PORTRAIT. À Rouillac, dans la Charente rurale, il dédie sa vie à la culture

L'emblématique directeur de l'association La Palène à Rouillac, Joël Breton, s'apprête à tirer sa révérence. Alors qu'une nouvelle saison commence au "Vingt-Sept", l'espace culturel charentais, ce samedi, retour sur près de quarante ans de combat pour un art engagé dans la France des villages.

Certains habitués du festival des Sarabandes garderont pour toujours des souvenirs émus de produits distillés et partagés tard dans la nuit dans le chai de David Ramnoux, vigneron de Mareuil. D'autres, des conversations enflamées et tout aussi tardives dans les lumières tamisées d'une exposition d'art contemporain dans un jardin de Gourville ou de Saint-Genis d'Hiersac. Joël Breton en était, évidemment, comme toujours. Pourtant, le lendemain matin, dès potron-minet, il savait qu'il fallait être sur le pont pour orchestrer ce joyeux désordre qui, tous les ans, investit un nouveau village grâce à l'enthousiasme de centaines de bénévoles du Rouillacais. Qu'importe...

Depuis 25 ans, cet homme-là, avec ses très soignées rouflaquettes, a réussi à faire venir à Rouillac, sur la scène du "Vingt-Sept", Alain Souchon, Christophe, Nina Hagen ou les Têtes Raides. Cette année encore, Christophe Alévêque, un habitué, est de retour en Charente, ainsi que Grand Corps Malade ou Thomas Fersen. C'est la dernière programmation made in Breton. Enfin presque.

"La programmation du festival, il faut au moins deux ou trois ans à mon remplaçant pour se l’approprier, explique Joël. C’est très lourd de s’occuper de La Palène et des Sarabandes. Moi, je reste jusqu’en juin 2022 donc la programmation du Vingt-Sept sera déjà bien entamée et on organisera une sorte de passage de témoin".

Ça m’intéressait de prouver que la ruralité avait autant besoin et autant les capacités d’aller dans les salles de spectacles qu’ailleurs.

Joël Breton, directeur de l'association culturelle rouillacaise

C'est que ce fils d'agriculteur tourangeau l'a bien méritée sa retraite. S'il avait bien tenté d'amadouer quelques chèvres du côté de Montauban au début des années 80 d'un autre siècle, c'est bien la culture, la musique, le spectacle vivant qui vont écourter ses nuits et rallonger ses journées de travail. Ça commencera avec un vieux garage désaffecté à Tours qui deviendra un café-théâtre, Le Bateau Ivre. Puis, de fil en aiguille, va se créer le festival Le Chainon Manquant et  le réseau éponyme qui rassemble aujourd'hui plus de 300 professionnels dans le secteur culturel français. La gauche est au pouvoir et les saltimbanques en profitent.

Direction Rouillac

En 1997, on propose à Joël Breton un défi comme il les aime : monter un espace culturel dans un village de 3.000 habitants, Rouillac, en Charente. "Je suis arrivé alors que la salle était en construction, six mois avant la fin des travaux, se souvient-il comme si c'était hier. C’était un lieu pilote à l’époque parce qu’il n’y avait aucune structure culturelle en milieu rural. Ça intéressait l’État de voir si c’était viable de développer un réseau dans les villes de moins de 10.000 habitants en France. Et moi, ça m’intéressait de prouver que la ruralité avait autant besoin et autant les capacités d’aller dans les salles de spectacles qu’ailleurs".

Le maire de l'époque est ravi mais devra faire plus amples connaissances avec le trublion de culture avant de complètement saisir le concept. L'édile imaginait que sa nouvelle salle allait accueillir de grands spectacles parisiens "vus à la télé" et des stars du petit écran. "Ça fera venir les gens", pensait-il. "Moi, d’emblée, je lui ai dit : 'Ben, tu sais pas ? On va faire exactement le contraire ! On va commencer à aller dans les fermes et après on verra'", rigole encore le programateur. 

Les Sarabandes

Non loin de là, à Saint-Cybardeaux, le site du théâtre gallo-romain, n'attendait qu'un Joël Breton pour reprendre vie. Le premier festival des Sarabandes des Bouchauds va donner le ton d'un quart de siècle de créations artistiques dans la campagne charentaise. "J’ai dit aux viticulteurs du coin que j’avais besoin d’eux au mois de juin pour une histoire de parcours de nuit en tracteur dans la campagne et une vingtaine de barjots ont dit banco. Je suis fils d’agriculteur et ça, ça change tout. Ils savent que tu fais partie des leurs. Comme je dis toujours, il faut commencer par aimer les gens." 

L’État était présent dans l’aménagement culturel du territoire jusqu’en 2008, date à laquelle il a été décidé de supprimer la direction du développement territorial, une direction du ministère de la culture très importante. 

Joël Breton, directeur de l'association culturelle rouillacaise

Le festival partira ensuite en itinérance dans une douzaine de villages du canton. Tous les ans, les habitants ouvrent les portes de leurs jardins et accueillent des artistes pendant que tout le bourg est en ébullition de musique et de théâtre. Tout ça pour finir dans le chai de David Ramnoux à Mareuil à trois heures du matin... Pendant ce temps-là, au Vingt-Sept, concerts et spectacles s'enchaînent pour le plus grand plaisir d'un public désormais fidèle. 

Malgré tout, il faut toujours se battre. "L’État était présent dans l’aménagement culturel du territoire jusqu’en 2008, date à laquelle ils ont décidé de supprimer une direction du ministère de la culture qui était très importante, la direction du développement territorial, déplore Joël. Jusque-là, on était conventionné par l’État au même titre qu’une scène nationale. On a donc commencé à perdre du soutien et donc de l’argent". Crise oblige, les collectivités locales aussi commencent à renacler à "payer pour de la culture".

Le monde change, le métier aussi. "En parallèle, sont apparues de nouvelles formations et d’écoles de gestion d’entreprises culturelles et beaucoup de postes de directions de structures ont été pris par ces nouveaux diplômés qui étaient plus formés à une gestion administrative que nous qui venions du milieu engagé de l’éducation populaire, constate le futur retraité. Ils sont peut-être, plus enclins à répondre aux attentes d’élus avec une vision, disons, plus 'populiste' de la culture. C’est un mouvement général."

Crise sanitaire

Et puis, il y a eu la crise sanitaire. Un coup d'arrêt dont on ne mesure pas encore tous les effets dans les salles de concerts et de spectacles. Joël Breton est inquiet : "Ces deux années qui viennent de se passer ont fait que les gens se sont un peu renfermés sur eux-mêmes. Il y a un gros travail à faire mais on n’a pas beaucoup d’armes." Qu'importe ! Samedi soir donc commence une nouvelle saison pour toutes les équipes de La Palène. À Rouillac et dans les environs, on n'en peut plus d'attendre.

Reportage de François Bombard, Stéphane Bourin, Aurélie Grignard et Christophe Pougeas sur le spectacle de la compagnie Dona Mezkal, donné en soirée d'ouverture de saison, samedi 25 septembre :

"C’est une programmation particulière. On a deux tiers de reports de créations et de spectacles qui avaient été annulés comme Dona Mezcal qui, samedi, sera donné pour la soirée d’ouverture (voir le reportage vidéo ci-dessus). Et puis il y a un bon nombre de compagnies qu’on avait croisées par le passé et qu’on avait envie d’aider après la crise du Covid".

Solidarité, un maître mot dans ce long combat pour la culture en milieu rural. "J’ai de quoi m’occuper pour ma dernière année !", nous confirme Monsieur Breton. On n'en doutait pas. Rendez-vous au chai pour qu'on en recause un de ces soirs.

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