Adieu chêne, coccinelle et vipère ! Le bocage est en danger : plaidoyer pour son maintien dans nos paysages

Le bocage, ce sont ces jolies prairies où paissent vaches, chevaux, chèvres et moutons. Elles sont entourées de haies, contribuant à l'aspect verdoyant de nos campagnes. Un milieu en danger qui a pourtant de nombreux atouts. Surtout avec le réchauffement climatique. Plongée au cœur de ce paradis vert.

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C’est la campagne de nos imaginaires, de nos souvenirs d’enfance quand on a eu la chance de vivre près d’une ferme d’autrefois - celle des années 70 -. Un petit pré avec ses vaches, blanches ou tachetées de roux, voire à dominante noire. Il y en a pour tous les goûts, à chaque région, sa spécialité de vaches. Et puis, tout autour, ces arbres plus ou moins grands. Des haies où se mêlent un chêne avec cornouiller, un prunellier ou une aubépine.

Au passage du tracteur, une flopée de moineaux s’envole. Un merle picore les fruits du sureau. Plus loin, une petite mésange bleue lance son chant mélodique. Et cherchez au milieu des feuilles, au pied des troncs, une multitude d’insectes et d’animaux mènent leur petit train-train quotidien. Une vision un peu trop idyllique ? Mais c’est aussi cela, le bocage. Ces mosaïques de prairies délimitées par des haies dans lesquelles paissent vaches et moutons. Et qui nous parlent des temps anciens.

En Poitou-Charentes, le bocage se situe principalement dans les Deux-Sèvres, même si le sud de la Vienne et la Charente limousine, également région d’élevage, ne sont pas en reste. « Les deux tiers du département des Deux-Sèvres sont couverts de bocage », indique Étienne Berger, le directeur de l’association Bocage pays branché. Une origine qui remonte au plus profond des âges. « Nous sommes sur le massif armoricain, proches des sous-sols bretons qui favorisent une agriculture d’élevage, car la terre est superficielle et acide et ne convient pas aux céréales », explique encore Etienne Berger. « De plus, le paysage est fait de collines et donc en pente. Les haies retiennent les sols. »

L’âge d’or du bocage, ce fut le XVIIIe et le XIXe siècle. « Ce n’est pas une histoire linéaire et simple », poursuit-il. « Il y a eu des allers-retours, des changements brutaux, d’autres lents. En 1850 par exemple, il y eut la loi "partage" qui imposa le partage des biens entre tous les enfants lors d’une succession et la seule façon de séparer un champ, c’était de planter des haies. »

Mais les haies autrefois servaient aussi à fournir du bois pour le chauffage. Ils protégeaient les troupeaux du vent. Ils fournissaient aussi des fruits quand des fruitiers s’y trouvaient. L’usage était multiple. Et l’est toujours en fait.

Mais la modernité est passée par là et a bouleversé le monde agricole. Et le bocage. « En 1950 environ, il y avait presque 150 millions de parcelles en France et leur taille moyenne n’était que de 0,33 hectare. De ce côté-là, oui, il y avait quelque chose à faire, l’utilisation de moyens mécaniques devenant peu rentable, voire inutile pour des champs si minuscules. Dès lors, chaque année, les sommes allouées au remembrement par le ministère de l’Agriculture ne cesseront de pratiquement doubler à partir de 1956. On peut donc globalement situer 1960 comme l’année d’entrée dans l’ère écocidaire des bocages français […] » Le bilan de Christian Hongrois dans son livre « Bocage vendéen, des haies et des hommes » est implacable.

Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu en France, 1,4 million de haies arrachées. Notre tragédie amazonienne à nous. Pour que les gros engins agricoles puissent passer dans les champs et pour récupérer de la surface cultivable.

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"La haie n'a pas le vent en poupe"

Dans les Deux-Sèvres, le bocage a mieux résisté qu’ailleurs du fait que les céréales s’y plaisent moins. Mais Étienne Berger, en tant que directeur d’une association qui travaille au maintien des haies, reste très inquiet. « À l’échelle nationale, on perd plus de haies qu’il y a 15 ans, là où l’élevage régresse. »

Alexandre Boissinot précise même qu’en Gâtine, « entre 2015 et 2022, les haies ont diminué de 7 % ». Et il sait de quoi il parle. Il est le conservateur de la réserve naturelle régionale des Antonins à Saint-Marc-la-Lande dans les Deux-Sèvres. Il mène des études sur le bocage en partenariat avec le CNRS et l’Office français de la biodiversité. « La haie n’a pas le vent en poupe, elles sont arrachées au moment où les fermes se transmettent et s’agrandissent. »

Et celles qui restent perdent en qualité. « Les agriculteurs utilisent du matériel inadapté », précise Étienne Berger. « Les broyeurs peuvent éclater les branches et les jeunes pousses. Et dans les années 50, il y avait 4 à 5 millions d’agriculteurs. Comme ils étaient nombreux, ils avaient plus de temps à consacrer à la gestion du paysage. »

Mauvaises pratiques

Alexandre Boissinot déplore une gestion à court terme. « Aujourd’hui, les haies font 50 cm de largeur sur 1,20 m de hauteur. Du point de vue agronomique, elles ont moins d’intérêt pour la biodiversité. On y trouve moins d’espèces que dans celles qui sont plus larges et diversifiées dans leur structure. »

Le bocage se meurt. Peu à peu. « Le bocage est vieillissant dans notre région », renchérit Pierre-Marie Moreau, directeur de l’association Prom’haies. « Car les arbres ont une durée de vie limitée et quand ils meurent, ils ne sont pas remplacés. »

Rajoutez une couche de réchauffement climatique qui nuit notamment aux chênes pédonculés qui dépérissent avec la chaleur et un sol sec et là, vous plongez Idéfix, le petit chien d’Obélix, dans une profonde dépression.

Les réticences du monde agricole

Certes, depuis 35 ans, des mesures sont prises. Des associations comme Prom’haies ou Bocage pays branché sont apparues à l’initiative d’exploitants agricoles et d’élus locaux. Dans les Deux-Sèvres, 500 000 arbres ont été replantés, soit entre 500 et 1 000 km de haies. « Et nous essayons de remettre en état une filière bois-énergie pour trouver un débouché au bois déchiqueté, mais ce n’est pas toujours simple », relate Étienne Berger de Bocage pays branché. Il y a désormais une meilleure prise en compte des arbres dans les documents d’urbanisme des collectivités. « Mais nous plantons surtout chez des convaincus. »

Le monde agricole dans son ensemble résiste. « Ils sont très réticents, car il y a une perte de connaissance de ce que la haie apporte. L’agronomie n’a pas été enseignée pendant longtemps », ajoute Étienne Berger.

Et replanter en fait ne suffit pas. Il faut surtout garder les vieilles haies, selon Alexandre Boissinot, le conservateur de la réserve naturelle des Antonins : « Le pique prune est un coléoptère dont les larves se développent dans le terreau des arbres. Mais pour obtenir dans un chêne des habitats qui conviennent à cet insecte, il faut que l’arbre atteigne les 100 à 300 ans. »

Le naturaliste foisonne d’exemples d’animaux qui sont en danger du fait de la disparition du bocage. Il étudie spécifiquement les amphibiens et les reptiles. « Ils sont un bon indicateur de la qualité de notre environnement, car ils ont une faible capacité de locomotion. Ils ont de petits territoires. » La vipère péliade a perdu ainsi 90 % de sa population en 30 ans. La période d’entretien des haies actuelles n’est pas adaptée à cette espèce car à la fin août, c’est le moment des naissances.

Des lueurs d'espoir

« Une partie du monde agricole est dans le déni alors que le bocage est un paysage d’avenir, mais il est plus sensible à mettre des panneaux solaires dans les champs qu’à replanter des arbres », persifle-t-il.

Étienne Berger essaye de rester optimiste. « Nous perdons sur certains combats, comme l’agriculture intensive qui se développe de plus en plus. La crise du bio actuelle nous nuit beaucoup, car elle touche les gens qui se sentent le plus concerné par le devenir du bocage. Mais nous intervenons de plus en plus dans les lycées agricoles, auprès des petites écoles et de la petite enfance. Nous touchons aussi les randonneurs, les citoyens. Peut-être aurons-nous quelques résultats avec les jeunes adultes de demain. »

Car il faut le répéter : les haies sont indispensables pour le bien-être de nos campagnes, tous domaines confondus. Les sols résistent mieux au réchauffement climatique. Les populations de ravageurs comme les pucerons et les mulots sont mieux régulés grâce à la présence des auxiliaires comme les coccinelles ou le faucon crécerelle. Et les études sur l’agroforesterie ont prouvé, selon Alexandre Boissinot que les cultures entourées d’arbres bénéficiaient d’un gain de productivité de 10 à 25 % à l’échelle de la parcelle.

En souvenir des forêts primaires

Et puis aussi, il y a cette incroyable hypothèse. Le naturaliste en donne un aperçu : les haies et notamment les arbres têtards sont peut-être « les reliques » des forêts primaires d’autrefois. « Au niveau des coléoptères, on trouve une vingtaine d’espèces qu’on ne trouve que dans ces forêts. Et on pense que le bocage a pu assurer une continuité dans le paysage pour la préservation de ces espèces-là. »

Nous voici projetés plusieurs milliers d’années en arrière. À l’heure où l’homme était encore un chasseur-cueilleur et n’avait pas encore défriché les forêts pour se lancer dans l’agriculture. On en a le regard qui brille. Et l'esprit rêveur.

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