Parti en octobre dernier du vieux port de La Rochelle, le groupe a embarqué guitares et claviers sur un voilier et mis le cap sur les Antilles. A l'arrivée, un album hors du commun et un documentaire retracent cette aventure.
C'est une histoire inédite dans la longue histoire du rock. Ah, on en a connu des naufrages, des sombres héros de la mer qui ont fini par s'échouer sur les côtes de la célébrité. Mais avec les doux dingues de The Big Idea, l'aventure est juste réjouissante, rafraîchissante autant qu'incroyable.
Il y a deux ans, à part Matéo, guitariste, dont le père est un fin régatier, aucun des six membres du groupe n'avait mis les pieds sur un voilier. Ils s'ennuyaient dur à terre because Covid, alors ils ont décidé de prendre le large. Et comme cette bande de potes ne fait rien d'autre que de la musique depuis le collège, c'est avec leurs joujoux préférés qu'ils décident de larguer les amarres.
Du bassin des chalutiers aux Antilles
Ils sont comme ça les Big Idea. "On ne se lâche pas", telle est leur devise. Ils savent bien pourtant qu'un groupe de rock à six, ce n'est pas vraiment dans l'air du temps, mais, depuis dix ans, non, ils ne se lâchent pas. Ils vivent ensemble en coloc', ils tournent ensemble, ils mangent, boivent, dorment sous le même toit. Alors pourquoi pas sur un bateau.
Pendant un an donc, ils ont appris la mer sur Le Grand Vésigue, un voilier d'occasion qu'ils ont acheté en cassant leur tirelire vide (et en empruntant quelques sous à la famille). Et voilà donc qu'en octobre dernier, ils larguent les amarres du vieux port de La Rochelle, cap sur les Antilles.
Daytona, Margarita Hotel, La Passion du Crime 3 ; les fans ont l'habitude des concepts albums capillotractés du philarmonique funk de Châtelaillon. Mais là, l'aventure musicale a pris un tour inattendu. C'était le 6 octobre 2021. À la marée du soir, Le Grand Vésigue a passé l'écluse du bassin des chalutiers.
"On n'avait jamais eu à affronter de tempête"
Pour ceux qui connaissent un peu les joies de la plaisance, une transat commence toujours par la toujours difficile épreuve du Golfe de Gascogne. C'est comme ça, il faut passer ce maudit Cap Finistère avant de mettre le clignotant à gauche vers le grand Sud.
"On n’avait jamais eu à affronter de vraie tempête, confesse Sinclair, guitariste de son état. On n’avait eu de la pétole sur les deux premiers jours en partant de La Rochelle et, en arrivant au niveau de La Corogne, pendant 24 heures, on a eu 40 nœuds de vent avec pas mal de houle, ça a bien bastonné. On a pété deux poulies et troué la grand voile après un empannage intempestif. 24 heures bien fatigantes."
Après heureusement, Éole et Neptune ont eu pitié de nos rockers au long cours. Avant de partir, ils avaient pré-enregistré un certain nombre de pistes témoins et, en mode midi, ils se branchaient sur leur ordinateur pour, chacun son tour, faire leurs parties, au gré de la gîte et des conditions de vent.
Un album et un film
"On devait descendre un à un à l’intérieur du bateau, s’enfermer totalement et essayer de s’isoler du bruit, se souvient Sacha, bassiste. "Tu suais comme un malade parce qu’il faisait de plus en plus chaud à mesure qu’on gagnait le sud et le soir, tu faisais écouter à tout le monde ce que tu avais fait entre midi et le goûter."
"Je comprends pourquoi Abbey Road existe !", rigole Matéo sur le pont du voilier où, sous la cagnasse, il s'est installé un studio éphémère pour une session acoustique de guitare au milieu de la grande bleue. Une image parmi d'autres parmi toutes les heures de vidéo que les musiciens ont tourné pour documenter l'aventure.
C'est le réalisateur Eric Pagès qui, fasciné par l'histoire, leur a confié une caméra avant de partir. Il cherchait depuis longtemps un sujet original pour un film qui causerait de la mer et de la jeunesse. Le hasard de la vie l'a mis sur la route de nos Rochelais.
"Je sentais le potentiel de cette histoire, explique-t-il. Personne n’en voulait de ce documentaire mais j’y suis quand même allé. Il y a quelque chose de générationnel, pas moralisateur, quelque chose de juste et, surtout, quelque chose de rock."
Il a donc, avant tout, passé du temps avec le groupe à terre, filmé les préparatifs du voyage et de la navigation. Il a vite compris que le casting était parfait et qu'avec quelques conseils de prises de vue, il suffirait, comme ils en ont l'habitude, de gérer le reste une fois en autonomie sur leur bateau.
Un groupe sans leader
"Ce que je trouve beau avec ces garçons-là, c’est qu’ils ne défendent pas une cause, ils ne sont pas porte-drapeau, ils ne traversent pas l’Atlantique pour dénoncer la pollution ! s'étonne encore le documentariste. C’est presque égoïste, mais ils pensent juste à leur pomme, à leur plaisir, à ce qu’ils ont envie de faire et je pense que c’est comme ça que les choses pourront changer ensuite. Ils ont juste envie de vivre. Et, personnellement, j’ai été confronté à cette difficulté pour trouver un diffuseur. On me disait toujours mais c’est quoi l’enjeu ? Alors que c’est juste frais et vrai."
Le film de 70 minutes est en cours de finition, un docu sans commentaire qui vous embarque avec cette tribu à travers l'Atlantique. "Ils ont un mode de fonctionnement qui est très étonnant, poursuit le réalisateur. Ils n’ont pas de leader, ils fonctionnent à six. Ils sont malins, drôles et leur musique est cool."
Car bien sûr, le but de l'opération, c'était bien d'enregistrer cet album, The Fabulous Expedition of Le Grand Vésigue. Toujours dans leur veine funky progressiste californienne des pertuis charentais, la Big Idea touch quoi, l'objet musical non identifié nous embarque dans cette épopée improbable au gré des vents et des vagues.
On the road again
"On a fait ce qu’on a appelé des interludes avec des captations d’ambiance pendant nos escales aux Canaries et au Cap Vert pour faire vraiment ressentir le côté voyage et aventure, détaille Sacha. Au Cap Vert, on devait s’arrêter une petite semaine et finalement on est resté dix jours. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu la terre et on a rencontré des musiciens qui nous ont pris sous leurs ailes. Grâce à eux, on a vécu un truc génial."
Un très groovy Sailway to hell, les chœurs à la Beatles de "I wish the weather will be fine" ou les fameux interludes cosmiques Islas Canarias et Cabo Verde ; le disque lui aussi ne devrait sortir que dans quelques semaines, mais, à première écoute, on est tout de suite plongé dans cette navigation rock qui ne pouvait que produire quelque chose de forcément spécial.
"Traverser l’Atlantique, c’est bien mais il y a plein de gens qui le font, avoue Sinclair a posteriori. Pendant un an, on a rencontré des types qui nous disaient qu’ils l’avaient déjà fait trois ou quatre fois, donc, pour nous, c’était devenu normal de le faire. Par contre, enregistrer notre album à bord, ça donnait quelque chose de sensationnel à notre voyage, un côté esthétique à l’aventure."
De retour sur terre, The Big Idea s'apprête à reprendre la route des concerts. Jeudi 26 mai, ils seront sur l'esplanade Eric Tabarly devant l'aquarium de La Rochelle pour un concert en plein air, là où tout a commencé. Pour célébrer les 50 ans du port de plaisance, la salle de La Sirène, en collaboration avec Les Chantiers des Francos et Europavox, organisent une soirée franco-portugaise avec nos rockers marins en tête d'affiche. Un bol de plein air iodé et de bon son made in Charente-Maritime : la boucle est bouclée.
Reportage d'Olivier Riou, Yann Salaün et Maud Coudrin