Ce cimetière aux 8 000 tombes est comme un livre d'histoire avec un soldat de Napoléon, un pionnier de l'aviation, la grand-mère de Mitterrand

Quand la Toussaint approche, c'est l'heure de rendre hommage aux morts. À Poitiers, le cimetière de Chilvert est l'un des plus anciens de la ville. Il a été créé juste après la Révolution française. Ses tombes sont les témoins d'un passé révolu. Un cimetière où l'on se balade comme dans un poème romantique anglais.

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Entre les arbres, le poète à la chevelure bouclée se promène, rêvant à son amour perdu. Les nuées du soir commencent à se lever du fond de la terre. Au loin, un corbeau s’envole. Les premiers frimas se font sentir. L’hiver arrive. L’homme, enveloppé de son frac noir, déambule entre les tombes couvertes de lierre et penchées. La terre semble vouloir les engloutir. L’âme emplie d’une mélancolie sourde, il se désespère de sa condition de mortel, s’interrogeant une nouvelle fois de ce que sera la vie, après la vie. Les premiers vers d’un nouveau poème surgissent dans son esprit. Comme une prière s’élevant vers les Cieux.

Un homme comme une évocation lointaine des poètes romantiques anglais - et allemands - du XVIIIe siècle, et c’est sa présence que l’on sent lorsque l’on se promène entre les allées du cimetière de Chilvert à Poitiers. Un grand parc de six hectares niché au cœur de la ville, surplombant la vallée de la Boivre à quelques encâblures du centre-ville et ses demeures historiques. « Vous êtes dans le secteur le plus ancien du secteur le plus ancien du cimetière qui date de la fin du XVIIIe siècle », insiste Anne Bardoulat avec force de redondances. Cette guide du service « patrimoine » du Grand Poitiers anime des visites au sein du cimetière. « Les allées sont sinueuses et on y trouve des cyprès et des cèdres centenaires. À l’époque, la mode était aux jardins anglais. »

La dynamique retraitée est intarissable sur ce lieu surprenant de la cité des comtes de Poitou. Nullement sinistre, nullement pesant, nullement morbide. Charmant, envoûtant, comme un livre d’histoire, un paysage du peintre Caspar David Friedrich ou un poème de Novalis. Werther, le héros de Goethe y aurait déployé ses souffrances avec gourmandise.

C’est un enchevêtrement de tombes, plus ou moins affaissées, ici le lierre et la mousse trouvent leur royaume. Des inscriptions surgies des profondeurs des temps nous parlent de mondes qui ne sont plus. « Soldat », « Le Caire » et « Moscou » décrypte-t-on à peine de l’une d’entre elles abritée sous les grands arbres. Un grognard de Napoléon ? Revenu de la campagne de Russie ? Qui êtes-vous, tous, personnes endormies depuis plusieurs siècles déjà ? Qu’avez-vous à nous raconter ?

« Ici, c’est le marquis de Nieuil », raconte la passionnée. « L’inscription " 1744 ", c’est sa date de naissance. Elle fait partie des premières tombes qui ont été créées ici. » La dalle gît au milieu de sarcophages entre lesquels on se meut à peine. Dolmens du XVIIIe siècle que le temps menace d’effondrement à leur tour. « Le marquis était un amiral resté fidèle au roi. Après la Révolution, on va lui restituer son hôtel particulier qui aujourd’hui se trouve place d’armes à Poitiers. Il abrite le bâtiment de la Société générale. »

Un avocat, un concierge de prison, un fusillé

Le cimetière affiche son grand âge : il a été fondé en 1797. « C’est un patrimoine précieux qui est méconnu et fragile auquel il faut rendre hommage. C’est pour ça qu’on vient le visiter. » Anne Bardoulat n’a de cesse de chanter son amour à ce lieu si émouvant. « En ce moment, c’est charmant, le sol est jonché de cyclamens de Naples. En fonction des saisons, les fleurs changent. » Un dévouement sans limites : « Ce cimetière raconte la vie à Poitiers, des gens illustres et inconnus. C’est le double de la ville de Poitiers finalement. »

Un avocat à la Cour d'appel, un concierge de prison, un chanoine, un chef d’exploitations des chemins de fer de Cherbourg, un fusillé de 20 ans. C’était en 1944. C’était la guerre. C’étaient les Allemands. Plus loin, un carré militaire parle de l’autre guerre. La grande. Des croix blanches s’enchaînent. Hommage aux poilus.

Et puis sous un arbre, une petite stèle et une croix, côte à côte. Ancrées à même le sol. Deux destins noyés dans la masse des tombeaux qui s’étalent tout autour. Une jeune fille de 14 ans, décédée en 1880. Elle s’appelait Marguerite. « Ce qui me touche, c’est d’essayer d’imaginer ce qu’était leur vie, leur famille », s’émeut Anne dans son joli manteau bleu.

Au loin, bien alignés de chaque côté d’une large allée, de somptueux caveaux défilent comme des soldats au garde-à-vous pendant la revue. Des chapelles, aux décors sculptés et ciselés, un déploiement d’art funéraire. « Ces tombes sont en forme de chapelles avec des autels à l’intérieur, mais ils ne sont pas consacrés. C’est une mode qui s’est répandue dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce sont les notables et l’aristocratie qui avaient envie de se recueillir auprès de leur défunt. »

Le cimetière de Chilvert regorge de sculptures. On s’y balade presque comme dans un musée. On y trouve même une pyramide ! Témoin de la mode de l’Égypte ancienne.

Ne reste plus qu’à rencontrer tous ces personnages dont certains ont marqué l’histoire. Tout près du marquis de Nieuil repose discrètement une simple femme, originaire du Limousin. Morte prématurément à 48 ans le 16 janvier 1876. Elle se nomme Zelma Laroche, elle fut l’épouse d'un certain Théodose Mitterrand, chef de gare. « C’est la grand-mère de François Mitterrand. Elle est morte ici par hasard, car son mari était en poste à Poitiers au moment où elle est tombée malade. L’ancien président de la République est venu se recueillir sur la tombe de sa grand-mère. »

Une tombe discrète et modeste quand tout à côté se déploie un tombeau majestueux composé de quatre sarcophages et d’une stèle monumentale. « Zelma côtoie une famille aristocratique très connue, une rue de Poitiers porte le nom de l’un de ses membres », relate l’ancienne professeure de français qui a puisé tout son savoir après des heures de recherches aux archives de la ville. « Il s’agit de Jacques de Grailly. C’était un lieutenant aviateur, pionnier de l’aviation militaire. Son aéroplane a chuté le 2 septembre 1911. »

Le cimetière aux 8 000 tombes

Plus de 8 000 personnes reposent au cimetière de Chilvert qui continue d’accueillir des défunts. Au loin là-bas, plus près de la vallée verdoyante de la Boivre, les tombes contemporaines s’alignent avec leur granit poli et leurs bouquets de fleurs en plastique. « En définitive, un cimetière est extrêmement vivant, contrairement à ce qu’on peut penser. C’est une façon d’apprivoiser la mort, je trouve. »

La grille métallique grince pour laisser sortir Anne Bardoulat, qui s’en retourne vers sa vie dans le monde des vivants.

Le soir viendra et le cimetière deviendra le royaume des chouettes. Pour de grandes parties de chasse. Et des chats du quartier. Pour de grandes expéditions d’exploration.  Un cimetière, c’est extrêmement vivant.

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