De nombreuses animations sont proposées durant le Festival de BD d'Angoulême. Nous avons testé pour vous ce jeudi 17 mars un atelier participatif, animée par l'autrice et illustratrice Blanche Sabbah, avec la revue digitale Mâtin.
Dans les rues d’Angoulême, c’est l’effervescence. Les amateurs de bande dessinée ne savent plus où donner de la tête. Spectacles, expositions, dédicaces… Le programme de cette première journée du Festival de BD est riche.
De mon côté, mon choix est fait : ce sera l’atelier intitulé "Écrivez un strip entre Mythes et Meufs” avec Blanche Sabbah, une autrice de BD féministe qui m’inspire énormément. Direction le pavillon Jeunes Talents, en contrebas du centre-ville.
Revisiter un conte « entre meufs »
J’arrive un petit quart d’heure avant le début de l’atelier. Il n’y a personne. Blanche Sabbah et la rédactrice en chef de la revue digitale Mâtin, Clotilde Palluat, m’accueillent avec un grand sourire. “Ce sera peut-être un cours particulier !”, me lancent-elles. Les deux jeunes femmes craignent que personne ne vienne. 13h55, cinq personnes franchissent la porte de la salle. “On a eu du mal à trouver !”, s’excusent-elles.
Nous commençons l’atelier “entre meufs”, ce qui n’étonne pas Blanche Sabbah. “J’ai un public presque exclusivement féminin”. Blanche Sabbah est plus connue sous le nom de La Nuit Remue Paris sur Instagram, où elle publie son travail. Grâce à ses conseils, nous allons, toutes ensemble, élaborer le scénario d’une bande dessinée qui revisite un conte.
Une série publiée dans la revue digitale Mâtin
14h10. Dix retardataires font irruption dans la salle, dont quelques hommes. De quoi donner le sourire aux animatrices de l’atelier. Dans un premier temps, Clotilde Palluat nous présente Mâtin, la revue digitale des éditions Dargaud. Elle en est la créatrice et la rédactrice en chef.
Depuis deux ans, Mâtin propose une BD à 07h07 précises, exclusivement sur Instagram, en dix cases maximum. “C’est le réseau de l’image par excellence”, justifie-t-elle. Au total, une quarantaine d’auteurs publient leur travail pour parler écologie, philosophie, ou culture.
Mais alors, quel rapport avec Blanche Sabbah ? Sa série “Mythes et Meufs”, publiée sur l'Instagram de Mâtin, fait partie des publications qui marchent le mieux. Dans Mythes et Meufs, l’illustratrice déconstruit et transforme des mythes et des légendes connues qui portent préjudice aux femmes depuis des siècles.
Comme la méchante reine dans Blanche-Neige : cruelle et jalouse avec sa belle-fille, ce personnage est surtout obsédée par son image dans le miroir. "On nous fait croire que vieillir pour une femme, c’est le pire des destins", dénonce Blanche Sabbah.
Place à la réflexion
Aujourd’hui, l’idée est de revisiter un autre conte. “Une figure qui vous vient à l’esprit ?”, nous questionne Blanche Sabbah. Plusieurs propositions sont faites dans l’auditoire, mais nous nous mettons vite d’accord sur le personnage de Belle, du conte de la Belle et la Bête.
C’est parti pour une séance de réflexion : que sait-on sur ce personnage ? “Elle aime la littérature !”, répond une participante. Avant de poursuivre : “Donc tout le monde la trouve bizarre.” Blanche Sabbah le note sur le tableau. Et ajoute “Pas besoin d’un mec = BIZARRE”. L’audience rigole.
Que se passe-t-il dans le conte ? “Son père cueille une rose pour elle et il est fait prisonnier”, répond une autre participante. “Exactement, et elle s’en veut à mort”, poursuit Blanche Sabbah avant de questionner. “Que pouvez-vous me dire sur le personnage de la Bête ?”
“C’est un monstre, et puis l’amour le rend humain”, répond un participant. “À l’inverse, un mec enfermé avec une femme sous forme de monstre ne tomberait jamais amoureux dans cette situation !”, fait remarquer une participante.
Une lecture métaphorique
Moche, poilu, brutal, blessé par une femme… note Blanche Sabbah au tableau. Mais gentil, cultivé et à haut statut social. “Et il a une méga bibliothèque !”, lance-t-elle. “Il y a un mot qui clignote”. Je ne vois pas où elle veut en venir. Une participante s’exclame : "Il est vieux !"
Bingo. Blanche Sabbah nous explique qu’il faut avoir une lecture métaphorique du conte. "Ce que nous raconte l’histoire, c’est que c’est à la jeune fille de sauver cette vieille bête !"
Elle nous explique l'origine du conte. Il a été écrit par une femme pour celles qui étaient obligées de se marier avec un homme veuf ou un homme qui avait déjà une expérience d’un mariage catastrophique.
"Aaaaaah !", s’exclament les quinze participants. Blanche Sabbah analyse avec nous le message transmis derrière ce conte. "En gros, le récit voulait faire comprendre aux hommes qu'il est mieux d’être gentil avec sa femme et en tant que femme de voir l’humanité en un homme vieux !"
Accès au processus de création
"Quelle pourrait être la conclusion de notre BD ?", demande Blanche. Elle nous guide : dans nos fictions contemporaines, des tas d’exemples comme ceux-ci persistent. "Le couple de Remus et Tonks dans Harry Potter !", lance Gabrielle. En effet, dans la saga du petit sorcier, le couple rencontre des problèmes conjugaux en raison de la condition de loup-garou de Remus. "Il a peur de la blesser", analyse une participante. Avant d'être compléter par Blanche : "Oui, et Tonks humanise cet animal qui est son mari."
La séance prend fin. Installée ma droite, Charlotte, 25 ans, est venue de région parisienne pour participer à l’atelier avec une amie. "C’est génial, on a à la fois accès à son processus de création et tout le monde apporte sa patte !".
Gabrielle, l’étudiante en philosophie, et sa sœur sont ravies. Direction Manga City pour les deux jeunes femmes. Je les salue. Et remercie Blanche Sabbah. Elle publiera Mythes et Meufs en version papier le 15 avril prochain. Elle a hâte, me confie-t-elle. L’illustratrice doit me laisser, elle a une séance de dédicaces à assurer pour Les Mutineries. Une bande dessinée produite avec son amie et illustratrice Eve Cambreleng, qui explore et déconstruit des idées reçues sur le féminisme.
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