Bande dessinée : les auteurs et autrices vont être rémunérés pour leurs dédicaces

Le vendredi 11 mars, le ministère de la culture a annoncé avoir trouvé un accord pour permettre aux artistes de la bande dessinée d'être rémunéré lors de leurs séances de dédicace. Quelques jours avant l'ouverture du festival de la bande dessinée à Angoulême, cette nouvelle a de quoi réjouir les auteurs, ou presque.

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La dédicace d'un album de bande dessinée, ce n'est pas un geste anodin, une griffe posée à la chaîne, en quelques secondes. Pour les dessinateurs et dessinatrices, ce moment de rencontre avec leurs lecteurs se traduit par la création d'une illustration personnalisée, qui fait de l'ouvrage une pièce unique.

Ce n’est pas juste une signature, on va dessiner ce qui plaît à la personne en face de nous

Isabelle Dethan, autrice de bandes dessinées

Lors des festivals du neuvième art, cette tradition est fondamentale, mais elle constitue une vraie charge de travail, jusque là entièrement bénévole pour les artistes. "On nous demande de venir sur des festivals pendant des week-ends entiers et d’être là pour rencontrer le public mais pas seulement pour le rencontrer, on fait des dédicaces, et c’est devenu une partie de notre travail," explique Isabelle Dethan, autrice de BD à Angoulême, "ce n’est pas juste une signature, on va dessiner ce qui plaît à la personne en face de nous, c’est un échange, mais il y a quand même une partie travail dans l’histoire." 

Une promotion pas si rentable

Ces festivals sont bien sûr une opportunité incontournable pour les auteurs et autrices de faire connaître leur travail et leurs créations. Il s'agit aussi d'un investissement réel de leur temps, dont la contrepartie financière est dérisoire : "il y a beaucoup de gens qui disent qu’on fait la promotion de notre album et que quelque part on devrait pas râler," ajoute Mazan, lui aussi auteur à Angoulême, "mais il faut savoir que quand on fait une dédicace sur un album, on vend au mieux l’album en question s’il a vraiment été pris chez le libraire ce jour-là mais souvent ce sont des livres qui ont déjà été vendus (…) et dessus on va gagner entre 50 centimes et un euro, donc même si on fait cent dédicaces dans un week-end, ce qui est impossible, on ne gagne que 100 euros."

Le 11 mars dernier, l'annonce du ministère de la culture a donc apporté quelques réponses à cette problématique, dont les précisions devraient être apportées rapidement. Le protocole qui prévoit la rémunération des auteurs et des autrices de bande dessinée dans les festivals a été validé par Roselyne Bachelot-Narquin, la Ministre de la Culture, le Centre National du Livre (CNL), le Syndicat national de l’édition, le Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), et la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA). D'après Benoît Preteseille, auteur de bandes dessinées et vice-président du SEA, un forfait dont les contours restent à définir va être mis en place, et financé de manière tripartite par la SOFIA, le CNL et les structures qui invitent les artistes, comme les festivals, les librairies ou les maisons d'édition.

Une dizaine de festivals de bande dessinées ont également pris part à cette proposition et s'engagent dès cette année à rémunérer les artistes.

La dédicace comme œuvre d'art

Alors qu'il s'ouvre au public le 17 mars prochain, le festival d'Angoulême inaugurera cette nouvelle mesure, avec la présence notamment de Pénélope Bagieu, Enki Bilal ou encore Catherine Meurisse.

Pour son délégué général, Franck Bondoux, il s'agit d'un progrès pour des artistes dont la présence est essentielle pour cet événement : "ça apporte, plus qu’un rayonnement, un intérêt, un attrait supplémentaire à l’événement parce qu’une des motivations de la venue des festivaliers repose sur le fait de pouvoir rencontrer les auteurs". D'après lui, cette question de rémunération était devenue un véritable point de crispation dans ce secteur très précaire, et bien qu'il ne résolve pas tous les problèmes, c'est un premier pas et une reconnaissance : " que tous ces auteurs soient en osmose avec l’événement lui-même et considèrent que leur présence est justement rémunérée, c’est évidemment essentiel dans la relation que le festival entretient avec les auteurs". Une reconnaissance financière bienvenue mais aussi symbolique et selon Franck Bondoux, c'est également une manière pour le gouvernement de consacrer une démarche créatrice de la part des bédéistes : "le ministère de la culture a voulu considérer la dédicace de bande dessinée, dès lors qu’elle s’accompagne d’un dessin, comme une œuvre, et donc c’est finalement cette œuvre qui est rémunérée, c’est le socle de l’accord".

Avant la signature de cet accord, d'autres mesures étaient déjà explorées dans certains festivals, ou au sein de maison d'éditions volontaires, comme Flblb, à Poitiers. Editeur et auteur, Thomas Dupuis, connu sous le pseudonyme d'Otto T., a mis son expérience gagnée avec cette double casquette au service d'une meilleure rémunération avec une mesure plutôt simple : "à Flblb, pour toutes les ventes en festival les droits d’auteur sur les livres sont doublés (...) c’est une façon de rémunérer la dédicace ".

L'arbre qui cache la forêt ?

Les auteurs et autrices restent toutefois prudents en attendant que les contours de la mesure soient totalement dessinés. Ils s'inquiètent également que cette avancée financière n'ouvre la porte à une baisse de leurs droits d'auteur, qui tournent en moyenne autour de 10% du prix hors taxe d'un album : "il ne faut pas qu’ensuite on nous dise que puisqu’on est rémunérés pour les dédicaces, les faibles droits d’auteur qu’on perçoit deviennent la norme," prévient Isabelle Dethan " ça ne doit pas être une excuse pour nous payer moins notre travail de création d’albums."

C’est quelques chose d’assez symbolique la dédicace, mais il ne faut vraiment pas oublier que le statut des artistes auteurs est très précaire

Benoît Preteseille, vice-président du Syndicat des éditeurs alternatifs

De plus pour le syndicat des éditeurs alternatifs, la rémunération des dédicaces, revendiquée de longue date ne doit pas éclipser le reste des difficultés sociales rencontrées par les artistes. Benoît Preteseille estime que les artistes de la bande dessinée devraient disposer d'un statut similaire à celui des intermittents du spectacle pour faire face aux périodes de création ou d'inactivité. D'après lui, ils ne bénéficient pour l'instant d'aucun soutien lorsqu'ils sont au chômage ou en congé parental, et leurs droits à la retraite doivent évoluer : "il y a vraiment d’autres dossiers qui sont à notre avis nettement plus importants, c’est quelques chose d’assez symbolique la dédicace, mais il ne faut vraiment pas oublier que le statut des artistes auteurs est très précaire (...) tout n’est pas résolu avec cette proposition là." 

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