C'est le trou dans la raquette des dispositifs d'aide gouvernementaux : les jeunes commerces installés depuis janvier 2020 pâtissent fortement de la crise et ne peuvent pas forcément bénéficier du fonds de solidarité. A Guéret une aide spécifique va leur être dédiée. Témoignage de deux commerçants.
Un trou de deux mois dans le prévisionnel avec un chiffre d'affaire égal à 0 : Ils n'avaient évidemment pas prévu ça dans leur plan de financement. Elodie Soulé venait de reprendre la libraire "Les Belles images" le 3 mars 2020. Alexandre Fourgeau-Piquand s'est installé en tant que maître artisan fleuriste le 25 janvier 2020. Deux jeunes commerces menacés de disparition sans avoir pu faire leurs preuves. Prenant la succession de Anne Tingaud, la libraire était pourtant sûre de conserver une clientèle fidèle à cette institution guéretoise. Le jeune fleuriste quant à lui a fait le plein lors de la Saint-Valentin et a aussi conquis rapidement les clients.
En mars j'ai fait moins 80% de chiffre d'affaire par rapport à ce que ma prédécesseure avait fait l'an dernier. Normalement il y a beaucoup de travail avec les commandes des collectivités. En avril, j'ai un peu travaillé avec le drive que j'ai mis en place mais c'est presque symbolique. Ça sert à payer les factures et surtout à maintenir le lien avec la clientèle, à montrer que j'existe encore, explique Elodie Soulé
Pendant le confinement les deux commerçants continuent à assumer des charges importantes. Les loyers évidemment, internet, l'eau, l'électricité et le gazJe n'ai plus de trésorerie du tout. Au bout d'un mois tout est parti. J'ai dû jeter 3 000 euros hors taxes de marchandises. Heureusement que j'ai le soutien de ma famille et celui de mes clients qui s'est manifesté assez rapidement. Ça me donne le force de résister, avoue de son côté Alexandre Fourgeau-Piquand.
Il y a les fournisseurs, tout ce qui a permis de lancer le commerce, le système informatique qui n'a pas fait de cadeau, tout était prévu dans le fond de roulement, mais sans rentrée d'argent il s'amenuise, confie Elodie Soulé
J'ai réussi à négocier avec ma banque pour décaler le remboursement de mes échéances de prêt, mais la TVA et le loyers doivent être payés. Mon propriétaire est un particulier et je comprends bien qu'il a besoin de cette entrée d'argent. L'URSSAF c'est pareil je m'attends à devoir payer prochainement entre 900 et 1 000 euros, témoigne Alexandre Fourgeau-Piquand
Le souci pour ces jeunes commerces vient évidemment de leur manque de trésorerie (même si certains commerces plus anciens n'en avaient pas plus). Mais surtout, ils ne sont pas éligibles à certaines aides issues du fonds de solidarité lancé par l'Etat et les régions.
J'ai pu bénéficier des 1500 euros qui m'ont permis de payer mon loyer et mes charges mais pas des autres aides car il fallait soit justifier d'un chiffre d'affaire d'un an ou avoir un salarié et ce n'est pas mon cas. Les autres aides sont des avances remboursables et je ne préfère pas y avoir recours. C'est reculer pour mieux sauter, j'aime autant tout payer tout de suite, affirme le fleuriste
C'est un peu difficile de rentrer dans les clous des aides en fait. Il y a le fond de solidarité, mais c'est vrai que quand on vient de créer son entreprise ce n'est pas évident. Moi j'ai encore de la chance car c'est une reprise d'entreprise. J'ai quand même les chiffres d'affaire des années précédentes comme repère pour se rendre compte de la perte qui est de quasiment 100% , explique de son côté la libraire qui ne sait pas trop encore à quoi s'en tenir.
C'est donc spécifiquement pour aider ces jeunes commerces que l'agglomération du Grand Guéret a décidé de faire voter une subvention de 60 000 euros dédiées aux structures ouvertes depuis le 1er janvier 2020. Une aide qui pourra être étendue par la suite peut-être à ceux ouverts depuis 2019 en fonction des besoins. C'est un apport de trésorerie direct et non remboursable.
Un bon coup de pouce pour Alexandre Fourgeau-PiquandNous avions conscience que les commerces lancé à partir du 1er février 2020 passaient au travers des mailles du filet et n'étaient pas éligibles aux aides. Nous avons donc pris le 1er janvier 2020 comme base. Les autres critères sont encore à l'étude mais cette aide devrait concerner une vingtaine de commerces et d'artisans de proximité. L'enveloppe pourrait augmenter car plusieurs maires de l'agglo ont déjà fait savoir qu'ils souhaitaient participer un peu plus. Nous souhaitons aller le plus vite possible, il s'agit de prendre un arrêté pour que les aides soient versés au mieux courant mai, explique Eric Corréia le président de l'agglo
Une aide très attendue par la libraire aussi même si elle attend d'en savoir plus.Vu que je n'ai plus de trésorerie, cette aide, même si je n'en connais pas encore le montant, va me permettre d'acheter mes premières marchandises. J'avais fait une énorme commande de boites pour la fête des mères. J'ai de la chance, elle est arrivée car elle est produite en Corrèze mais il a bien fallu la payer et pour financer mes premières marchandises puisqu'on recommence à zéro cette aide va être bien utile
Désormais, pour les deux commerçants, c'est le branle-bas de combat pour le 11 mai.
Un gros coup de poker pour le fleuriste pour qui la fête des mères se profile. Elle constitue théoriquement près de 50% de son chiffre d'affaire annuel. Si cette fête est réussie, la survie du commerce est possible.
Pour s'adapter, il va lancer prochainement un site internet. Sa boutique étant trop petite pour accueillir plus d'une personne, il va falloir totalement changer la formule. Il postera des photos sur le site et via un système de clic et collecte, il suffira de venir chercher sa commande.Je ne savais plus quoi faire, continuer ou tout arrêter avant qu'il y ait trop de problèmes. J'ai déjà raté les ventes de printemps, les messages de mes clients m'ont reboosté donc je relance une dernière fois. Je vais tout donner pour la fête des mères. J'ai déjà confectionné près de 500 articles. Si ça ne marche pas ça va être très compliqué, constate, plein d'espoir, le fleuriste
Elodie Soulé de son côté appréhende un peu la suite. Elle devait embaucher quelqu'un à temps partiel pour l'aider à partir de la rentrée littéraire de septembre et pour Noël. Une embauche à laquelle elle va très certainement devoir renoncer à cause de la crise. Le couperet du bilan de fin d'année risque d'être cruel. Malgré tout, le 11 mai, elle le vit comme une deuxième ouverture.
Frustrés par le confinement, les clients vont certainement se précipiter pour pouvoir enfin profiter de ses conseils de lecture.C'est un peu curieux. Le 3 mars c'était une préouverture en fait et j'ai la sensation que je vraiment ouvrir le 11 mai. Je suis en plein bricolage je fais rentrer des livres. En fait j'ai le stress d'une ouverture