Une dizaine de détenus demandent la condamnation de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré parce qu'ils ont subi des fouilles intégrales, sans motif légal selon eux. Le tribunal administratif de Poitiers devrait examiner leurs dossiers ce mardi 11 mai.
Cela s'est produit seize fois en mois d'un an. A chaque retour de parloir, Jérôme (1) a été fouillé intégralement avant de regagner sa cellule à la centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime). Pour Nabil, en détention dans la même prison, il y en a eu douze en dix mois : après des visites en unité de vie familiale, ou au retour d'atelier. Pour ces actes qu'ils estiment abusifs, ils demandent la condamnation de l'établissement pénitentiaire rétais, et ils ne sont pas les seuls.
Au total, huit détenus de Saint-Martin ont saisi la justice. Chacun d'entre eux demande réparation du ou des préjudices subis à hauteur de 100 euros par fouille. "Ils vivent tous très mal le fait d'être mis à nu, de devoir montrer leurs parties intimes, d'être obligé de s'accroupir, c'est très humiliant" explique leur avocat.
Me Alexandre Ciaudo précise que si la fouille intégrale n'est pas illégale, des dérives sont souvent observées dans l'application de la loi.
Je suis saisi tous les jours par des détenus qui me racontent qu'ils ont été fouillés à nu parce qu'ils ont répondu à un surveillant. Il s'agit alors d'une mesure de rétorsion qui n'a aucune justification légale.
"Acte de sécurité"
En France, la loi du 24 novembre 2019 est très claire. Son article 57 dispose que les fouilles intégrales doivent être justifiées par deux principes : "la présomption d'une infraction" ou "les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l'ordre dans l'établissement". Sur le papier donc, leur nature et leur fréquence doivent être adaptées à ces nécessités et à la personnalité des détenus. La réalité semble tout autre, et pas seulement à Saint-Martin-de-Ré qui comme toutes les maisons centrales accueille principalement des "longues peines".
"On reçoit quand même un public de personnes condamnées pour terrorisme et autres" argumente le responsable du syndicat FO pénitentiaire en Nouvelle-Aquitaine, Emmanuel Giraud, "et ce ne sont généralement pas des enfants de chœur".
On fouille un détenu à corps quand on a une suspicion de quelque chose, qu'il porte sur lui une arme blanche de fabrication artisanale par exemple. Une fouille n'est pas organisée juste pour embêter le détenu, c'est un acte de sécurité.
L'argument sécuritaire est d'ailleurs acté par le législateur et le conseil d'Etat qui ont assoupli la régime juridique des fouilles systématiques ; elles peuvent être "autorisées durant un temps limité pour les détenus particulièrement dangereux" ou "en cas de suspicions sérieuses d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention".
Il n'empêche. En 2017, une délégation du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui avait visité les lieux, avait pointé, noir sur blanc dans son rapport, quelques libertés prises localement avec la loi.
Des fouilles intégrales ciblées sont systématiquement programmées chaque journée de parloir et (...) à chaque retour du travail en atelier et de la formation professionnelle.
Le CGLPL avait alors recommandé d'adapter le nombre de fouilles "chaque jour à la situation du moment" sans définir de "quotas invariables".
"Contentieux de masse"
Des fouilles intégrales banalisées au nom de la sécurité ? Cette situation est bien connue de l'Etat français qui a plusieurs fois été épinglé par la cour européenne des droits de l'homme et est régulièrement condamné par la justice administrative française.
"C'est un contentieux de masse" explique le conseil des détenus de la centrale de Saint-Martin-de-Ré qui évoque des "dizaines de plaintes chaque mois" partout en France. Membre d'une association spécialisée dans la défense des droits des prisonniers, Me Ciaudo reconnaît que la situation à Saint-Martin n'est ni pire, ni meilleure qu'ailleurs.
Il reste que le sujet est source de crispation parmi le personnel pénitentiaire. "En 2013, on avait obtenu de Christiane Taubira (NDLR : alors ministre de la justice) un portique à ondes millimétriques" ironise Emmanuel Giraud qui précise que cet appareil permet de scanner le détenu sans avoir à lui demander de se déshabiller. "On a eu le budget, les travaux ont été faits, mais l'appareil n'est jamais venu."
Le tribunal de Poitiers devrait examiner les demandes d'indemnisation des huit plaignants ce mardi 11 mai.
(1) Les prénoms ont été modifiés