Les médicaments à base de cannabis ont été autorisés en France par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) en 2024. La mise sur le marché est prévue en 2025, mais plusieurs étapes, dont la consultation européenne, restent à franchir. Si en Creuse certains espèrent la mise en place d’une filière agricole industrielle, d’autres sont découragés par son coût de production.
"On n’est plus dans une perspective d’entrée réelle dans le droit commun début 2025, mais plutôt dans une perspective d’une prolongation de l’expérimentation, car les textes d’application ne sont pas encore publiés", explique Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand. Le professeur préside le comité scientifique pour l'expérimentation française de l'accès au cannabis à usage médical. Selon lui, une entrée effective dans le droit n’est pas possible pour le début d’année 2025 mais "peut-être" pour la fin de l’année.
Depuis le 27 mars 2024, aucun nouveau patient ne peut entrer dans l'expérimentation. Seuls ceux qui étaient inclus avant cette date peuvent continuer à bénéficier de prescriptions et délivrances de médicaments à base de cannabis. "Un amendement a été déposé aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour que l’expérimentation soit prolongée a minima pour les patients traités. Pour que ça ne s’arrête pas (pour eux ndlr)", ajoute-t-il.
Le CH de Guéret dans l'expérimentation
Si les travaux sur le cannabis à usage médical ont commencé en septembre 2018 par la création d’un comité scientifique pluridisciplinaire, c’est en octobre 2019 que l’Assemblée nationale a donné son feu vert à une expérimentation de l’usage du cannabis médical. Le premier patient a été inclus le 26 mars 2021 et depuis des établissements de santé français, dont le CH de Guéret, ont rejoint cet essai. Au total, des milliers de patients participent à ce test en France.
Cette expérimentation vise à évaluer la faisabilité de la mise à disposition sécurisée d’un médicament à base de cannabis en France.
L’expérimentation n’a pas été faite pour évaluer l’efficacité du cannabis mais pour s’assurer qu’il y avait une sécurité optimale dans la délivrance du cannabis. Et s’il peut être dispensé par les pharmaciens de manière sécurisée.
Marlène Amilhaud-Bordiermédecin algologue, à la consultation douleur du CH de Guéret
Selon le président du comité scientifique, les rapports d’évaluation - toujours en cours - sur deux ans, mettent en lumière des résultats positifs. La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) l’a validé en 2024. Reste désormais aux textes à être consulté au niveau européen afin que les arrêtés et les décrets d’application puissent déclencher la mise en œuvre des médicaments. Initialement programmée en début d’année 2025, elle devrait être retardée, mais aura bien lieu.
Une aubaine pour la Creuse ?
Il y a un siècle, la Creuse était le premier producteur français de chanvre industriel. Dans le département, aujourd’hui, le chanvre est cultivé pour le textile ou pour produire du CBD. Avec la légalisation du cannabis médical, des élus espèrent créer une nouvelle dynamique économique sur le territoire. "Je milite toujours pour la mise en place d’une filière agricole industrielle qui permette de produire ce cannabis thérapeutique en France, et ainsi permettre une diversification agricole avec des revenus complémentaires et des emplois qui se créent en France", réagit Eric Correia, président de la communauté d’agglomération du Grand Guéret. L'élu défend depuis plusieurs années la possibilité de produire du cannabis à destination des médicaments en France et dans son département.
Jouany Chatoux, agriculteur à Gentioux-Pigerolles, s’est lancé dans la culture de cannabis avec ses associés. Il est aujourd’hui producteur de chanvre bien-être en Creuse et se dit prêt à produire du cannabis médical. Mais face aux coûts, il ne sait pas s’il le pourra. "Pour être simple, une fiole produite en France va revenir à 600 euros contre 15 euros à l’étranger", regrette-t-il.
En France, c’est le ministère de l’Intérieur qui a pris la main sur le dossier. (…) On parle de souveraineté, d’essayer de faire en sorte que les médicaments soient relocalisés en France et en fait, on donne le marché à des firmes étrangères.
Jouany ChatouxAgriculteur à Gentioux-Pigerolles
"Ça demande des investissements très importants. Pour l’instant cette filière ne peut être développée fautes de textes. Pour l’instant personne ne peut installer de cannabis thérapeutique car les textes ne sont pas encore publiés. Sauf dans le cadre de la recherche", explique de son côté Nicolas Authier.
Pour l’heure, les médicaments à base de cannabis sont fabriqués au Canada d’Israël et d’Australie, des pays qui ont inspiré cette expérimentation. En Europe, 24 pays ont déjà légalisé l’utilisation du cannabis thérapeutique comme l’Allemagne, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Finlande, l’Italie, la Grèce, la Slovénie.
Un outil thérapeutique supplémentaire
Les médicaments à base de cannabis seront un moyen thérapeutique supplémentaire pour répondre aux patients en impasses thérapeutiques. Les patients concernés sont ceux atteints de scléroses en plaques, de douleurs neuropathies, de cancers, de formes d’épilepsies graves ou encore en soins palliatifs.
"C’est un outil supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique. Ça n’a pas été miraculeux. Ça a permis de se sentir mieux, ça c’est sûr, mais sur le peu de gens que j’ai eu ça a permis de se sentir mieux, d’être moins stressé ou angoissé mais pas d’effets sur la composante douleur. Sauf pour un patient", témoigne Marlène Amilhaud-Bordier qui a suivi plusieurs patients. Elle en suit actuellement toujours deux dans l’expérimentation au CH de Guéret.
Selon elle, la mise en circulation des médicaments à base de cannabis est positive mais espère qu’une formation minimale des prescripteurs sera effectuée : "Il faut que les gens accèdent à cette formation", insiste-t-elle.