40 jours enfermé dans une grotte : paroles d’un confiné volontaire

Damiel Jemelgo, un corrézien de 47 ans a participé au projet Deep Time. Une expérience scientifique unique qui a plongé 7 femmes et 8 hommes dans la grotte de Lombrives en Ariège, sans aucune notion de temps. 

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31 jours sous terre. Enfin, ça, c’est le temps que Damien Jemelgo a cru passer dans la grotte de Lombrives. En réalité, l’expérience a bel et bien duré 40 jours et 40 nuits. Alors quand il voit débarquer l’équipe venue signaler la fin de l’aventure, il est bouleversé.

« Ca a été un choc", détaille-t-il, "ce n’était pas possible, je ne voulais pas les voir". Lui, a compté 31 cycles au cours de l’expérience, l’une de ses équipières, seulement 23, preuve que, sans aucun repère, la notion de temps disparaît rapidement.

Le 14 mars dernier, Damien Jemelgo et 14 autres volontaires s’enfoncent dans les entrailles d’une grotte ariégeoise, aménagée pour l’occasion. Un projet lancé par Christian Clot, explorateur féru d’expéditions extrêmes et qui travaille sur la notion d’adaptation de l’être humain en toutes circonstances.

Autour de lui, une dizaine de chercheurs et leurs équipes ont pour mission d’explorer des champs aussi variés que les effets cognitifs, cardio-vasculaires, émotionnels, ou encore psychologiques d’un tel confinement.

Parmi eux, Stéphane Besnard, docteur en neurologie spatiale et enseignant-chercheur à l’INSERM, précise : " La question générale c’est pourquoi certaines personnes parviennent à s’adapter dans un environnement extrême, alors que d’autres vont craquer ? Deep Time est la première grosse expédition d’une longue série qui vise à répondre à cette question. Et les réponses pourraient par exemple, permettre de mieux préparer certains groupes d’interventions, chez les pompiers, les militaires, ou encore les participants aux futures expéditions lunaires. Et même, si on élargit, aux personnes qui vivront dans le futur, de grands bouleversements climatiques ou économiques".

Deep Time a donc pour but d’étudier la perte de repères temporels, l’adaptation de l’humain à une situation totalement nouvelle et anormale, et la capacité d’un groupe à fonctionner ensemble dans ces conditions inédites.

Quand on lui propose l’aventure, le corrézien Damien Jemelgo se dit que l’occasion ne se présentera pas deux fois. 

 Aller s’enfermer pendant 40 jours, c’est incroyable, unique. J’y ai vu la possibilité de me placer en retrait du monde, de ne plus avoir d’interaction avec la société, plus d’obligations non plus. C’était aussi une opportunité de me retrouver face à moi-même, d’explorer des sensations d’introspection. »

Damien Jemelgo

Sous terre, le cordiste de profession et ses équipiers ont de quoi s’occuper : fournir de l’électricité en pédalant sur des vélos, aller puiser de l’eau dans un lac souterrain, retirer les déchets, gérer les stocks de nourriture ... 

 Mais se répartir les tâches et vivre en groupe n’est pas si simple, car dès les premiers jours, les rythmes biologiques des uns et des autres se décalent. Une « désynchronisation » telle, qu’il y a toujours au moins une personne éveillée dans la grotte, et que parfois, lors des repas communs que le groupe tient à maintenir, certains mangent leur petit-déjeuner quand d’autres avalent leur dîner. "Nous ne devions surtout pas réveiller ceux qui dormaient" raconte Damien, "alors si j’avais une tâche à faire en binôme, et que l’autre dormait, je devais patienter. Ou passer à autre chose… "

Le corrézien a été particulièrement surpris de la perception qu’il pouvait avoir de ses propres phases de sommeil. " Parfois, j’avais l’impression d’avoir fait une grande nuit, de 8 ou 9 heures, de me sentir totalement reposé. Mais en arrivant au camp, notre lieu de vie, je me rendais compte que j’étais le premier levé. J’avais peut-être dormi 2 heures mais je ne me sentais pas fatigué. L’inverse a pu se produire aussi".

 Le chercheur Stéphane Besnard ajoute : "On a pu observer des profils très surprenants, avec des rythmes veille-sommeil complètement modifiés. Par exemple, une journée de 36 heures suivie d’une nuit de 20h. C’est très perturbant sur les plans physiologiques et cognitifs".

40 jours de confinement sous terre

Pendant 40 jours, les participants, âgés de 27 à 50 ans, se plient à un protocole scientifique : prises de sang ou encore électroencéphalogramme pendant le sommeil. Les nombreuses données et les centaines d’heures de vidéos qui ont enregistré les interactions entre les participants sont désormais analysées par les différentes équipes de chercheurs.

"L’idée, c’est de tout mutualiser", explique Stéphane Besnard. "En combinant les résultats de chacun de nos domaines, en établissant des corrélations, cela apportera une vraie puissance à cette expérience".  Le docteur en neurologie spatiale espère que l’ensemble des conclusions pourront être finalisées dans un an.

Si cette expérience unique intervient au coeur des confinements successifs liés à la crise sanitaire, ce n’est pas un hasard. Christian Clot, l’instigateur du projet, est justement parti de ce constat : « En voyant évoluer les résultats de l’étude COVADAPT que nous avons menée sur l’impact de la situation causée par la Covid-19, au fil des mois, un mot est apparu avec constance : désorientation. Plus de 40% des personnes en France et dans plusieurs pays du monde ont perdu de la notion du temps, la capacité de projection, la compréhension de leur monde. » écrit l’explorateur.

Loin des préoccupations scientifiques, Damien Jemelgo, lui, se délecte du soleil, de la lumière naturelle et des sonorités printanières de Chenailler-Mascheix en Corrèze. Et il a retrouvé son épouse, qui lui avait manqué. Aujourd’hui, il a repris un rythme de sommeil normal, ce qui n’était pas forcément le cas au sortir de la grotte : "J’avais parfois des réveils nocturnes, à 2 heures du matin. Je me sentais frais et pimpant". 

Un détail des premiers jours à la surface l’amuse : " Quand on est tous allés à Paris pour passer nos IRM, les scientifiques nous ont tous trouvés mous. Ils remarquaient un certain ralentissement dans notre façon de fonctionner, de parler ou même d’interagir avec les personnes extérieures".

A part les 10° degrés ambiants et les 100 % d’humidité de la grotte de Lambrives, Damien n’a pas trouvé l’expérience éprouvante. Au contraire. Deep Time a été une belle surprise pour lui.

Ce qui m’a le plus étonné, développe le Corrézien, c’est que le groupe fonctionne avec autant d’aisance. Alors que nous venons tous de catégories socio-professionnelles différentes, que nous avons tous des rythmes complètement différents, des visions de la vie différentes également, chacun a su écouter, être attentif et laisser de l’espace aux autres. C’est un bel exemple d’humains qui vivent ensemble. ça peut donner de l’espoir pour l’avenir

Damien Jemelgo

 

De l’espoir et des clés de compréhension de l’être humain que détailleront prochainement les scientifiques qui ont encadré ce confinement si particulier.

 

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