Faut-il débaptiser cette rue qui porte le nom d'un collabo ? Un débat qui anime cette petite ville de Charente-Maritime

Un historien a fait une drôle de découverte en effectuant des recherches dans les archives de la Seconde Guerre mondiale. À La Rochelle et à Dompierre-sur-Mer en Charente-Maritime, des rues portent le nom de collabos condamnés à la Libération. Il en a informé les municipalités.

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C’est l’une des ironies de cette histoire. Pour trouver la rue Hector Talvart à Dompierre-sur-Mer en Charente-Maritime, il faut emprunter la rue du général De Gaulle ! Une artère vivante et passante avec de nombreux commerces.

La rue Hector Talvart, aujourd’hui très décriée, est perpendiculaire. Une petite rue discrète et résidentielle d’une dizaine de maisons. Ce citoyen est annoncé comme un homme de Lettres. Car il ne fut pas seulement un sympathisant des Allemands. L’histoire jusqu’ici avait retenu de lui qu’il fut un brillant bibliographe et le président de l’Académie des Belles-Lettres, des Sciences et des Arts de La Rochelle.

Comme il est né à Dompierre-sur-Mer, il pouvait sembler logique que cet esprit intelligent ait sa rue dans sa commune. Mais le passé a ressurgi en 2024 par le biais d’un historien et d’un article de Sud-Ouest.

De 1941 à 1944, Hector Talvart a été le rédacteur en chef d’un hebdomadaire « L’Atlantique » financé par les Allemands. Antisémitisme, homophobie, toute l’idéologie nazie était au programme de ce journal. Hector Talvart a été condamné en 1946 à 15 ans d’indignité nationale avant d’être amnistié en 1951.

« Au début, ce fut vraiment une stupéfaction ! », raconte Xavier de Ronne, ingénieur, passionné d’histoire. Il a écrit deux livres sur la Seconde Guerre mondiale et prépare le troisième. Ce nouvel ouvrage traitera de l’Occupation et de l’Épuration. Un long travail de recherches qui l’a amené à consulter les archives des Cours de Justice. Et c’est aux Archives départementales de Poitiers qu’il a fait ses découvertes. « Je me suis demandé comment une ville pouvait donner une reconnaissance de la République à des personnes qui ont eu un passé collaborationniste pendant la guerre. »

Pour un débat démocratique

L’historien a alerté d’abord la ville de La Rochelle où une rue porte aussi le nom d’un collabo pour qu’un débat démocratique puisse se tenir. « L’amnistie efface la peine, mais pas les faits. Cela me tenait à cœur d’évoquer ces sujets avec les municipalités, car les conseils municipaux doivent savoir ce genre de choses. C’est important, la mémoire. »

Aujourd’hui, le débat agite la commune de Dompierre-sur-Mer pour savoir s’il faut débaptiser la rue ou non. « Suite à cette découverte, nous avons décidé d’en savoir plus avant de prendre toute décision », annonce le maire, Guillaume Krabal. « Il y a un travail d’histoire et de recherches à faire pour comprendre comment le nom d’une telle personne a pu se retrouver sur la plaque d’une rue. »

À la mairie, Pierre Doumeret est venu se plonger dans les anciens registres des conseils municipaux. Lui-même fut conseiller municipal de 2000 à 2014. La délibération pour nommer cette rue avait été prise en 1968. « Ce n’est pas une surprise, je le sais depuis 30 ou 40 ans. J’avais discuté avec un ancien qui m’avait dit en passant dans la rue : "Ah ! Celui-là ! Pourquoi il est là ?" Mais ce n’est jamais allé plus loin. »

L’ancien élu se veut prudent dans toute relecture de l’histoire. « Est-ce que cela vaut la peine ? Il y a plein de grands hommes aussi si on cherche dans leur passé. Comme les négriers. Est-ce qu’à la Rochelle, il faudrait raser toutes les maisons de ceux qui se sont servi de l’esclavage pour s’enrichir ? Ça peut aller très loin si on veut appliquer la règle à tout le monde. » Pierre Doumeret rappelle qu’Hector Talvart a été amnistié en 1951 et a apporté sa contribution au monde des Lettres. Il essaye aussi de comprendre le conseil municipal de 1968. « Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Comment nous, avec nos yeux de 2024, nous pouvons nous permettre de juger ? Il faudrait revivre l’époque et se remettre dans l’ambiance. Les gens qui ont pris la décision n’étaient pas des neuneus. »

Résistants contre collabos

Mais en 1968, l’affaire avait déjà secoué la commune. « Les anciens, même s’ils ont plus de 90 ans, évoquent cette période-là comme une période de grand chambardement », précise Denis Thibaudeau, actuel conseiller municipal. « Il y avait deux familles politiques, on trouvait quelques résistants, mais aussi des collabos. Et quand on parle de cette époque-là, les anciens disent qu’il ne vaut mieux pas l’évoquer, car ça va mettre le bazar. »

Mais les faits sont sur la place publique aujourd’hui. Que faire de cet encombrant Hector Talvart ? « Si aujourd’hui, on devait baptiser cette rue, on ne la nommerait pas Hector Talvart », assure le conseiller municipal. « Ses écrits tomberaient sous le coup de la loi pénale d’aujourd’hui, il serait condamné. »

Un traître à la nation

Pour les habitants de la rue, la décision à prendre ne fait aucun doute : « Je trouve ça scandaleux qu’on donne le nom d’une rue à un homme comme ça », lance Claudette du haut de son grand âge. « Avant tout, je voudrais connaître l’histoire de ce monsieur et puis si les faits sont réels, je voudrais que le nom de la rue change », assure Pascal, nouvellement installé. « Aujourd’hui, c’est important de respecter les valeurs et les hommes qui se sont battus pour la patrie et la libération », enchaîne Hervé. « Choisir un héros de la nation plutôt que quelqu’un qui a trahi la nation. »

Ce sera au conseil municipal de décider quand un groupe de travail aura rendu ses conclusions d'ici à la fin de l’année, mais Guillaume Krabal, le maire, penche aussi pour ce choix. « Hector Talvart a été condamné, ses propos sont très clairs, ses écrits sont très clairs, ils sont antisémites, j’estime personnellement, que son nom ne mérite pas de figurer sur une rue de notre commune. »

Le Français de la Wehrmacht

À La Rochelle, le débat concerne un certain Jean Torlais. Il fut médecin dans la cité et historien des sciences. Mais il a été condamné en 1946 pour avoir dénoncé l’un de ses confrères dans le but de s’approprier sa maison. Il a été amnistié en 1951. Et une rue de La Rochelle a pris son nom en 2011. Une commission va se réunir le 21 novembre prochain pour statuer de son sort.

Xavier de Ronne, l’historien, a également détecté une autre anomalie. Sur le monument aux Morts de La Rochelle figure le nom d’un Français tué lors des bombardements de la ville en août 1944. Mais un Français qui s’était enrôlé dans la Wehrmacht. Il portait un casque allemand au moment de sa mort.

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