Des jeunes mineurs seront bientôt à la rue, une association de familles lance un appel à l'aide

En Charente, l’Aadmie, une association de familles hébergeant des mineurs isolés, ne peut plus héberger des jeunes rejetés par l'Aide sociale à l'enfance. L'association se bat pour faire reconnaître leur minorité, mais en attendant que les dossiers soient réévalués, ils ont besoin d'un toit, au risque d'être à la rue la nuit.

"On jette l’éponge", souffle Isabelle Claire, membre de l’association Aadmie au téléphone. Épuisées, les familles à l’origine de l’association le sont, et découragées. Basée à Angoulême, en Charente, l'Aadmie permet aux mineurs isolés déboutés de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de trouver un logement temporaire, en attendant que la décision concernant la reconnaissance de leur minorité soit réévaluée par le juge des enfants. "Le 115 déborde en ce moment", explique Isabelle Claire.

Ça veut dire qu’on est obligés quand un jeune nous contacte, de lui dire qu’on n’a pas de solution pour lui. C’est terrible.

Isabelle Claire

Association Aadmie

Hébergement en attendant la décision du juge

Lorsque les mineurs isolés arrivent en France, ils sont provisoirement pris en charge par l’ASE. Pendant une quinzaine de jours, ils sont alors évalués par l’Escale, une association qui dépend du département. "Quand les évaluations sont faites, s’ils sont reconnus comme majeurs, ils sont raccompagnés à la gare concrètement, et laissés là", déplore Isabelle.

C’est là que l’Aadmie intervient. L’association prend alors en charge les jeunes afin qu’ils ne soient pas à la rue. D’un point de vue juridique, les bénévoles travaillent avec des avocats. "L’idée, c’est de contester la décision de l’ASE. On récupère les évaluations qui ont été faites, on monte un dossier et on le présente au juge qui statue pour dire si effectivement le jeune est mineur ou pas".

Si le jeune est effectivement reconnu mineur, il est alors obligé d’être repris en charge par l’ASE, dans le respect de la protection de l’enfance.

Nous, on arrive au bout de ce qu’on peut faire. C’est un crève-cœur de se dire qu’on va dire à un jeune, tu dors à la rue, parce qu’on n'a pas de solution.

Isabelle Claire

bénévole à l'Aadmie et hébergeante

Un toit ou la rue, du jour au lendemain

"Régulièrement, c’est au moins un jeune par semaine qui sort de l’Escale et qui est déposé à la gare et qu’on récupère. Sauf qu’ils font ça le vendredi soir à 16h. Il faut trouver dans l’heure des solutions, c'est vraiment fatiguant." Pour l’instant, l’association a récupéré 25 jeunes exclus de l’ASE après une évaluation de leur minorité.

Si ces jeunes sont déposés devant la gare sans argent sans rien, on imagine ce qu’il peut arriver aussi. Ils peuvent être récupérés par des gens moins bien intentionnées.

Isabelle Claire

membre de l'Aadmie et hébergeante

Jusqu’ici, le Samu social constituait une alternative d’hébergement pour les cas d’urgence, même si l’association évitait au maximum cette solution par mesure de protection pour les jeunes. "Mais ils ne peuvent plus nous aider, eux aussi, ils débordent." Malgré les liens que l’association entretient avec Emmaüs, l’hébergement reste le point noir, et pourtant essentiel pour que ces jeunes puissent rêver à un avenir.

"J’ai des enfants à peine plus âgés que ces jeunes-là. Ça me retourne les tripes, à chaque fois, de m’imaginer ce qu’ils ont vécu, se désole Isabelle Claire. C’est juste un peu d’humanité de se dire dans quel désespoir on peut être pour affronter des choses comme ça."

Besoins d'urgence à l'approche des vacances d'été

Pour le court terme, l’association a besoin de familles hébergeantes, que ce soit même pour une ou deux nuits. " Il leur faut juste un lit et un repas, et encore... Au local, on fait des dons alimentaires aux jeunes avec le minimum de base pour se faire à manger", explique Isabelle. "On sait que la pauvreté gagne aussi notre territoire, ajoute-t-elle. L’urgence pour ces jeunes, c’est d’avoir leur sécurité avant toute chose. Ce qui peut freiner, c’est de se dire, il faut que je m’en occupe. Non, il ne s’agit pas d’adopter un enfant. Ils ont surtout besoin d’un toit, et le reste, le lien, c’est du bonus, mais le minimum vital, c'est un toit".

Les besoins sont d’ailleurs plutôt portés sur les week-ends et les vacances scolaires. En effet, une fois les jeunes reconnus comme mineurs, ils sont, la plupart du temps, scolarisés en internat et donc hébergés en semaine.

À l’approche de l’été, les internats ferment, les possibilités d’hébergement sont donc restreintes pour les jeunes, sans compter ceux qui, chaque semaine, continuent d’être déposés à la gare par l’Aide sociale à l’enfance et qui, par manque d'hébergeurs, se retrouvent sans solution.

Des jeunes déboutés de l’ASE malgré leur minorité attestée

En 2023, l’Aadmie a présenté 12 dossiers au juge des enfants. Ces dossiers concernaient des jeunes déboutés de l’ASE à la suite de l’évaluation de leur minorité, non validée. L’association a alors fait appel de la décision du juge et a présenté leur dossier en expliquant que selon elle, ils étaient bien mineurs. Après réévaluation, sept jeunes qualifiés de majeurs ont vu leur minorité reconnue, soit la moitié des dossiers. Une vraie problématique pour Isabelle : "On a déjà rencontré les élus du département. On leur explique que les évaluations sont complètement aberrantes. On lit que tel jeune est majeur parce qu’il a de la barbe et des épaules trop larges…. Ce n’est pas protéger les enfants, ce sont des mineurs", insiste Isabelle.

D’après elle, tous les ans, plusieurs jeunes qualifiés par l'ASE comme étant majeurs sont finalement reconnus mineurs après réévaluation du dossier par le juge. "Ça montre qu’il y a un souci", questionne Isabelle.

On a essayé de les mettre en camping et ça a été la catastrophe parce qu'ils ont des angoisses terribles, comme aller au bord d'une piscine ou d'un étang, parce qu'ils ont cru mourir lors de leur traversée.

Isabelle Claire

Membre de l'Aadmie

L’association aimerait pourtant travailler main dans la main avec le département, sous forme de partenariat pour être efficace et ne pas pénaliser les jeunes qui arrivent effectivement mineurs sur le territoire. "Ce qu’on essaie d’expliquer, c’est que si vraiment, ils prenaient correctement les jeunes en charge sur le territoire de la Charente, il y en aurait moins qui arriveraient de l’extérieur, placés par d’autres départements."

S'il y a bien des jeunes majeurs qui passent par l'ASE, l'association assure que c'est une minorité en comparaison des jeunes présents sur le territoire. Pour l’association, ces va-et-vient administratifs pourraient être évités avec "plus de bienveillance et des politiques plus à l’écoute de ce qui se passe réellement".

"On a des jeunes traumatisés qui sont passés par Paris, où ils dormaient sous tente, ils prenaient des coups de couteau... Une année, on a essayé de les mettre en camping et ça a été la catastrophe parce qu'ils ont des angoisses terribles, comme aller au bord d'une piscine ou d'un étang, parce qu'ils ont cru mourir lors de leur traversée", déplore la bénévole.

Des vécus souvent traumatiques

Les parcours des jeunes aidés par ces familles sont tous différents, mais tous sont teintés d’épisodes traumatiques. "Il y a des jeunes envoyés par leurs familles pour des raisons financières, qui viennent de zones de conflits armés, des jeunes qu’on a mis sur la route sans leur avis parce que la pauvreté était trop importante… ", explique Isabelle.

Parfois, certains jeunes arrivent en France au bout d’un long périple qu’ils n’ont jamais choisi, et dont ils ont compris le sens une fois sur la route. "J’ai eu le cas d’un jeune parti de Côte d’Ivoire parce que son père lui a dit qu’il allait rejoindre sa mère au Burkina-Faso. Mais il ne l’a jamais rejoint. Il a traversé le désert, la Libye, Lampedusa (une île italienne coincée entre la Tunisie et la Sicile, NDLR), sans comprendre ce qui lui arrivait." D’après Isabelle, ils sont nombreux, dans ce cas, à affronter le désert, la faim, la soif et la peur, notamment en Libye, où ils peuvent être capturés en échange de rançons.

Une fois ces jeunes scolarisés, ils font tout pour réussir, s’intégrer. "C’est loin d’être des délinquants ou des jeunes qui dysfonctionnent. Parce qu’ils ont vu des choses si terribles, qu’une fois en France, tout ce qu’ils veulent, c'est y arriver. Ce n’est pas "j’arrive les mains dans les poches pour chercher fortune"... C’est bien plus profond que ça."

Des solutions possibles à mettre en place

L’association met en avant le dispositif "tiers digne de confiance" : lorsque le juge place un jeune auprès d’une famille déclarée tiers digne de confiance, elle est alors son représentant jusqu’à sa majorité. "Ce n’est pas pareil qu’une famille d’accueil, là où l’ASE place les enfants. Nous, ce serait autre chose". L’association souhaite travailler avec les services de protection de l’enfance sans empiéter sur ces derniers, mais en complément. "Nous, on a des familles solidaires, qui seraient prêtes à être tiers dignes de confiance pour les jeunes qu’ils ont suivis, donc ce ne serait pas un poids supplémentaire pour l’ASE", affirme Isabelle.

Pour toute personne qui souhaite s’engager ou prendre plus ample information, voici le lien de l'association l’Aadmie.

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