a déposé deux plaintes en diffamation contre Mediapart. L'une a donné lieu à une enquête préliminaire, purement formelle. L'autre entraîne automatiquement la nomination d'un juge sans que celui-ci n'enquête sur le fond.
Aucune enquête judiciaire n'est ouverte sur une éventuelle fraude fiscale mettant en cause le ministre. Dans ce type de dossier, seul Bercy est compétent pour saisir la justice.

Mediapart en première ligne

Edwy Plenel, directeur du média en ligne, assure ne pas avoir enregistré de hausse brutale des abonnements depuis le 4 décembre. "Ceux qui disent que Mediapart a sorti l'affaire pour faire de l'audience se trompent de procès", estime-t-il, soulignant que le site est bénéficiaire depuis deux ans.
Mediapart s'était distingué lors de l'affaire mettant en cause la milliardaire Liliane Bettencourt et l'ex-ministre UMP Eric Woerth. L'opposition de droite se montre aujourd'hui très prudente au sujet de Jérôme Cahuzac. Le site "pose des questions d'intérêt public" qui concernent "aussi bien des personnalités politiques de gauche que de droite", affirme Edwy Plenel.

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