Terrorisme : un assigné à résidence transféré à Saint-Jean-d'Angély

Reportage de M. Banchais, S. Bourin et P. Ritaine (intervenant : Kamel Daoudi)

Assigné à résidence depuis cinq ans à Carmaux, dans le Tarn, Kamel Daoudi a été transféré à Saint-Jean-d'Angély (Charente-Maritime), ce dimanche. Expulsé inexpulsable, condamné dans une affaire de terrorisme, il est suspecté d'entretenir des "liens avec la mouvance salafiste".

Depuis deux jours, les gendarmes de Saint-Jean-d’Angély reçoivent la visite d’un nouveau venu. Kamel Daoudi, condamné pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" en 2005, doit pointer quatre fois par jour avant de s’enfermer dans son hôtel jusqu’au matin. Cet Algérien de 42 ans s’est accoutumé de ce quotidien de métronome : "Je suis le plus ancien assigné à résidence de France."

Dimanche dernier, Daoudi se rend à son pointage quotidien au commissariat de Carmaux, dans le Tarn. Chose inhabituelle, le commandant demande à le recevoir. "Il m’a tendu un papier et j’ai tout de suite compris qu’il y avait un problème." Dix minutes plus tard, il est conduit dans un véhicule du RAID, un bandeau sur les yeux.

Un arrêté émanant du ministère de l’Intérieur l’astreint désormais à résider dans la commune de Saint-Jean-d’Angély, "en raison de ses liens resserrés avec le mouvement salafiste et son attitude de plus en plus ambiguë avec la population carmausine."

Soupçonné d’être "en lien avec la mouvance salafiste"

Dans ce document long de trois pages, que Kamel Daoudi a refusé de signer, le ministère détaille les motifs de son éloignement : "La saisie du téléphone portable et de supports informatiques de l’intéressé", réalisée le 30 septembre dans la maison où il vivait avec sa femme et ses quatre enfants, a "révélé et confirmé ses liens avec la mouvance salafiste et son adhésion à des thèses radicales."

L’exploitation des données contenues sur son ordinateur a également mis en lumière "de nombreuses recherches effectuées par Kamel Daoudi sur les agents de police du commissariat de Carmaux, notamment leurs adresses personnelles". Pour les enquêteurs, son historique de navigation sur internet fait écho à l’attentat de Magnanville, où deux policiers avaient été assassinés.

"Une situation kafkaïenne"

"J’ai l’impression que l’actualité et l’histoire me rattrapent continuellement", commente Daoudi, qui évoque un conflit de voisinage avec un couple de fonctionnaires de police : "Ils avaient tenté de retirer mon enfant de la crèche car je rentrais dans l’établissement quand j’allais le chercher. Je voulais juste vérifier s’ils n’étaient pas encartés FN", assure-t-il. Il n’aura pas le droit au bénéfice du doute. Un nouveau point de chute vient s’ajouter à sa longue liste de "prisons à ciel ouvert" : Saint-Jean-d’Angély.

Interdiction de quitter la commune. Daoudi a l’obligation de rechercher un pays d’accueil, mais ses 35 tentatives se sont toutes soldées par un échec.

La justice lui reproche d'avoir plannifié un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris. Onze ans après son premier procès, il nie toujours son appartenance à un groupe terroriste. Condamné en mai 2005 à 8 ans de prison, il obtient en appel un abaissement de sa peine à 6 ans d’emprisonnement. Commence alors son tour de France carcéral : Fresnes, Fleury, la Santé, Villepinte, Lyon, Strasbourg, Mulhouse… Il passe quatre ans à l’isolement et ressort pour une nouvelle errance.

Déchu de sa nationalité française et théoriquement expulsé du territoire français, il ne peut être renvoyé en Algérie. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé que Kamel Daoudi risquait la torture voire la mort dans les camps militaires du régime en place. Balloté de communes en villages, il n’a jamais résidé plus de cinq ans au même endroit. "Cette situation est kafkaïenne, ubuesque !", entonne l’assigné à résidence.

Arrêté au retour d’Afghanistan

Kamel Daoudi met le doigt dans l’engrenage en 2001. Muni de faux-papiers, il s’embarque pour l’Afghanistan, alors sous la coupe des Talibans. "Je sortais d’un divorce et je n’étais vraiment pas bien psychologiquement, se justifie-t-il aujourd’hui. J’étais en recherche d’identité. C’est vrai qu’il y a d’autres destinations… Mais je voulais partir à l’aventure." Il séjourne quatre mois dans les zones tribales à la frontière avec le Pakistan, une bande montagneuse devenue depuis un sanctuaire pour les terroristes, avant de revenir en Europe.

Quelques semaines après les attentats du 11 septembre, Kamel Daoudi est arrêté en Grande-Bretagne où il vit réfugié depuis l’arrestation de l’un de ses "amis" de retour d’Afghanistan : Djamel Beghal, un algérien bien connu pour son appartenance à la mouvance djihadiste. "On s’appréciait, on a mangé ensemble quelque fois… Une relation des plus banales."

Quand les policiers britanniques trouvent en sa possession des textes du prédicateur terroristes Ayman al-Zawahiri, considéré comme le penseur du djihadisme international, Daoudi se défend : "Quelqu’un qui lit ‘Le Capital’ n’est pas forcément marxiste."

"Je ne suis pas Daech !"

Instruit, disert et beau parleur, Kamel Daoudi assure ne désirer que l’anonymat : "Je veux qu’on arrête de stigmatiser ma famille. J’ai purgé la peine qui m’a été infligée. Je suis aujourd’hui le bouc-émissaire d’un système profondément malsain."

Logé au frais de l’Etat dans un hôtel de la commune de Saint-Jean-d’Angély, il rumine : "Je ne coûtais rien à l’Etat. J’habitais avec ma femme et mes enfants. C’est eux qui me mettent dans cette situation. Je comprends leur psychose mais je ne suis pas Daech !" Son avocate, Me Marie Dosé, étudie actuellement la possibilité de contester son transfert à Saint-Jean-d'Angély.

Kamel Daoudi projette d’écrire un livre où il compte témoigner de sa situation et dénoncer le sort réservé aux "expulsés inexpulsables".

Les doutes dans l'affaire Djamel Beghal
En 2010, la publication de câbles diplomatiques par le site Wikileaks a semé le doute dans l’affaire Djamel Beghal. Dans une note datée du 9 mai 2005 [consultable en anglais, ndlr], l'ambassade rapporte une discussion avec le juge antiterroriste Jean-François Ricard. Celui-ci explique son bureau dépend largement de la réputation dont il jouit en France : les magistrats tels que lui bénéficieraient même du "bénéfice du doute".

Il prend l'exemple de Djamel Beghal : "Ricard dit que les preuves [contre lui et ses complices] ne seraient pas suffisantes normalement pour les condamner, mais il estime que ses services ont réussi grâce à leur réputation."

Depuis son incarcération, Djamel Beghal est devenu une figure incontournable du djihadisme français. Il aurait notamment présenter Chérif Kouachi à Ahmed Coulibaly, deux des auteurs des attentats de janvier 2015.

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