Au pavillon des jeunes talents du festival de la BD, les artistes en début de carrière ont trois jours pour présenter leur projet de bande dessinée à des éditeurs. Comme pour les séances de dédicaces, mieux vaut arriver très tôt. Les candidats sont nombreux et les créneaux limités.
Ils ont parfois fait la queue, dès 6 heures du matin, vendredi, devant le pavillon des Jeunes talents du festival international de la bande dessinée (FIBD) d'Angoulême pour espérer une rencontre en tête-à-tête avec un éditeur. Près d'un millier de jeunes auteurs encore non publiés, leurs planches de BD sous le bras, sont venus tenter leur chance.
À l'heure des rencontres, en début d'après-midi, il n'était plus que 100 à avoir été retenus, après une pré-sélection sévère, opérée par des enseignants en école d'art. La dure réalité du festival s'est vite imposée à eux.
"Une journée pour rien" ?
Cent places, c'est en moyenne, autant que la veille ou que ce samedi, dernier jour pour obtenir un rendez-vous. Léonard et Ana sont arrivés la veille de Nantes dans l'espoir de montrer leur projet de bande dessinée de science-fiction. Pour leur première participation au festival, ils reconnaissent s'être laissés surprendre par le fonctionnement de la machine FIBD. "On n'avait pas eu l'information que les rencontres se faisaient ici. On s'est d'abord présentés à la bulle centrale, pensant faire le tour des éditeurs. On a laissé notre numéro, mais les gens étaient déjà trop occupés pour nous écouter", raconte Léonard, dépité.
On n'a même pas pu déposer notre dossier pour les rencontres Jeunes talents
LéonardAuteur de bande dessinée
Tous les deux fondaient beaucoup d'espoir sur la journée dont ils disposaient à Angoulême. "On est finalement arrivés au pavillon Jeunes talents, mais les pré-sélections étaient déjà engagées et on n'a même pas pu déposer notre dossier." Tous les deux sont repartis avec le sentiment d'une "journée pour rien". "On avait l'habitude de Quai des Bulles à St Malo où tout est au même endroit. C'est beaucoup plus simple."
Léonard fait pourtant partie de ces jeunes auteurs publiés, mais par une petite maison d'édition. Il est l'auteur d'Angie's Taxi, dont deux volumes sont déjà parus chez Silenium créations.
L'organisation du festival reconnait en off que le fonctionnement de ces rencontres entre jeunes talents et professionnels est loin d'être satisfaisant. Pourtant, il a permis de réelles rencontres.
De toute l'Europe
Emanuele Mancini sort tout juste de son entretien en tête-à-tête avec un éditeur parisien, la mine réjouie. "L'éditeur a montré de l'intérêt pour mon projet, mais m'a demandé plus de temps pour le lire intégralement", explique-t-il en anglais. Il doit désormais le lui envoyer par mail. Emanuele est venu de Rome, en Italie, pour présenter son travail. À 42 ans, il est en pleine reconversion professionnelle. Après 15 années passées dans l'industrie musicale, il veut s'adonner à "sa passion", la bande dessinée. "J'ai repris des études dans une école de bande dessinée. Je suis encore novice, mais je suis un lecteur de toujours de BD." Pour son second déplacement à Angoulême, il a appris de ses erreurs des années passées où, lui aussi, n'avait pas obtenu de rendez-vous.
Venir à Angoulême, une évidence pour cet Italien. "Le marché de la BD en France est tellement plus vaste qu'en Italie ; il y a beaucoup plus de possibilités d'être publié, ici. Et surtout, à Angoulême, il y a cette chance d'échanger avec des éditeurs. C'est rare. En Italie, il n'y a guère que deux maisons d'édition de BD de taille, les autres sont toutes petites et ont à peine les moyens de publier. Ici, les maisons ont les reins plus solides, économiquement."
Dans la file des auteurs en devenir, on entend également de l'espagnol, signe de l'intérêt marqué de l'initiative, au-delà des frontières hexagonales.
>>> Retrouvez toute l'actualité du Festival sur notre page spéciale BD à Angoulême.
D'école d'art ou non
Tom Clément patiente dans l'allée devant l'une des salles que se partagent plusieurs grands éditeurs parisiens. "Je viens présenter un projet de livre-dont-vous-êtes-le-héros. Je vais voir trois éditeurs", explique-t-il. Cela fait à peine trois ans qu'il évolue dans le monde de la BD. Lui aussi est en reconversion professionnelle. Il a quitté le monde du casting au cinéma pour celui de la bande dessinée. "Le projet que je présente n'est pas terminé. Je montre 20 pages pour un livre qui en fera 250-300. Le récit est à vocation humoristique et l'illustration en pixels", explique-t-il, fondant beaucoup d'espoirs dans ces rencontres.
Un peu plus loin, devant une autre salle, Éléonore Joubrel, 23 ans, est venue de Lorient et patiente avec sa mère, professeure d'arts plastiques, qui l'accompagne. Elle n'a pas eu à faire la queue tôt ce matin. Éléonore fait partie des lauréats du concours Jeunes talents du FIBD et s'est vue proposer une rencontre par le festival. "Mon projet de BD est autobiographique et centré autour de mes souvenirs d'enfance lorsque j'ai été à deux reprises hospitalisée dans un hôpital pour enfants. À l'époque, l'hospitalisation m'avait permis de dessiner. Le dessin, aujourd'hui, me permet de me replonger dans ce vécu et de le raconter."
De cette épreuve "difficile", elle entend tirer du positif à destination d'un public adolescent et adulte. Dans son book, plusieurs planches sont terminées. D'autres sont à l'état d'ébauches. "Je continue ma recherche", explique la jeune femme, toujours étudiante en master d'art.
La démarche du festival interpelle sa mère, Tiphaine Laisné. Dans ses classes de collège et de lycée, elle aussi voit régulièrement émerger des élèves doués. "Sur mes 17 classes par exemple cette année, j'ai deux vrais talents. L'un de mes élèves de 4e, que je suis depuis la 6e, a un potentiel incroyable", explique-t-elle. "J'aimerais qu'il participe à ce type de dispositif, le concours de la BD scolaire par exemple."
Des projets numériques
Parmi les candidats pré-sélectionnés, certains viennent présenter des projets destinés à un support numérique.
À 19 ans, Loann Schwab, qui poursuit des études en faculté de psychologie à Bordeaux, est venue présenter un "web toon". "C'est un drame romancé", explique-t-elle. C'est son tout premier projet. Elle n'attend pas d'être immédiatement publiée, mais plutôt "des retours de l'éditeur" pour avancer.
Rama Rahim, elle, arrive de Marseille où elle est en troisième année à l'école de Condé, une référence dans la formation aux métiers de la BD. Elle s'est lancée dans "une autofiction autour de la vie de la troisième génération d'immigrés algériens en France". Au cœur de son travail, le drame de la guerre d'Algérie et tous les non-dits autour de ce conflit. Elle arrive avec des planches, ses personnages, un travail graphique terminé, mais un scénario encore appelé à évoluer. "C'est un projet que je porte depuis un an maintenant, raconte-t-elle avant sa rencontre avec un éditeur. Adviendra ce qui adviendra, Mektoub!", lance celle qui a terminé troisième du concours Jeunes talents du FIBD.
La recherche de pépites
Les entretiens s'étirent et prennent parfois du retard. Entre deux candidats, Adrien Vinay, éditeur chez Dupuis, explique que ces rencontres sont "au cœur du métier". "Comme éditeur, on est toujours dans la recherche de talents. Ici, c'est un exercice intéressant pour moi également, ça m'apprend à bien dialoguer avec un artiste", explique-t-il.
Il sait qu'il va dire 'non' à la plupart des candidats, mais que l'un d'entre eux sera peut-être "la pépite" à découvrir cette année, telle que, Aimée de Jongh (Soixante Printemps en hiver (éd. Dupuis)), découverte à Angoulême il y a quelques années. "Pour l'instant, j'ai dit non à tout le monde. Il y en a un qui me semble néanmoins à un niveau professionnel et qui m'a présenté quelque chose qui m'a paru intéressant." Cet auteur a ainsi obtenu le mail professionnel de l'éditeur, soit un contact direct avec lui.
Au-delà du 'non', l'une des paroles à revenir le plus dans la bouche de cet éditeur à l'issue des entretiens, c'est "retravaille, reviens l'année prochaine, renvoie-moi ton projet". Un encouragement à ne pas abandonner.
>>> Retrouvez toute l'actualité du Festival sur notre page spéciale BD à Angoulême.