Steve Thompson et Alix Popham, victimes de troubles cérébraux, lancent une action en justice avec une centaine d'anciens joueurs britanniques contre la Fédération internationale de rugby. Le risque de commotion cérébrale est un sujet sensible, de mieux en mieux pris en compte.
Ils accusent World Rugby d’une mauvaise prise en charge des dangers liés aux commotions cérébrales : une centaine d’anciens joueurs de rugby britanniques ont décidé de porter plainte devant la justice. Selon leur avocat, ils n’ont pas été protégés face aux risques encourus.
Témoignages glaçants
Parmi eux, deux anciens Brivistes.
Le talonneur international anglais Steve Thompson a joué au CAB de 2007 à 2010. Aujourd’hui, il est atteint de démence précoce. Il a joué tous les matchs de la coupe du monde de 2003 en Australie, remportée par l’Angleterre.
Il explique au Guardian : "Je n'ai aucun souvenir d'avoir remporté la Coupe du Monde en 2003, ou d'avoir été en Australie", et il ajoute : "Sachant ce que je sais maintenant, j'aurais aimé ne jamais devenir professionnel".
Un autre ancien Briviste est également touché : c’est le gallois Alix Popham, corrézien de 2008 à 2011.
Il raconte à nos confrères du journal l’Équipe : "On m'a dit que mon cerveau était devenu comme un appareil photo sans pellicule. Il prend les photos, mais ne les enregistre pas."
Le rugby professionnel mobilisé
Une commotion cérébrale est une forme de lésion cérébrale, après une chute ou un coup sur la tête, qui peut entraîner une perte de connaissance.
Le rugby français a été secoué ces dernières années par la mort de plusieurs jeunes joueurs après des chocs pendant des matchs. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais le sujet fait de plus en plus parler.
Pour faire face, un "protocole commotion" a été mis en place, HIA en anglais pour « Head Injury Assessment », « Évaluation des blessures à la tête ».
Concrêtement, si un joueur reçoit un choc, on le fait sortir du terrain et il doit réaliser des tests, avec un score très précis.
On regarde s’il y a eu une perte de connaissance, une perte de mémoire, un regard errant, ou encore des propos confus. On compare les résultats à une évaluation réalisée en début de saison.
Évidemment, le joueur peut être amené à arrêter le match.
Pas de pressions
L’actuel médecin du CA Brive, Jérémy Bernard, nous explique que, s’il y a commotion, le joueur doit également consulter un médecin dans les 48 heures, et il est arrêté pendant six jours. Après une deuxième commotion dans la saison, c’est trois semaines d’arrêt, et la troisième fois, trois mois.
Est-ce que la pression du match pourrait pousser un coach à vouloir garder un joueur sur le terrain ?
Jérémy Bernard est catégorique : "Dès qu’un joueur a une commotion et qu’il ne se sent pas totalement apte, il ne reprend pas le jeu. Tout est cadré, les règles sont claires. L‘entraîneur n’aura aucune pression sur moi."
Une évolution encourageante ?
Guillaume Gerbaud, médecin du sport à Limoges, est catégorique : il voit en consultation des joueurs qu’il n’aurait pas reçus il y a cinq ans. Pour lui, "Il y a une prise de conscience, avec le protocole commotion et le Carton Bleu."
Le carton bleu permet à l’arbitre de faire sortir un joueur qui présente des signes de commotion cérébrale.
La Ligue nationale de rugby a publié en 2019 un rapport qui montre une diminution des cas en Top 14 : le nombre de commotions cérébrales avérées était en effet de 69 lors de la saison 2018-2019, 91 lors de la saison 2017-2018, et 103 en 2016-2017.
Cela peut s’expliquer par une plus grande sévérité des arbitres, des règles de placage plus sûres, ou encore le développement de la vidéo.
Selon Guillaume Gerbaud, la prévention peut se faire au niveau du jeu, avec des règles qui favorisent les évitements plutôt que les chocs. Il faut aussi éviter le sur-accident : "Il ne faut surtout pas rejouer, car plusieurs commotions dans un temps court peuvent avoir de très graves conséquences."
Un enjeu de santé publique
Comme pour les deux anciens joueurs brivistes, le danger de la commotion cérébrale est notamment l’apparition d’une encéphalopathie traumatique chronique, qui provoque une détérioration intellectuelle, avec des troubles de la mémoire.
Guillaume Gerbaud explique : "Le risque, c’est la démence, le fait de finir sénile, avec des tremblements".
Le danger est aussi psychique : "Les plaignants sont conscients de leur trouble. Et ils sont aussi gênés par le bruit, par la lumière…"
Et le sport amateur ?
Le problème se pose aussi sur les terrains moins exposés. Même avec de plus petits gabarits, les chocs sont bien là.
Une joueuse de la région témoigne : "Il faut moins qu’un tank pour faire une commotion". Et elle constate : "Si personne n’est là pour dire qu’une joueuse doit sortir, elle reste sur le terrain."
Le docteur Christian Faure, qui s’occupe notamment de joueurs de l’USA Limoges, voit tout de même une amélioration : "Les joueurs sont plus vigilants entre eux, les familles aussi, car on a vu ce qui se passe dans le football américain..."
Même constat pour Guillaume Gerbaud : "Des évaluations, j’en fais plus chez les amateurs que chez les pros. Un gros travail d'information a été fait. Mais il faudrait plus souvent aller voir les coachs, pour ressensibiliser, dire pourquoi c’est grave."
Cette prise de conscience semble avoir d'autres conséquences positives : après plusieurs années de baisse, la Fédération française de rugby vient d’annoncer une légère hausse du nombre de licenciés en France.
L'enjeu, c'est aussi l'avenir du rugby.