Jusqu'au 25 juin, à la maison de la Région à Limoges, une exposition de la photographe Corinne Rozotte présente les portraits sensibles de plusieurs victimes de la transplantation forcée subie par des enfants de l'île de la Réunion vers des départements ruraux comme la Creuse entre 1962 et 1984.
Des visages, des regards, intenses, profonds. Des lieux, des paysages, quotidiens ou ultra-marins.
Comment montrer l'exil en une image? Comment photographier la mémoire en un instant? Comment décrire la douleur d'une vie brisée sur une photo?
L'exercice est un défi. La photographe Corinne Rozotte l'a relévé en prenant le temps de rencontrer des dizaines d'anciens mineurs séparés de leur famille à la Réunion pour être envoyés dans des départements ruraux comme la Creuse sans billet de retour.
Un an de travail, de voyages, de rencontres, de discussions, de liens tissés, de confiance gagnée et finalement une exposition, des images qui racontent chacune une histoire sinuglière, et toutes, une partie de l'Histoire de France.
Entre 1962 et 1984, 2015 mineurs réunionnais ont été transplantés par les services sociaux de La Réunion en métropole. Déclarés pupilles de la nation, beaucoup avaient en réalité des parents à qui les services sociaux ont fait signer des déclarations d’abandon de leur propres enfants. Ils faisaient partie des familles les plus pauvres de l’Ile.
Aujourd'hui, ces enfants sont des adultes. Ils ont entre 50 et 70 ans
Comment ont-ils fait pour se reconstruire? Comment tiennent-ils encore debout? Comment ont-ils découvert leurs origines, tenté de renouer des liens avec leur famille restée à la Réunion? Comment ont-ils transmis cette histoire à leurs propres enfants? Comment ces enfants l'ont-ils reçue?
Toutes ces questions, tous ces doutes, toutes ces souffrances, parfois apaisées, souvent encore vives, transparaissent dans les photographies sensibles de Corinne Rozotte exposées à la Maison de la Région à Limoges.
A travers chaque photo, Corinne Rozotte raconte l'histoire d'une vie.
"Ca n'est pas évident. On photographie l'exil, c'est invisible", explique Corinne Rozotte.
"Il y a le regard de la personne. C'est pour ça que j'ai voulu travailler en dyptique, ou en surimpression, pour qu'il y ait cette notion d'histoire, pour mettre en perspective le portrait de chaque personne exilée avec un lieu, soit un paysage, le paysage perdu de l’île de la Réunion, soit le paysage en Creuse, comme les fermes ou certains ont été maltraités, presque réduits en esclavage".
Avec deux images en surimpression on mêle deux temporalités. Et ici on parle d'histoire, de mémoire
Plusieurs dizaines d'ex-mineurs réunionnais ont fait le déplacement à Limoges ce mercredi 9 juin pour le vernissage de l'exposition.
Emotion palpable pour chacun d'entre eux en découvrant, en grand format, leur visage fixé en portrait. Une image un peu comme un double étrange et sincère qui dit des choses qu'ils n'avaient pas osées confier jusqu'à présent.
Pour Valérie Andanson, la porte-parole de la FED DROM (Fédération des Enfants Déracinés des Départements et Régions d'Outre-Mer), cette exposition est une nouvelle étape dans le combat des ex-enfants réunionnais : "Nous sommes l’exemple de ce qui ne doit plus se faire. On doit trouver le chemin de la résilience. Il faut qu’on avance".
Propos appuyés par un message du sociologue Philippe Vitale, le président de la Commission d'experts qui avait rendu un rapport exhaustif sur cette afaire en 2018 : "Les ex-mineurs doivent être aidés. Ils doivent maintenant se libérer des chaines de la victimisation, sortir de la prison de la mémoire".
Hôte de l'exposition, le président de la région Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset a annoncé qu'elle serait présentée dans plusieurs villes de la région dans les mois à venir.
Quelques heures plus tôt, il avait co-signé une tribune dans le journal Le Monde (accès payant) avec l'ancien chef de l'Etat François Hollande, pour évoquer le sort des "Réunionnais de la Creuse".
A travers leur épreuve et leur résilience, dans leur dignité et leur espoir, ils sont la France, plurielle et universelle. Et jamais notre nation n’a été diminuée ou rabaissée en regardant la réalité en face. En évitant que cette histoire ne sombre dans l’oubli, notre République tiendrait ses promesses, en dépit de tout. Et seulement alors ces « enfants » pourront-ils trouver, enfin, les réponses qu’ils cherchent et méritent tant – et, espérons-le, une forme d’apaisement.
François Hollande avait promis, avant la pandémie, d'assister au vernissage de cette exposition. Promesse tenue et propos sans ambiguité prononcés devant les rescapés de cet épisode peu glorieux de l'Histoire de France : "La République vous a abandonnés. Il faut poursuivre l’Etat pour qu’il répare, pas forcément financièrement, mais surtout humainement. C’est pourquoi il y aura des actions sur le plan judiciaire. Il faut désormais mener ce combat pour tous les enfants qui ont pu être victimes de pratiques contestables de l’Aide Sociale à l’Enfance".
VIDEO : le reportage de Martial Codet-Boisse et Samuel Chassaigne