La Rochelle : rencontre avec les increvables Fleshtones, des icones vivantes de l'histoire du rock'n'roll

En concert à La Sirène, jeudi 11 novembre, le groupe new-yorkais a offert aux Rochelais un pur moment de rock. Sur scène depuis 1976, Peter Zaremba et ses acolytes n'ont aucune intention de prendre leur retraite. "It's only rock'n'roll but we like it !"

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Hier soir, le centre de l'univers était à La Pallice.

Pendant près de deux heures, un trou spatio-temporel a plongé le port de commerce de La Rochelle aux confins de la galaxie rock'n'roll. Le phénomène cosmique n'était évidemment pas prévisible. De l'aveu même de David Fourrier, le big boss de La Sirène, le passage de la comète Fleshtones s'est même un peu improvisé au dernier moment. Mais comment dire non à Peter Zaremba et ses potes ? THE Fleshtones ! Dans le public bien sûr, il n'y avait pas que des fans invétérés de rock garage. Mais, tous ceux qui sont tombés allègrement dans cette faille cosmique de sueur et de décibels ont tous fini par se résoudre à admettre l'évidence. Comme le chantait Mick Jagger : "on sait, c'est juste du rock'n'roll, mais on aime ça !"

"Juste des gamins qui voulaient jouer du rock'n'roll"

C'est qu'on vous parle quand même d'un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître. Sur scène, Zaremba, Keith Streng , Ken Fox et Bill Milhizer en ont même un peu plus au compteur. Mais ces dandys déglingués de plus de soixante-dix piges ont miraculeusement gardé l'énergie des kids du Queens qui, à la fin des annés 70, enflammait à New-York les nuits du CBGB's ou du Max's Kansas City. La Grosse Pomme se faisait alors croquer sans vergogne par des Johnny Thunder, des Iggy Pop ou des Ramones. A Londres, Rotten et Sid Vicious n'avaient pas encore dégainé leur Sex Pistols, mais de l'autre côté de l'Atlantique, un gars avait inventé un petit mot de quatre lettres qui allait bouleverser l'histoire de la musique : punk.

Paradoxalement, les Fleshtones ne faisait pas vraiment partie de la bande. Ils étaient juste là et leur version survitaminée du rock sixties le plus pur mettait quand même tout le monde d'accord. "On s’est toujours senti en dehors du mouvement punk", confirme Peter Zaremba. "On vient de ce background, mais les autres groupes ne nous aimaient pas vraiment. Blondie peut-être, les Cramps, Suicide aussi, mais les autres pas énormément. Nous, on était juste des gamins qui voulaient jouer du rock’n’roll."

Et c'est donc ce qu'ils font depuis pas loin d'un demi-siècle. Hier soir, ils ont entamé leur set avec un hommage à Charlie Watts, leur regretté collègue des Rolling Stones. Ils ont ensuite enchaîné sans coup férir les morceaux, des nouveautés du dernier album Face of the Screaming Werewolf sorti en 2020 mais aussi des pépites plus anciennes. Avec plus de trente albums derrière eux, ils n'ont que le choix de l'embarras. 

"Tout ce que je fais a à voir avec les Fleshtones"

Dans les loges de La Sirène, le quatuor nous accueille chaleureusement avant le concert. "Certains avancent qu’on aurait fait plus de 3000 concerts", se risque Keith Streng. "J'y crois pas", le coupe Zaremba. "Tout ce qu’on peut dire, c’est que, sur les vingt dernières années, on a joué en moyenne 60 à 70 concerts par an, donc vous faites le calcul", se risque le guitariste. Qu'importe. Le plus fabuleux, c'est de les voir se préparer tout tranquillement avant d'asséner au public rochelais leur "super rock sound", ce son inimitable et pourtant si basique, guitare, basse, batterie. L'énergie est intacte.

"Il n’y aurait aucune raison de le faire si on ne s’amusait pas", explique Ken Fox. "Ce n’est pas une histoire d’argent. On s’apprécie toujours les uns les autres et on ne va pas rajeunir, donc…" Donc, on the road again pour une nouvelle tournée française. "Je viens de me faire des implants dentaires à Tijuana", rigole Zaremba. "Donc, je suis lentement en train de me faire remplacer pièce par pièce. Je dois être maintenant 1% neuf, alors je continue. Si vous en avez marre de l’ancien, il y en a un nouveau qui arrive !"

"On arrive à en vivre de toute façon, plus ou moins", poursuit le chanteur. "On a d’autres activités parallèles, j’ai reçu l’argent de ma retraite, ce qui est quelque chose de bizarre pour moi et puis on joue, je fais des émissions de radio. Mais la chose essentielle pour moi, c’est que je suis dans les Fleshtones, tout ce que je fais a à voir avec les Fleshtones." 

Cette incroyable longévité s'explique donc par cette foi inébranlable dans la magie et la puissance du rock'n'roll. Pourtant, de l'avis général, ils n'ont jamais reçu le succès planétaire qu'ils auraient mérité avoir, à l'instar de leurs illustres coreligionaires de la scène new-yorkaise comme les Ramones ou les Talking Heads. 

"Je suis d’accord", confirme Zaremba. "On n’était pas énervé par ce genre de succès. Beaucoup de groupes prétendent qu’ils sont fous mais nous on l’était vraiment sur et en dehors de la scène. Mais comment voulez-vous qu’on soit amers à cause de ça. On est arrivé à La Rochelle aujourd’hui et David (Fourrier, ndlr) nous a accueilli avec un énorme plateau d’huîtres, alors… Comment voulez-vous être amer ?"

Au bout d'une heure et demi de concert, toute la salle est chavirée par ce maelström de soul et de rock garage qui semble ne jamais vouloir se calmer. Et, de fait, ça ne s'arrête pas. Fatalement, Peter descend du plateau et vient chanter au milieu du public, comme un gamin. C'est qu'il y a toujours eu un truc de spécial entre le groupe et la France. Dans les années 90, pas une année ne passait sans que les Fleshtones ne sillonnent l'Hexagone de Paris à Bordeaux en passant obligatoirement par la Bretagne. Le club des Hespérides à Plounéour-Trez près de Brest, la salle de La Cité à Rennes, des concerts toujours explosifs qui finissaient dans la rue debout sur le toit des voitures. 

"Je pense qu’on a touché une certaine partie du cœur des Français avec ce que l’on fait", explique Bill Milhizer, le batteur. "Je crois que le public français aime bien les trucs qui sont un peu à la marge, les misfits, les loosers, les gens un peu dangereux, hors normes." 

"La Bretagne a toujours été notre coin favori", poursuit Zaremba, peut-être pour faire plaisir à son French interlocuteur. "Les Bretons étaient aussi tarés que nous, donc on se nourrissait les uns les autres, on était en symbiose."

A la fin du concert, on retrouve des musiciens extatiques et visiblement ravis de leur performance. Ils peuvent. "Yehed Mad !" ("à la tienne", en breton, ndlr) nous lance Peter Zaremba, coupette de champagne à la main. La faille spatio-temporel ne semble pas vouloir se refermer et, une chose est sûre, on reviendra voir les Fleshtones sur scène à La Rochelle ou en Bretagne. "I know, it's only rock'n'roll but we like it !"

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