Le procès à huis clos du "chirurgien de Jonzac" s'est ouvert à Saintes. Spécialisée dans la lutte contre la maltraitance des enfants, l'association l'Enfant Bleu souhaite comprendre le silence des proches comme des institutions. Elle s'est portée partie civile dans cette affaire "hors normes".
Pourquoi ses proches se sont tus ? Comment un conseil de l'ordre, une direction départementale des affaires sociales ou des directions d'hôpitaux ont-ils pu laisser Joël Le Scouarnec travailler en présence de mineurs ? C'est à ses questions que Michel Martzloff souhaite que la justice réponde. Alors que s'ouvre à Saintes, et à huis clos, un procès "inédit dans l'histoire judiciaire française", le secrétaire général de l'association "L'enfant Bleu" pose la question des multiples responsabilités qui ont permis au chirurgien d’échapper pendant près de trente ans aux soupçons. Trente ans, c'est aussi le nombre d'années d'expérience de "L'Enfant Bleu" qui, depuis 1989, s'est portée quarante-cinq fois partie civile.
Nous nous portons partie civile lorsque l'on peut identifier un ou des dysfonctionnements pour essayer de comprendre comment les choses ont pu se dérouler et voir comment, à l'avenir, avec des propositions de loi ou de règlements, on pourrait améliorer les choses pour éviter d'aboutir à des drames comme ceux auxquels on assiste.
"Le ministère de la santé aurait pu être informé"
C'est l’association qui avait été à l’initiative de la création du fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuels ou violentes (Fijais) en 2005 dans le cadre de la loi Perben II. Cette même année, Joël Le Scouarnec était condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour téléchargement d'images pédo-pornographiques. "Le tribunal, à l'époque, n'avait pas demandé l'inscription du chirurgien au fichier", croit savoir Michel Martzloff. L'année suivante, l'hôpital de Quimperlé est alerté ainsi que la Ddass du Finistère, mais aucune mesure disciplinaire n'est envisagée. On ne sera pas plus regardant quand il prendra ses fonctions à l'hôpital de Jonzac en 2008.L'association avait été confrontée à cette même inertie institutionnelle ou, disons, problème de communication interministérielle dans l'affaire de pédophilie de l'école de Villefontaine en Isère en 2015. Le directeur de l'établissement avait été mis en examen pour des faits présumés de viol de onze élèves. L'homme avait pourtant été condamné en 2008 à six mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques, un jugement dont l'Education nationale n'avait pas été informée.
Suite à cette affaire, un poste de référent avait été créé entre le ministère de la justice et l'éducation nationale qui permettait de contrôler l'ensemble des casiers judiciaires des personnes employées et d'informer les rectorats de toutes condamnations. En 2015, nous avons préconisé à la chancellerie la création de tels référents dans tous les départements en liaison avec tous les ministères dont les salariés ou intervenants peuvent être amenés à travailler avec des enfants. Dans le cas présent, le ministère de la santé aurait pu être informé.
"Les gens ne parlent pas quand ils doutent"
On ne saura jamais si une telle mesure aurait pu mettre un terme aux agissements de Joël Le Scouarnec. Aux assises de Saintes, par contre, sera sûrement pointée la responsabilité des proches et, notamment de son épouse. En mai 2017, à Jonzac,quand les parents de sa petite voisine de six ans portent plainte, les enquêteurs découvrent dans l'ordinateur du chirurgien les fameux "carnets noirs" où il notait, avec force détail, l'ensemble de ses coupables attouchements de mineurs. "Elle sait", aurait-il écrit en parlant de son épouse, qui affirme-t-elle, aurait découvert les penchants pervers de son mari au moment de sa première condamnation en 2005. Ils divorceront par la suite. Pourtant, en 1997, sa belle-soeur lui aurait déjà parlé de soupçons d'attouchements sexuels sur sa fille, la nièce de Le Scouarnec. Triste banalité de tabous familiaux jamais soulevés. 45% des français soupçonnent au moins un cas de maltraitance dans leur entourage.L'affaire Le Scouarnec est donc malheureusement exemplaire à plus d'un titre. Devant les assises de Saintes, le septuagénaire devra répondre des viols et agressions sexuelles sur deux nièces, des agressions sexuelles sur une patiente de l’hôpital qui n’avait que quatre ans en 1993 et donc des faits de viol et exhibition sexuelle sur sa voisine de six ans dans la ville thermale de Jonzac. Mais il faudra attendre l'année prochaine ou même 2022 pour que soit examinés en Bretagne les cas de quelques 300 victimes présumées de l'accusé, alors qu'il officiait, notamment, à l'hôpital de Quimperlé.Le silence des familles, c'est quelque chose de très général. Les gens ne parlent pas quand ils doutent. Ils disent "on n'est pas sûr", "on a peur des conséquences". Souvent aussi, ils ne savent pas à qui s'adresser, au lieu d'appeler tout simplement le 119 ou la police. Il faut continuer à informer les gens et de leur dire que, légalement, la non dénonciation de crimes, c'est aussi quelque chose de très grave pour les auteurs qui peuvent être jugés en correctionnelle pour ça.