Reportage : "Le problème, c'est le pouvoir d'achat, pas la présidentielle"

Après deux années de pandémie, comment les Français.es appréhendent-ils.elles les élections présidentielle et législatives d'avril et juin ? Ruffec, en Charente, vit grâce à un gros réseau de TPE. Dans la commune, artisans et commerçants restent préoccupés par la pérennisation de leur entreprise dans le monde d'après. #MaFrance2022 : SERIE 1/3

Société
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"C'est hyper bizarre, lâche Fabien Guilbaud, boulanger à Ruffec (Charente). On a bien travaillé pendant le Covid (les différents confinements, ndlr). Mais les gens ont pris de nouvelles habitudes. Par exemple, ils ne passent plus tous les jours prendre leur pain mais tous les deux ou trois jours." Après deux années marquées par la pandémie, l'activité économique a repris. Mais, au quotidien, les commerçants de cette ville de 3.372 habitants* prennent encore conscience de tout ce qui a changé.

Le café du matin

Sur la place principale, où se trouve une première ligne assez dense de commerces, Nicolas et Chérifa Vallade du Bistrot central, dressent un constat similaire. "On ne voit plus le petit café du matin, par exemple", expliquent-ils. "Les gens le prennent chez eux." L'été dernier, "cela s'est moins vu, on avait la terrasse et les gens avaient envie de sortir", mais, "avec l'hiver, ils ont peur de sortir", notent-ils.

"Ici, quand les gens finissent leur travail, ils rentrent chez eux. Et, c'est de plus en plus tôt. Il y a moins de passage", poursuit Nicolas Vallade. Pourtant, son établissement, qui fait restaurant le midi, ne désemplit pas. "Les gens ont gardé cette habitude-là, du déjeuner. Mais là encore, c'est revenu petit à petit." 

Un système de compte à la boulangerie

Dans sa boulangerie, Fabien Guilbaud a tenté d'ajuster sa pratique commerciale aux attentes de ses clients. Il a ouvert un système de compte. "Ça permet aux gens d'éviter les contacts, de moins traîner dans le magasin. Ils passent la porte, prennent leur commande et s'en vont." Plus de temps perdu pour les paiements. Ils se font désormais en une seule fois, en fin de semaine ou de mois. Plusieurs dizaines de personnes en ont ouvert un. 

Je me préoccupe plus de savoir comment m'occuper de mon activité professionnelle que de l'élection présidentielle.

Fabien Guilbaud, boulanger à Ruffec

Son souci principal, qu'il partage au quotidien avec sa femme, reste très éloigné des enjeux des prochaines élections, présidentielle et législatives. "J'ai plus en tête de savoir comment m'occuper de mon activité professionnelle."

En cette matinée de semaine, les clients défilent. Une maman achète sa baguette et une chocolatine pour son fils qui l'accompagne. Sous son bras, une boîte d'autotests. Elle ne tarde pas. Un homme plus âgé passe le pas de la porte. Avant qu'il ait eu le temps de dire bonjour, Fabien se retourne, saisit une boule de campagne et la tranche. "Voilà, chef !" Un petit mot est échangé sur la performance de l'équipe de rugby masculine de Ruffec. "Ils sont toujours 4e, c'est ça hein ?" Derrière son comptoir, Fabien lui lance que "Oui !"  et l'homme repart. Il paiera plus tard. Il fait partie des habitués qui ont ouvert un compte.

"Comment sentez-vous vos clients ?" 

Fabien n'hésite pas dans sa réponse : "Je les sens bien à cran. Les gens sont travaillés, en colère. Pas contre nous, bien sûr. Mais parce qu'on est là, en face, ça se déverse sur nous. Il y a des propos véhéments."

L'approche des élections n'y est, selon Fabien Guibaud, pour rien. "Cela fait seize ans qu'on est là. Il n'y a pas besoin d'être proche d'une élection pour entendre la colère. À la moindre décision prise, les gens réagissent vivement." En bien ou en mal, c'est selon.

Au marché, de "petits budgets"

Le lendemain, un mercredi, est jour de marché à Ruffec. Les halles sont peu garnies. Le samedi est beaucoup plus fréquenté qu'en semaine. Julie Joubert-Rippe termine d'installer son stand à l'extérieur. Elle est maraîchère, à son compte, et vend sa production ici deux fois par semaine.

"Professionnellement, c'est compliqué", lâche-t-elle. Elle aussi constate des habitudes de consommation bouleversées par la pandémie. "Les gens ne sortent plus comme avant. Même l'été, les habitués ont continué de venir mais pas les touristes. Les gens de passage, on ne les a pas eus, alors qu'ils consomment." Elle estime cette perte de fréquentation à 25% de son chiffre d'affaires estival. 

Là où il faut le pass sanitaire, les gens ne viennent plus.

Julie Joubert-Rippe, maraîchère près de Ruffec

La période actuelle lui laisse "un mauvais sentiment". "Là où il faut le pass sanitaire, les gens ne viennent plus. Comme beaucoup de maraîchers n'ont pas leur pass sanitaire non plus, il y a moins de monde sur les marchés."

Elle regrette de devoir l'admettre mais le problème principal auquel elle fait face, "c'est le pouvoir d'achat des gens". Elle ne parle pas de la consommation de loisir mais bien de celle du quotidien, pour se nourrir. Dans le nord Charente, elle sait que l'essentiel de ses clients ne dispose que de "petits budgets"

Au même moment, un monsieur s'approche et demande un kilo de pommes de terre. Ce sera tout pour ce mercredi.

Si pendant les confinements, "les revendeurs ont eu droit aux aides, nous, les maraîchers, on n'a rien eu. Moi, je n'ai rien eu. Et, les gens se sont rués sur les supermarchés, pas sur les marchés de centre-ville." 

Sa manière de s'adapter a été de limiter sa production de légumes pour "arriver à l'écouler".

Quant aux élections d'avril et juin, elle reconnaît n'avoir "aucune attente" ni "aucune envie". À tel point qu'elle prend soudainement conscience que cela fait bien "deux ou trois ans" qu'elle ne s'est pas intéressée aux infos.

"Si on nous proposait vraiment quelque chose qui aiderait les gens, pas quelque chose de superficiel, mais quelque chose de concret, ça me ferait changer d'avis", indique-t-elle, comme pour suggérer que la porte n'est pas totalement refermée.

Le quoi qu'il-en-coûte a servi, au moins à mon niveau. Fallait certes pas s'écarter des clous. Car maintenant, les charges tombent.

Nicolas Vallade, restaurateur à Ruffec

Au Bistrot central, Chérifa Vallade reconnaît, qu'elle non plus "n'attend rien". "On subit ce brouillard. On nous le fait subir car (nos politiques) n'ont pas trouvé d'autre solution." Nicolas pointe néanmoins les bienfaits du 'quoi-qu'il-en-coûte' présidentiel. "Il a servi, au moins à mon niveau. Fallait certes pas s'écarter des clous. Car maintenant, les charges tombent."

Fabien Guilbaud reste, lui, attentif aux débats. Ses attentes ? "J'en parle souvent avec ma femme, reconnaît-il. Je dis que je vote dans l'espoir de... Mais je me rends compte que 'C'est bien l'espoir...'. Ça n'avance pas plus que ça, mais je vote..."

Si l'activité économique est effectivement repartie après les périodes de confinement, Jean-Marie Pourageaud, gérant du garage Autoforum de Ruffec et vice-président de la CCI de la Charente, sait qu'au-delà du premier employeur de la ville (500 emplois au Centre Leclerc), la ville tient grâce à son réseau de petites entreprises (TPE) : des artisans, des commerçants.

Ruffec, un tout petit territoire, mais avec un devenir.

Jean-Marie Pourageaud, vice-président de la CCI de la Charente en charge du commerce

"La force de Ruffec, c'est qu'il y a beaucoup d'emplois, note-il d'emblée. La ville est petite mais il y a beaucoup de petits entrepreneurs qui font travailler des gens qui viennent de la périphérie et qui consomment à Ruffec. Le centre-ville continue d'exister avec les zones périphériques qui se développent. De mon point de vue, il faut les deux pour qu'une ville se maintienne. (...) C'est un tout petit territoire mais, avec un devenir."

Il identifie comme enjeu de "garder et capter les flux de gens qui viennent travailler sur le secteur". La zone de chalandise s'étend sur près de 40 kilomètres autour de Ruffec, loin des grands pôles régionaux de Poitiers, Niort et Angoulême. Ce qui implique, pour lui, de "travailler la signalétique qui permet de mieux irriguer le centre-ville situé à l'écart du nouvel axe de la Nationale 10", qui pendant longtemps a traversé Ruffec. Mais ça, c'était encore un monde avant.

*Chiffre du recensement de 2019

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