Rencontre avec Sonia Matossian, l'âme du château de La Rochefoucauld

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Écrit par Yann Salaün

C'est sûrement un des plus beaux châteaux de France, mais c'est beaucoup plus que cela pour la mère de l'actuel duc de La Rochefoucauld. Sonia Matossian a dédié sa vie à la préservation de ce lourd héritage familial.

"J'adore mon château !" Confortablement installée dans un canapé couleur framboise, le port altier dans une sobre robe de soie d'influence asiatique, Sonia Matossian est intarissable sur l'histoire de sa famille et sur l'oeuvre de sa vie, "son" château. Cette ancienne attachée de presse d'origine arménienne a longtemps vécu en Egypte. Mais au mitan des années 80, elle a posé ses bagages en Charente avec une idée fixe : restaurer le plus beau château de France.

Tous les ans, près de 30 000 visiteurs viennent admirer ce fleuron de l'architecture française. A ses pieds, coule la Tardoire et, avec un peu d'imagination, on pourrait encore voir poindre à l'horizon les étraves des Vikings qui ne venaient pas toujours avec les meilleures intentions. En montant les cent-sept marches de l'escalier hélicoïdal dessiné, parait-il, par Leonard de Vinci, on n'oubliera pas de lever les yeux vers la voute pour y apercevoir, gravée dans la roche, la salamandre de François 1er. 

Si vous êtes chanceux, Sonia Matossian vous fera peut-être visiter la salle des encyclopédies, une des nombreuses bibliothèques de l'édifice qui regroupe plus de 20 000 livres précieux. Bien sûr, l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert est une première édition frappée des armoiries de la famille sur la couverture. Mais si la maîtresse des lieux assume sans problème ce lourd héritage, c'est, comme ses aïeux, vers l'avenir que se porte son regard malicieux.

Conseillée par Jackie Kennedy, elle était entrée en contact avec l'architecte sino-américain Pei à la fin du siècle dernier. Celui qui avait dessiné la pyramide du Louvre a eu un coup de coeur pour le château de La Rochefoucauld. Pour Sonia Matossian, son projet d'un donjon de verre s'inscrit parfaitement dans la longue histoire du bâtiment. Rencontre avec une passionée d'histoire et d'architecture.

La Rochefoucauld, une histoire de famille millénaire

"C’est surtout pour chasser les vikings que Foucauld, le jeune frère d’Aldebert qui était lui-même le petit-fils de Charles Le Chauve, a construit un camp sur un rocher pour les voir arriver de loin, à côté d’une rivière car ils arrivaient sur leurs Drakkars. Il a appelé ce camp « Fucaldus in rupe », la Roche à Foucauld. Et nous sommes là depuis plus de mille ans et mon fils est la 43ème génération de Foucauld de La Roche à être propriétaire de ce lieu. Evidemment il a été transformé au travers des époques et ce qu’il y a de merveilleux, c’est qu’à chaque époque, ils transformaient selon le goût du jour et quelque fois en avance sur leur époque, mais jamais en retard. Jamais ils ne regardaient en arrière. On aurait pu  avoir des châteaux appartenant pendant aussi longtemps en France à une même famille, mais ils ont tous vendu. Moi, je trouve ça très choquant de vendre le château qui vous appartient depuis mille ans. Je trouve qu’on n’a pas le droit parce que cela fait partie du patrimoine personnel et du patrimoine national. On n’a pas le droit de refuser quelque chose qui vous est peut-être un peu imposé, mais un si beau patrimoine et une si belle occasion d’améliorer les choses… Je prends mienne la phrase de Bertold Brecht qui dit que « toute chose appartient à qui la rend meilleure » et comme j’ai beaucoup travaillé pour que ce château redevienne ce qu’il est, alors il est à moi. C’est aussi simple que ça".

La passion d’une vie

"J’adore vivre dans mon château. Je ne rêve que d’une chose, c’est d’avancer et de le terminer car, évidemment, il y a encore des tas de choses à faire. L’Etat français, le ministère de la culture, les affaires culturelles ont été extraordinaires avec nous, ils ont été très très généreux et à chaque fois que je demandais quelque chose il disait oui. Je me demande d’ailleurs toujours pourquoi… Ils nous ont toujours aidés à remonter ce château. Quand je suis arrivé, c’était une ruine en 1985. Le donjon était tombé et il avait entraîné tout le château avec lui, c’était une catastrophe. Ni eau, ni électricité, ni le téléphone bien sûr. J’ai dormi par terre sur un matelas pendant des années avec des spaghettis dans une casserole sur un réchaud et je trouvais ça extraordinaire".

Les fantômes de La Rochefoucauld

"Il y a quelque chose d’exceptionnel dans ce château. Je ne sais pas très bien ce que c'est. Il est humain, il est charmant, on est bien dans toutes les pièces. On pourrait s’assoir partout et prendre un Lucky Luke et le lire et on se sent bien. On dirait que dans chaque pièce, on est accueilli par quelqu’un. Car forcément que ce château a des fantômes, mais ça il y a longtemps que je le sais. Je ne le dis pas trop fort parce que j’aurais tous les « paranormaux » qui me téléphoneraient en me disant qu’ils veulent filmer ici à quatre heures du matin ! Mais il est certain que je ne suis pas seule. Vous savez dans la vie, on travaille sur une œuvre de façon passionée et on arrive à 80% de la réussite. Les 20% qui restent, c’est quoi ? C’est la chance. Ça marche ou ça ne marche pas. Tout à coup, on est à un moment où on ne peut pas aller plus loin et il faut simplement que la chance nous sourit. Et chez moi, la chance m’a toujours souri. Donc forcément c’est parce que je ne suis pas seule. Les gens qui ont habité ici pendant mille ans se sont dit « tiens, elle revient reconstruire notre maison alors il vaut mieux s’en occuper ». Et ils s’en occupent".

Le projet de Pei

"En 1999, Ieoh Ming Pei a eu la gentillesse de venir visiter le château, il en est tombé amoureux,  et il a décidé d’ajouter sa marque sur le château et de construire le XXIème siècle. C’était possible car une partie du donjon s’était écroulé dans les années 60 et lui a voulu le terminer. Si vous remarquez bien dans son projet, on voit le verre qui ressemble à la pyramide du Louvre du côté extérieur dans les jardins, mais à l’intérieur on ne voit que le donjon tel qu’il était au XIème siècle. J’ai toujours pensé qu’il fallait suivre l’exemple des ancêtres et construire en avance sur son temps. Tout me plaît dans ce projet. Ieoh Ming Pei dit lui-même que c’est un projet pour la France car ce serait le seul château au monde qui aurait huit siècles d’architecture. Il n’y en a pas d’autres. Quand vous pensez à la Pyramide du Louvre, au départ, tout le monde hurlait au scandale et maintenant tout le monde le vénère. Il faut comprendre que Pei était en avance sur son temps et moi-même j’ai un peu l’impression d’être en avance sur mon temps. C’est quand même incroyable de penser qu’il ait décidé d’ajouter une aile au château. C’est tout à fait spectaculaire ! C’est quand même le plus grand architecte du monde qui a décidé d’ajouter sa patte à un lieu aussi beau avec des galeries et un grand escalier attribués à Léonard de Vinci. C’est un cadeau du ciel !"

 

 

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