Pesticides. Le prosulfocarbe, deuxième herbicide le plus vendu en France, soumis à de nouvelles restrictions

Ce mardi 3 octobre 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire a annoncé de nouvelles réglementations pour utiliser le prosulfocarbe, un des herbicides les plus vendus en France. Cette décision intervient après une nouvelle évaluation des risques pour les enfants. La Charente-Maritime est particulièrement concernée par ces changements.

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Pour lutter contre les mauvaises herbes, les agriculteurs disposent d'un outil très efficace : le prosulfocarbe, le deuxième herbicide le plus vendu en France. Mais le produit, utilisé pour les cultures de céréales et de pommes de terre, ne pourra plus être exploité dans les mêmes conditions, suite à une décision de l'Agence nationale de sécurité alimentaire (Anses) rendue ce mardi 3 octobre 2023.

Cette évolution intervient après des relevés exceptionnels des pesticides dans l'air en 2021. Le bilan de Atmo Nouvelle-Aquitaine faisait alors état d'une concentration exceptionnellement élevée, avec "des niveaux jamais vus en France." L'année suivante, les données relevées "tendent à revenir à des niveaux habituellement rencontrés". L'observatoire régional de la qualité de l'air notait tout de même que sur le site de Montroy, en Charente-Maritime, les "concentrations en herbicides et notamment en prosulfocarbe restent toutefois élevées en comparaison des deux autres sites de typologie identique de Poitiers et de Saint-Saturnin."

C'est une épée de Damoclès.

Xavier Reboud

Directeur de recherches à l'Inrae

L'Anses a donc réévalué les risques liés à l'utilisation de cette substance active, car les enfants présents à moins de dix mètres des zones de traitement pourraient subir des lésions cutanées. Les agriculteurs devront donc mettre en place deux nouvelles mesures : une diminution d'au moins 40 % des quantités de prosulfocarbe par hectare et le recours à de nouvelles buses de pulvérisation, diminuant de 90 % la dispersion de ce pesticide très volatil hors de la zone traitée.

Les détenteurs d'autorisation d'exploitation du prosulfocarbe devront ensuite fournir les données relatives à ces nouvelles conditions d'utilisation d'ici au 30 juin 2024. En cas d'absence de réduction des risques, les autorisations d'utilisation ne seront pas renouvelées.

De potentiels risques pour la santé ?

L'écologue Vincent Bretagnolle relève quant à lui les "quantités de cet herbicide volatil retrouvées dans les matrices vivantes, les insectes, les plantes. Il y a aussi des soupçons très forts de liens avec des cancers pédiatriques. En tant que citoyen, je trouve qu'on devrait appliquer le principe de précaution et interdire ce produit."

Cependant, il reste difficile pour les agriculteurs de se passer de ces herbicides. "Le prosulfocarbe permet le meilleur rapport qualité-prix, en traitant des surfaces pour quelques dizaines d'euros", détaille Xavier Reboud, directeur de recherches à l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae). "L'augmentation de la taille des exploitations agricoles entraîne des contraintes, par exemple les semis à l'automne."

Xavier Reboud a coécrit le rapport "Alternatives au prosulfocarbe et étude de leur mobilisation", paru en mars 2023. Le chercheur y relève une forte hausse des quantités de prosulfocarbe vendues, "la troisième substance active la plus vendue dans le pays (en kilogrammes de matière active) et le deuxième herbicide après le glyphosate (BNVD Traçabilité, 2023)."

Les quantités achetées de prosulfocarbe sont passées de 636 tonnes en 2008 à 6 522 tonnes en 2021.

À cela s'ajoute, selon Vincent Bretagnolle, écologue et directeur de recherche au CNRS, la spécificité de la Charente-Maritime, un territoire spécialisé dans les grandes cultures de céréales. "La plaine d'Aunis s'inscrit dans un système ultra-simplifié, avec des rotations en blé, colza et orge, qui favorise les adventices ou mauvaises herbes. Ces ray-grass deviennent résistants génétiquement et les agriculteurs se retrouvent dans une voie sans issue."

Afin d'expliquer la situation des agriculteurs, Vincent Bretagnolle a recours à une comparaison avec le secteur médical : "Les mauvaises herbes ont développé une résistance génétique face aux herbicides. Le prosulfocarbe est un des rares et derniers herbicides qui reste efficace. Comme les êtres humains face aux antibiotiques."

Et d'ajouter : "Le prosulfocarbe reste une bouée pour le moment, mais ça risque de ne pas durer, donc il vaut mieux anticiper. On peut par exemple revenir à des rotations de cultures plus longues, tous les quatre à six ans, ou alors planter de la luzerne, très efficace contre les ray-grass."

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Des alternatives encore peu développées

Mais ces leviers mécaniques peuvent en réalité être difficiles à mettre en œuvre. La technique du faux semis, par exemple, peut être employée pour les cultures de céréales. Quelques semaines avant le semis, la terre est alors préparée en surface au moyen d'une herse pour faire germer les mauvaises herbes avant le début des semis.

Le problème est qu'une perte de rendement est observée, car les cultures bénéficient d'une photosynthèse plus courte. "Les agriculteurs nous disent qu'ils veulent avoir un champ propre, utiliser une méthode efficace à 100 %. Pour les alternatives non chimiques, si on passe une herse sur le blé, toutes les mauvaises herbes ne sont pas détruites", résume Xavier Reboud. Selon le chercheur, la Charente-Maritime est loin d'être une exception, comme le montre la carte ci-dessous.

Carte des quantités de prosulfocarbe (en kilogrammes) achetées en 2021.

"Les agriculteurs ne regardent plus le prix des substances actives, alors que le prosulfocarbe coûte beaucoup plus cher que le glyphosate. Ils n'ont pas le choix et ils ont donc peu de marges", ajoute l'écologue Vincent Bretagnolle.

"Si les agriculteurs n'utilisaient pas de prosulfocarbe, mais que leurs produits leur étaient achetés à des prix plus élevés, ça augmenterait leurs marges", confirme Xavier Reboud, directeur de recherches à l'Inrae. "Mais aujourd'hui, ne pas utiliser cet herbicide représente un risque. Le modèle agricole reste basé sur la chimie et sur la recherche de la rentabilité maximale." Début septembre 2023, la Commission européenne a en effet prolongé de trois ans, jusqu’à fin janvier 2027, l'autorisation d'exploiter le prosulfocarbe.

Voir le reportage de nos collègues de France 2


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