Entre mémoire collective perdue et phénomène météorologique rare, les spécialistes ont expliqué mardi au tribunal les causes du drame de la tempête Xynthia qui a fait 29 morts en 2010 sur la mince langue de terre qu'est La Faute-sur-mer en Vendée.
Précurseurs de cette commune récente à l'échelle de l'histoire nationale, ce n'est qu'après la Révolution Française que des agriculteurs choisirent de s'installer sur cette langue de sable coincée entre l'océan à l'Ouest et l'estuaire du Lay à l'Est. Et dès le départ, ils dédient ses parties basses, régulièrement inondées, à leur bétail, a expliqué à la barre du tribunal correctionnel des Sables-d'Olonne Thierry Sauzeau, universitaire spécialisé dans l'histoire des constructions littorales.La digue qui protège la cuvette située au sud-est de la commune a ainsi été érigée au début du XXe siècle pour protéger ce bétail des submersions marines fréquentes, sans empêcher pour autant en 1940, 1941, ou encore 1957 ces terrains d'être inondés. "Tous ces événements locaux laissent des traces très importantes dans les archives départementales", même si la mémoire collective a eu tendance à les effacer ou les minimiser en raison des pertes uniquement matérielles, selon M. Sauzeau.
Dans les années 1960, avec l'essor du tourisme balnéaire, "c'est la même génération qui a connu les événements de submersion qui a enclenché les mouvements de constructions" qui va, au fil du temps, gagner sur ces pâturages inondables, remarque-t-il. Et le rythme des constructions connaît une croissance exponentielle: 250 entre 1980 et 1990, puis 450 entre 1990 et 2000, avant de retomber à 250 entre 2000 et 2010.
La commune s'étale sur des terrains de plus en plus bas, et les plus à risque, oubliant son passé, d'autant plus qu'aucune tempête ne vient troubler son développement entre 1957 et 1999, et qu'en 1999 aucune submersion marine n'a lieu. Si les familles les plus anciennes ont connaissance des risques, les nouveaux habitants "n'ont pas eu accès à une connaissance validée de l'aléa, ni du caractère sensible du territoire", ajoute l'historien. Des dizaines d'habitants s'installent ainsi dans ces anciens pâturages inondables sans connaître les risques auxquels ils s'exposent.
Concomitance exceptionnelle
Un film réalisé par des experts et diffusé mardi explique le phénomène exceptionnel qui a frappé la commune la nuit du 27 au 28 février 2010: une "concomitance exceptionnelle" de surcote marine créée par la tempête et d'une pleine mer de coefficient 102. Un tel phénomène a 4% de risque de se produire dans la vie d'une personne calculée sur une durée de vie de 78 ans, "une probabilité non négligeable plus importante que celle de gagner au loto", relèvent les experts.A ce procès, qui doit durer cinq semaines, participent plus de 120 parties civiles. René Marratier, maire de la commune de 1989 à mars 2014, Françoise Babin, son ex-adjointe à l'urbanisme et propriétaire de terrains et de maisons dans les lotissements engloutis, son fils, Philippe Babin, agent immobilier et président de l'association qui devait entretenir les digues submergées, et Patrick Maslin, gérant de sociétés de construction et conseiller municipal, sont poursuivis pour "homicides involontaires aggravés" et "mise en danger de la vie d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence".
Ils risquent tous au maximum cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende. Le procès va durer jusqu'au 17 octobre, avant le jugement attendu le 12 décembre.