Le Rochelais Bertrand Chéret aux JO de Tokyo... en 1964

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Maître voilier et fin régatier, Bertrand Chéret est surtout une figure incontournable du nautisme en France. Son dernier roman est un hommage aux cap-horniers, mais impossible aujourd'hui de ne pas parler voile olympique avec lui.

"La voile sollicite tous les sens. On ne sait pas expliquer parfois pourquoi un changement de lumière te dit qu’il faut virer et pourtant il faut virer". Même sagement assis sur une terrasse du vieux port, on apprend toujours quelque chose avec Bertrand Chéret. Sourire en coin, oeil malicieux, qui pourrait penser que cette gentillesse d'homme de 84 ans est à l'origine de l'industrie nautique française ? La Semaine internationale de la voile à La Rochelle, le  port des Minimes, le Grand Pavois... avec les Dufour, Amel, Tonton Hervé et bien d'autres ingénieurs ou architectes, ils ont inventé la plaisance.

Né en banlieue parisienne, c'est sur les bords de Marne qu'il tire ses premiers bords. C'était sur un "chat", un petit quillard construit dans la Manche avant-guerre. Son propriétaire, un certain monsieur Vence l'avait enterré sur la plage en apprenant que les Allemands envahissaient la Pologne. Au sortir du conflit, il le déterrera et l'emmènera à Meaux. Le petit Bertrand doit alors avoir à peine six ans. Trois ans plus tard, son père, lui aussi régatier, l'emmène à la Rochelle pour un des tout premiers championnats de France de Caneton, le dériveur officiel de l'époque. Avec son aîné de onze ans, ils remportent le titre en junior, premier trophée d'une longue série. Cela lui donnera plus tard l'idée de créer les filières "sport étude" au lycée.

1964 donc. Bertrand Chéret organise la première Semaine Internationale de la Voile. À La Rochelle, ce rendez-vous va devenir le premier événement sportif de l'Hexagone avec près de 1.000 participants sur l'eau. C'est de là que vient l'idée de construire le port des Minimes. Mais 1964, c'est surtout l'année des Jeux Olympiques à Tokyo. "Les Jeux de 1960 à Rome avaient été une révolution à cause de la télévision. C’était la première fois que c’était diffusé mondialement", se souvient Bertrand, "L’équipe de France avait fait un bide là-bas et "le grand Charles" s’était énervé. Il avait nommé le colonel Crespin responsable des sports. Il avait plus de pouvoir que le Premier ministre ! Ils avaient donc décidé de faire une sélection sérieuse pour Tokyo".

Le Rochelais navigue alors en double sur un Flying Dutchman avec son coéquipier Philippe Gravier. Ils participent à la sélection et, au grand désarroi des sélectionneurs, ils gagnent toutes les épreuves et font de l'ombre à Marcel Buffet et Alain Lehoerff, les candidats de la fédération. "On était supposé servir de faire-valoir pour le groupe. Et ça ne leur plaisait pas trop. Gravier était un garçon adorable mais un peu sanguin. Quand on nous a dit qu’on n’était pas sélectionnés, il a sauté sur le vice-président de la fédération qui était le sélectionneur… Après, ils ont eu des remords et ils m’ont quand même envoyé là-bas avec un rôle un peu flou de préparateur".

Direction Inoshima, là où, presque 60 ans plus tard, vont se dérouler les épreuves de voile cet été. "Je garde plus le souvenir du dépaysement du Japon que les épreuves en elles-mêmes", raconte Chéret, "j’y suis resté deux mois à loger chez l’habitant, ce qui est exceptionnel là-bas. J’ai rencontré Harry Melges, Keith Musto, des gars que j’ai régulièrement revus sur le circuit après. Pedersen qui a gagné la médaille d'or, on le battait l’année d’après au championnat du monde".

Quatre ans plus tard, il est sélectionné pour les Jeux de Mexico. Notre maître voilier n'en garde pas que des bons souvenirs... "À la dernière bouée, on était médaille d’argent. À part Colette Besson qu’on connait bien à La Rochelle, la France n’avait aucune médaille. Mais on avait fait une mauvaise manche et sur le dernier bord obligatoire, on s’est retrouvé sans vent à cause d’un orage. C’était une stupidité de ma part. J’en rêve encore, c’est cauchemardesque. Si on avait eu une médaille pour la voile à Mexico, c’était la première d’après-guerre".

À Tokyo comme au Mexique, il y avait une pression énorme. On nous faisait bien comprendre qu’on représentait la France. Le directeur technique de l’époque nous disait "attention les gars, vous allez me faire perdre ma place !". Aujourd’hui heureusement, les entraîneurs, au contraire, disent surtout aux coureurs de prendre du plaisir.

Bertrand Chéret, régatier

Le temps passe vite sur cette terrasse du vieux port à refaire le monde de la voile. On en oublierait presque que l'on s'était donné rendez-vous pour parler de "Fluant dans la tempête", le dernier roman du navigateur. Après "La voie du Ponant" qui racontait l'histoire de cette route commerciale maritime qui a donné naissance à la ville de La Rochelle au moyen-âge, c'est un polar au long cours que nous propose le romancier. 

L'idée du livre remonte à bien longtemps, déjà dans les années 60. À Brest, Bertrand avait fait la rencontre du père Stéphan, 80 balais, ancien cap-hornier. À 27 ans, ce Breton avait pris le commandemant d'un clipper de près de cent mètres qui faisaient le voyage du Havre à la Nouvelle-Calédonie pour aller chercher du phosphate. "Dans le voyage précédent, la moitié de l’équipage était passée par-dessus-bord sur une vague. Le bateau était maudit et personne n’en voulait. C’est pour ça que Stéphan a obtenu ce commandement. D’ailleurs lui-même raconte qu’une fois quand ils sont repassés au Cap Horn, ils ont eu une voie d’eau".

Cette histoire, Chéret l'avait gardée en mémoire. "Fluant dans la tempête", c'est donc un huis clos où l'on comprend vite que tous les passagers n'ont pas embarqué uniquement pour la croisière. "Un bateau, c’est un vase clos. Les intempéries, une manœuvre mal effectuée, tout cela déclenche des sentiments". On ne vous divulgachera pas l'intrigue, mais, pour tous les amoureux de grand large, ce roman vous emmènera loin à l'époque de ces trois-mâts qui ont fait la légende des cap-horniers.

Ces mêmes passionnés de littérature maritime réaliseront tout aussi rapidement que Chéret le voilier n'a décidément pas lâché l'affaire. Celui à qui l'on doit "Les Voiles" et "Voile légère, techniques et sensations", les bibles du régatier encore éditées aujourd'hui, n'a pas abdiqué dans sa recherche éternelle. "L’idée, c’était d’écrire quelque chose sur le vent. C’est lui qui dicte tout. Le père Stéphan me disait par exemple qu’il faisait "vriller les voiles". Ils avaient observé que le vent d’altitude était différent de celui ressenti en bas en force et en direction. Ça donne ces jolies formes de voile décalées. Au début, on pense que c’est pour une raison mécanique et qu’ils n’arrivent pas à tenir le haut, mais en fait c’était opportun. Ils étaient beaucoup plus observateurs qu’on ne l’est maintenant. Ce que je déplore. Les gens maintenant sont passés à la glisse, à la recherche de sensations fortes, mais la subtilité de la manière dont le vent va se répandre sur l’eau, ils ne s’en préoccupent pas". 

Il va sans dire que le professeur Chéret regardera de près les performances des Manon Audinet et autres Kevin Peponnet sur le plan d'eau d'Inoshima cet été. Avant leur départ, il aurait même pu leur donner deux ou trois conseils, allez savoir. 

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