Musique : les rochelais de The Big Idea prennent la mer pour enregistrer un album

Un groupe de rock, une bande de potes et, désormais, un équipage de marins ; les six musiciens de The Big Idea s'apprêtent à traverser l'Atlantique sur un voilier pour enregistrer leur quatrième album. Un truc à leur image, pas raisonnable.

"A dying breed", une espèce en voie d'extinction ; voilà comment le quotidien britannique The Guardian faisait, en mars dernier, le douloureux constat de la lente agonie du concept de groupe de rock. Vous savez cette vieille idée qu'avec ses meilleurs potes on pourrait apprendre à faire de la musique, monter sur scène, enregistrer des albums, bref, prendre du plaisir et, pourquoi pas, en faire un métier.

"Un métier ! En vrai ? Sérieux gros ? C'est pas raisonnable les gars"... Cette incrédulité générale n'a visiblement eu aucun effet perceptible depuis six ans sur les cerveaux de Matéo, Sinclair, Sacha, Victor, Louis et Pierre. Oui, vous avez bien compté, ils sont six, The Big Idea. A l'heure où un fessier rebondi sur Instagram fait plus d'audience que l'intégrale des cantates de Bach, la simple idée de trouver des scènes de concert assez grandes et des patrons de salle assez riches pour accueillir une telle formation peut effectivement paraître quelque peu saugrenue.

Un Boys Band situationniste

Mais foin de ces considérations bassement matérielles, se dit-on en saisissant un hauban pour grimper sur ce voilier de 11 mètres sur lequel il nous avait été donné rendez-vous à La Rochelle. Car, pendant ce confinement qui n'en finit plus, The Big Idea en ont une autre énorme d'idée ; privés de concerts et stoppés dans la production de leur quatrième album, ils décident d'acheter avec leurs maigres économies ce bateau à peine plus jeune qu'eux (ou presqu'aussi vieux, c'est selon). La Big Idea, ça sera donc de traverser l'Atlantique et d'enregistrer ce disque en mer. Pas raisonnable, on vous avait dit. 

En manoeuvrant pour sortir du port de plaisance, on comprend vite que Matéo a une solide expérience maritime. On apprendra plus tard que son père est lui-même un marin expérimenté qui a, jadis, navigué avec Franck-Yves Escoffier et Yves Le Blévec sur deux Quebec-Saint-Malo. Et puis on commence à observer le drôle de mode de fonctionnement de la tribu. Démocratie, auto-gestion et poésie ; voilà comment ça marche The Big Idea. Et cette histoire de bateau est, à ce titre, très emblématique du parcours atypique de ce boys band situationniste.

"Après deux mois de confinement, c’était sur le ton de la déconnade, un soir, un peu bourrés, on s’est dit qu’on allait faire une transat pour enregistrer un album", explique Matéo, "mais le lendemain et les jours d’après, à force de cogiter, on s’est dit que comme il n’y avait pas de concerts en vue, on allait vraiment le faire". "On aime tous la mer, on aime tous la voile et personne ne va dire qu’un bateau, c’est nul dans le groupe", poursuit Sacha, "du coup, ça paraissait sensé". Enfin Victor complète l'explication du processus décisionnaire : "quand tu lis Jack London, Hemingway, Blaise Cendrars et tous ces types-là qui te racontent leurs expériences de traversées à la voile, moi je m’identifie vachement à ça". Tout est dit. Enfin presque.

"On ne se voyait pas faire autre chose".

Car l'histoire de ce groupe improbable remonte à la toute fin du siècle dernier. Nous sommes à Châtelaillon, sémillante cité balnéaire au sud de La Rochelle. C'est dans la cour de récré de l'école primaire que nos personnages vont faire connaissance. Après, il y aura le collège André Malraux et le lycée Valin. Tous commencent à gratter un peu de guitare, pianoter et taper sur des batteries dans d'éphémères formations. En terminale, ils opèrent une synthèse de cette activité musicale et, donc tout naturellement, ça s'appellera The Big Idea. Oui, vous avez bien compris, ces six gars se connaissent quasiment depuis qu'ils sont nés.

Et puis, date charnière, le mardi 27 mai 2014 à 21 heures. Sur la scène de La Sirène, la salle des musiques actuelles de La Rochelle, nos lycéens assistent au concert de Brian Jonestown Massacre. Rock psyché, folk, garage, punk, expérimental et Anton Newcombe, le leader déjanté du groupe californien vont parachever une catalyse cérébrale collective qui mitonnait donc depuis quelques temps déjà. "Brian Jonestown Massacre, ça a mis tout le monde d’accord", résume Sacha. Rapidement, ils visionneront le documentaire "Dig!" qui filme au plus près le quotidien de ces losers magnifiques de la côte ouest. "On ne savait pas trop ce que c’était la scène indé à l’époque", avoue Victor, "c’est là qu’on s’est rendu compte qu’il y avait des mecs qui faisaient leur truc dans leur coin et, même si ça ne marchait pas, il le faisait quand même". Aie, aie aie... là, ça sent vraiment le truc pas raisonnable.

Comme San Francisco, c'était un peu loin et pas dans le budget, les potes d'enfance décident donc de s'installer à Champigny-sur-Marne dans une grande maison. Officiellement, ils sont à la fac et certains iront même jusqu'à tenter de décrocher un master. Mais, dans la vraie vie, pendant six ans, ils vont vivre ensemble dans cette maison et faire de la musique et rien que ça. "On ne se voyait pas faire autre chose là tout de suite", explique Sacha, "on est parti à Paris parce que c’était la plaque tournante de la musique en France et qu’on voulait en vivre". "Et aussi parce qu'on voulait rester entre potes et faire ce qu'on aimait", enchaîne Victor. Explication raisonnable.

"On déconne le plus sérieusement du monde".

Au large de l'île d'Aix, une meute de marsouins taciturnes croise l'étrave du "Grand Vésigue", c'est le nom du voilier. Ils sont un peu en avance pour saluer le départ de nos marins musiciens qui ne devraient vraiment larguer les amarres qu'en octobre prochain vers les Antilles. Les compositions du futur album sont en grande partie déjà écrites et c'est sur la carte son de leur ordinateur qu'ils enregistreront chacun leurs partitions au gré de la gîte et des soubresauts du bateau. Ils prévoient également de tourner un film de cette aventure unique dans l'histoire du rock'n'roll. The Big Idea est un concept, comme chacun de leurs disques.

"En fait, on déconne le plus sérieusement du monde. Notre premier disque, "La passion du Crime 3", c’était un quadruple album qui était une musique imaginaire de film. Un truc évidemment invendable", explique Victor, "on n’a pas réalisé le film, mais on a réalisé toute la musique avec une partie rock, une partie folk, une partie psyché et une partie expérimentale. Ça dure deux heures. Forcément, pour les adultes, enfin pour les professionnels, c’était s’éparpiller que de faire ça".

Le deuxième opus s'appellera lui "Daytona" comme la course de voiture. Il sortira sur vinyle et se posera alors une question évidente : "qu'est-ce qu'on peut faire de trop cool avec cette grande image carrée ?" "On a imaginé ce jeu de course comme un jeu de l’oie", détaille Matéo, "le vinyle, c’est le plateau de jeu. A l’intérieur, à la place des crédits et des paroles, il y a juste les personnages à découper avec les règles du jeu. Il y a treize morceaux, donc treize personnages". 

Et puis il y aura aussi ESS 95, cet album hommage à D.B. Cooper, ce pirate de l’air qui, en 1971, menace de faire exploser un Boeing 727 et, après avoir reçu une rançon de 200 000 dollars, saute en parachute et disparait à jamais. "Le FBI a clôturé l’enquête l’année dernière, donc on a créé une agence d’agents secrets, ESS 95, pour continuer l’investigation" explique très sérieusement Matéo, "on l’avait sorti sur cassette et sur la jaquette, on avait mis un numéro de téléphone qui tombait sur un répondeur de notre agence dans notre maison de Champigny avec une musique un peu jazzy et on avait créé une adresse mail spéciale pour tous ceux qui auraient des informations nouvelles sur le dossier". Pas raisonnable du tout.

Dernier bord de près pour revenir à l'heure au port des Minimes, couvre-feu oblige. Les marsouins sont depuis longtemps partis vaquer à leurs océanes occupations. On ne s'étonne plus du tout finalement de ce projet de transatlantique et d'album au grand large. On ne s'étonne pas non plus de savoir que le groupe a fait l'unanimité pour représenter la Nouvelle-Aquitaine au prochain Printemps de Bourges. Les téléphones portables de la tribu s'échauffent pour tenter d'organiser la soirée. Après quatre albums donc, dont le dernier "Margarina Hôtel" sur le label poitevin Only Lovers Record, après plus 150 concerts partout en Europe, l'horizon des Big Idea est dégagé.

"Tous les soirs, on discute, on vote sur tout, on prend le temps de ne pas être d’accord", conclut Victor, "mais, on a une expression entre nous, c’est "on se lâche pas". Même, tout simplement, en tournée quand on a envie de manger, "on se lâche pas"". "On adore les cafés-concerts et les repas de taboulé sur la route, c’est les meilleurs souvenirs du monde, y a pas de problème… mais il y a d’autres horizons qui sont accessibles", ajoute Sacha. Tant que ce n'est pas raisonnable...

 

 

 

 

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